Avril 1966 POURQUOI J’APPRENDS LE FRANCAIS par JOHN CONDIT Pourquoi? pourquoi? me demande-t-on. Mes amis soupconnent que je cherche un autre dé- bouché, peut-étre 4 Montréal, ot le bilinguisme est aujourd’hui fort 4 la mode. Parfois je leur réplique que j’ai un ours par la queue et n’ose pas le laisser aller. Parfois, je leur rétorque, que, moi, travailleur dans la rédaction d’un journal anglo-canadien, je ne peux pas écrire dans ma propre langue avec suffisamment de confiance et de confort; par conséquent, je vais essayer une autre expression, qui, peut- étre, m’est plus convenable. Cette plaisanterie cache la peine de la vé- rité. Personne ne peut réclamer sa langue ma- ternelle comme propriété absolue. Il existe souvent un malaise dans l’exercice. On est pri- vé du sein d’ou ruissellent les mots justes, les pensées claires. Pouvais-je échapper 4 cette peine de temps en temps en me faisant une nouvelle personnalité linguistique? J’espére que cet échappement puisse me rajeunir un peu pour le retour a l’expression anglaise. Certainement, d’immenses horizons sémanti- ques s’ouvrent quand on tache de s’emparer des significations dans une langue étrangére. A ce propos, je me sens comme un astronaute quand je me lance dans la recherche infinie des rapports entre les significations multiples et variées d’un seul mot. De plus, on doit pla- ner au-dessus des nouveaux territoires scien- tifiques, autres carriéres, autres époques, dans cette quéte du sens propre. D’autres horizons s’ouvrent pour le lecteur dans une seconde langue dans les oeuvres lit- téraires, scientifique ou politiques. On trouve une nouvelle fenétre par laquelle on peut re- garder la scene humaine comme les autres la voient, Il y a d’autres bons résultats qui résultent de la grande confluence de vocabulaire de ces deux langues pour l’écrivain anglais qui é- tudie le francais. Moi, j’y sens un approfondis- sement de savoir étymologique et de vocabu- laire. De plus les considérations grammaticales dans l’une semblent inviter, parallélement, 4 plus de soin dans l’usage de l'autre. Pour le journaliste canadien, il peut faire appel & des considérations assez pratiques et directes pour se justifier de devenir bilingue. Méme si mon avenir, comme presque vieillard, est court, je crois encore que l'étude du fran- cais l’élargit. Je lis un quotidien de Montréal et je suis au courant des nouvelles québécoises. Par conséquent, la rédaction m’appelle pour des avis et des traductions 4 propos des évé- nements dans le Canada francais. Mon statut professionnel en est plus élevé peut-étre et je gagne un peu plus de dollars. A cet égard, je veux souligner des valeurs morales essentielles 4 ma lutte. Dés que je suis L’APPEL page 5 TOUR D’HORIZON Le Conseil de la Vie Francaise reconnait le dévouement d’un des nétres Dans L’APPEL de janvier nous faisions la biogra- phie du R.P. Zéphirin Bélanger, s.s.s., et, nous annon- cions sa prochaine décoration de la Médaille de ]’Ordre de la Fidélité Francaise, décernée, pour service insignes, par le Conseil de la Vie Francaise en Amérique. Ce fut au cours d’un banquet populaire, organisé par le Club Canadien de Vancouver, que Son Honneur le juge André Miville Déchéne, de la Cour Supréme d’Alberta, président du Conseil de la Vie Francaise, décora le récipiendaire. La plupart de nos lecteurs ont déja lu les détails de cette féte dans la Survivance. Ce que nous voudrions surtout noter c’est lat- mosphére qui présida A ce banquet. On n’était pas seulernent venu par curiosité mais par solidarité. Cette décoration, tous la savaient méritée, C’était comme si toute T’assistance était décorée du coup dans la per- sonne d’un membre de la famille. I] n’y avait pas, 1a, cet artificiel du protocole. Dans une petite société comme la nétre, les grandes occasions ne font que resserrer le contact humain, et, les plus grands honneurs sont recus avec la simplicité d’un certificat de premiére communion. Le président du Conseil de la Vie Francaise est, lui aussi, un de ces ouvriers de nos valeurs nationales, loin du foyer principal, ou il n’y a plus de distance so- ciale quand on est Canadien francais, C’est donc un réseau de communication sans “convertisseur” qui bour- donnait ce soir-la. Le droit d’étre différent Nous invitons nos lecteurs 4 méditer sur la con- clusion d’une conférence prononcée le 14 décembre dernier par ’Honorable Jean Lesage, Premier Ministre de la Province de Québec, devant la Chambre de Com- merce de Ste-Foy, et reproduite dans Le Devoir, Mont- réal, le 24 décembre 1965. “Jaimerais, en terminant, me servir d’une image un peu éloignée du sujet dont je traite maintenant. Lors- qu’on veut savoir si un compas est assez solide, on ne se demande pas si a leur extrémité ses deux branches (suite A page 7) 0000000000000 0101010101010 1010 rnnnnnmmnmmrm-—w rentré, il y a six ans au Canada, mon pays na- tal, (aprés une quarantaine d’années aux Etats- Unis), j’ai été trés conscient d’un amére pro- bléme culturel qui a saisi le pays. Il y peu de Canadiens-francais qui sont satisfaits de leur statut dans ce pays. Une grande inquiétude culturelle aggrave les autres problémes consti- tutionnels. Le probléme culturel est un probléme d’ordre humain dont le réglement au Canada peut contribuer au bon sens pour le monde entier. Je voudrais contribuer un peu a ce ré- glement. Finalement, je dois avouer que mon histoire personnelle se dégage d’une attitude sentimen- tale envers ce probléme. Nostalgiquement, je désire que ce pays de mon enfance soit “dif- férent’” du pays de mon plus long domicile, les Etats-Unis. Pour une large part la différence et ’éclat du Canada reposent sur le fait fran- cais. L’éroder, c’est éroder la raison d’étre na- tionale.