InfoRMATION Conte du temps des fétes INNOCENT XIV! Unrang de Val-Paradis, au fond del’ Abitib (Troisiéme de trois parties) une grande salle a manger-cuisine peinte en jaune pale défraichi. Le soir du 6 janvier, l’Epiphanie, derniére célébration du temps des fétes... - Bean. Go! s’époumone la mére presque aussit6t. Ettoutes les four- chettes piquent au coeur des géné- reuses portions. - Je l’ai trouvée!, lance Philippe, fou comme un balai, celui dont on remarque encore, mais bien moins qu’autrefois, la dentition légére- ment chevaline. - Moué itou! (moi aussi!) crie Madeleine, une maniaque des longs cheveux saturés d’odeurs sucrées. - C’est moi la Reine! C’est moi la Reine!, insiste 1’adolescente ravie au septiéme ciel, histoire d’agacer une de ses soeurs devenue tout a coup visiblement secouée par une jalousie de tigresse. Brouhaha général. Com- mentaires a l’emporte-piéce. Les parents observent avec un large sourire, bouches et oreilles «gran- des comme des portes de granges)). En un rien de temps, les deux jeunes tétes royales se voient solennellement couronnées de car- ton recouvert de papier doré qui étincelle sous le plafonnier anti- que. Ils trénent, majestueux, sur les deux fauteuils de velours fleuri que l’on réserve toujours a un seul autre événement annuel, de carac- tére sacré celui-la: la visite parois- siale de M. le curé Chauvin, que les mauvaises langues accusent de bien porter son nom. Les heureux époux d’unsoir recoivent maintenant les plus res- pectueux hommages de leurs di- gnes sujets. Chacun se prosterne devant eux, au hasard, multipliant les courbettes parodiques, dérisoi- res ou franchement farfelues... Ri- res argentins, félés, narquois, convulsifs ou encore genre «cor- dée de bois qui déboule»... Envolée sur l’innocence Quand vient le tour d’ Augustin, surnommé tit-Gus, la «grosse bole» des Brisebois ®, tous les ricanements cessent. Personne ne veut rater un seul des mots augustiniens qui se préparent a jaillir du cerveau prodigieux de ce collégien, «liseux invertébré», comme disait la vieille fille Eglan- tine Bellefleur, sa maitresse de deuxiéme et troisiéme années. (Per- sonne ne se doute, cependant, que tit-Gus cache en lui, encore cette année, une sorte de rage volcani- que: le sort le fait toujours passer a cété de la royauté, le privant ainsi, Son nom : Quel ques Pascale Nadea AUJOURD'HUI Lundi au vendr mbres de la famille: i (région miniére del’ Quest du Québec), vers le milieu de ce siécle. Noble maison ancestrale al’ abri d’un énorme sapin enneigé plusieurs fois centenaire. Lascéne se passe dans au cours des 7 jours suivants, de nombreux priviléges.) - Bien chers Mage, Image et Ima- gine. Qui oserait douter qu’Inno- cent XIV ne vous siérait pas mieux que cesnoms...imaginaires? (Force révérences théatrales, démodées - a la mousquetaire.) Dites, quand vous innocentquatorzerez-vous? Attendrez-vous que tous les Inno- cents XIV se soient désinnocent- quatorzés? Les plus jeunes seulement se mettent a rire, sans trop savoir pourquoi. - Connaissez-vous, en fait, ce per- sonnage historique appelé «Inno- cent XIV»? Vos Majestés vou- dront bien me pardonner si j’ose les traiter, eux et leur trés noble cour, de parfaits ignorants, de saints Innocents, quoi! Aucun pape n’a encore pris ce nom. Le dernier Innocent, le treiziéme®, a joué de malchance, justement, au cours de son bref pontificat. Depuis, aucun prélat italien n’a choisi de devenir le quatorziéme Innocent. - Qui aura le courage, poursuit Augustin, avant la disparition to- tale de ce bas-monde-vallée-de- larmes, de devenir Innocent XIV? En vérité, en vérité, je vous I’dis, moi, Augustin-Frédéric de Brisebois-Bélanger, futur pape noir des Jésuites, je prédis qu’un jour, dans |’inépuisable sagesse de mes ‘18 ans, ce Roi et cette Reine ici présents deviendront, grfce a la pure innocence qu’ils nous mon- trent, respectivement le premier pape du Québec, Sa Sainteté le Souverain Pontife Innocent XTV, et la toute premiére papesse de Vhistoire du catholicisme: Inno- cente XIV. Et Augustin de s’exclamer, embrassant toute l"humanité souf- frante de ses longs bras de singe anthropoide, et l’accent burlesquement pompeux: - Vivi i papi Innocenti quatorzibi in Abitibi! C’est la grace, Vos Majestés Epiphaniques, et vous tous, minables sujets, que je vous souhaite de tout coeur, et aunom de qui vous voudrez. Ainsi soit-il. Quel boniment! Personne n’ose plus rire ni se remettre a parler. C’est finalement la petite derniére, a la jolie frimousse, qui brise la glace en se mettant a réci- ter, droite comme un piquet devant Ses Majestés soudain épuisées de fatigue, l’une des contines que lui a apprises sa maman: «Boule d’or dans le ciel bleu, chaude et claire, chaude et claire, boule d’or dans le... -bon Dieu, c’est lampe du ciel bleu.» Applaudissements prolongés. - C’est a ton tour, tit-Toine! Minuit |. A cet instant précis, la pen- dule murmure sa sempiternelle ballade sur la fugacité temps. Déja L.“information continue Exclusivement sur le cable. Le Soleil de Colombie-Britannique les premiéres minutes de lundi. L’ ordre paternel frappe comme la foudre: - Vite, tout l’monde au lit! Aprés les «bonne nuit» pré- cipités lancés de toutes parts, la grande salle 4 manger-cuisine se transforme en froid désert. Le pro- fond silence des nuits sans lune de janvier revient hanter la maison ancestrale abritée sous son énorme sapin enneigé plusieurs fois cente- naire. Et la pendule continue son tic-tac dans la bonne chaleur de ce foyer béni, perdu dans un rang de Val-Paradis, ce minuscule village, égaré comme Bethléem avant le premier Noél, au fond d’une ré- gion miniére del’ Quest du Québec. Elle rythme en cadence, la bonne pendule héritée des grands-parents de Maro, |’éternelle complainte de la vie qui s’enfuit. Jean-Claude Boyer ® Le joual qu’impose le contexte dans les passages en discours di- rect a été réduit au minimum pour faciliter la lecture. ® Le Pére supérieur d’un vieux collége jésuite a déja tenté de lui faire accroire ques’ il n’entrait pas dans la Compagnie de Jésus, il risquerait grandement de devenir un jour criminel notoire. ® Innocent XIII (242e pape) régna a peine 4 ans au début du X Ville siécle. Il subit l’influence fran- gaise, nomma un certain Dubois cardinal (prélat jugé par l’histoire comme «vénal, libertin, hypocrite, intrigant, mais intelligenb»), mais ne réussit pas, malgré les espoirs de la Régence, a faire annuler une bulle de son qui était défavorable a la France.