16 - Le Soleil de Colombie, vendredi 9 janvier 1987 La vie de Jean-Francois de Galaup, comte de La Pérouse (1741-1788) Par Alexandre Spagnolo I - Vers le Canada Avant-propos Notre presse d’expression an- glaise a signalé que le directeur du Musée maritime de Vancou- ver, Robert Inglis, a tenu, a l'occasion du centenaire de notre ville, 4 commémorer la malheu- reuse et tragique expédition La Pérouse de 1788, en exposant divers objets, dessins, cartes, artifacts que le Néo-zélandais, Reece Discombe, plongeur des grands fonds, a pu recueillir a Vanikoro, venu ici avec son ami l’Australien Russell Shelton qui prépare un ouvrage sur le célébre navigateur-explorateur francais. Sans attendre les futures célébrations du __ bicentenaire (1988) dela mort tragique de La Pérouse, nous croyons faire connaitre aux chers lecteurs de notre hebdomadaire, par un résumé, la vie de cet illustre homme de tous les temps. Les Anglais ont eu a la mémeépoque James Cook et Georges Vancou- ver, les Américains, John-Paul Jones, dit-on couramment. Elaborer ce résumé est une gageure: les ouvrages en frangais ne ploient pas dangereusement les étagéres de nos bibliothéques municipales, loin de 1a, d’autant plus que son “Voyage autour du monde”, publié suivant décret du 21 avril 1791, sur les presses de l'Imprimerie de la République, an 5, n’est pas accessible aux simples mortels. Quand on n’a pas ce que |’on aime, il faut aimer ce que l’on a, ainsi, il a fallu nous rabattre sur les renseignements étriqués de: quelques encyclopédies, curieu- sement la francaise “Encyclope- dia Universalis” Paris, 20 volumes, n’en dit mot... Un auteur anglais, Edward Weber Allen, fonctionnaire aux Affaires civiles du Nord-ouest pacifique, un amoureux de l’Alaska, autant que le fut La Pérouse, se prit d’aller en France afin d’approcher ses descendants, visiter certains lieux de ses escales et de recueillir d’inestimables informations pour son ouvrage “The mysterious disappearance of Laperouse, the vanishing Frenchman” publication Charles E. Tuttle Company, Tokyo, Japan... ot il tient en trés haute estime La Pérouse, mettant en relief les lacunes de Cook et Vancouver, les intentions fla-. grantes de vouloir agrandir l’empire britannique avec un mercantilisme sous-jacent, La Pérouse, pour enrichir la science, la connaissance du monde dautrefois, alors —_ presque inconnu. Ori ot C’est tout prés d’Albi, sur le fleuve Tarn, au Chateau de Guo, que l'ainé des enfants de Victor-Joseph de Galaup, hom- me poli, mais dictateur au sein de la famille, et de Marguerite de Rességnier, d'une intelligence remarquable, naquit le 23 aout 1741, baptisé Jean-Francois de ‘Galaup, notre futur héros. Plus tard, Jean-Franoois s’affu- Le tragique destin de La Pérouse bla le “Comte de La Pérouse” qui viendrait de “La Peyrouse”, nom d'une vague propriété de la famille, bien que le nom de De Galaup, des siécles durant fut _bien connu a Albi et ses environs, des commercants en ce temps-]a, mais, la noblesse leur affichait une étiquette quelque peu roturiére. Les De Galaup, au XVe siécle, avec Pierre et Claude, jouirent d’une bonne renommée a Albi et Toulouse avec leur chateau de Guo sur une colline, qui existe encore, habité par des descen- dants d’une soeur de Jean- Francois, mort sans héritiers, visité, en 1958, par Edward Weber Allen. Brillante jeunesse A 9 ans, Jean-Francois fut placé chez les Péres Jésuites d’Albi, réputé comme étant un brillant éléve, vivement intéressé a la géographie, l’histoire des grands explorateurs-navigateurs, Ferdi- nand Magellan, Vasco de Gama, Sir Francis Drake, Abel Tasman (de la Tasmanie), plus tard J. Cook, G. Vancouver, tout ceci, le poussa a vouloir suivre leurs traces et donner une réputation a sa famille et servir son pays. Il a réussi, mais... La Marine francaise attisa son ardeur, son penchant pour ‘les mers et les océans. Devint un grand admirateur de James Cook, bien qu'il n’eut pas les Anglais dans son coeur. En ce temps-la, pour atteindre des postes de commandement dans la marine, il fallait un tantinet de sang bleu dans les veines, c'est probablement 1a quil mit le “Comte de -La Pérouse” au soleil, collé ala pea pour |’éternité. Premiéres armes Dés sa _ dix-huitiéme année (1758), il servit a bord de différents navires, comme garde de la marine, sans incident Formidable” 1759S sure ise 80 canons, qui participa lorsque le Duc de Choiseul esp€rait reconquérir son prestige aprés la guerre de Sept ans, en voulant envahir l’Angle- terre: ce fut l’échec de la Bataille de Belle-Isle ou de la Baie de Qibéra, le navire fut mis en piéces, La Pérouse eut des blessures aux deux bras, au ventre, fait prisonnier, mais s’esquiva habilement. Depuis, il participa dans diverses missions a bord de nombreux navires comme le “Six-Corps”, l"“Adour”, la “Belle Poule”. En 1772, a 31 ans, sa carriére s'affirma __ brillante, notamment dans l’Océan Indien. notable. En La fléche de Cupidon De La Pérouse se trouva a I’Ile de France, l’actuelle Ile Maurice, a Vest de Madagascar, le Chevalier Ternay d’Arsac, gou- verneur, lui commandant le navire “La Seine” 30 canons, 100 hommes d’équipage, une famille en évidence, les Broudou. Abraham Broudou, un petit commercant établi a Nantes (Loire-Atlantique) qui émigra a I'Ile de France, avec sa femme et ses deux filles, Elisabeth et Louise-Eléonore. Devint Chef de lArmement, donc en contact avec le gouverneur et La Pérouse, qui admira Elisabeth, l’ainée, mais, par la suite tourna ses regards énamourés vers Louise- Eléonore, une relation naquit, trés fougueuse de la part du grand marin, tandis qu’Elisabeth se renferma dans une attitude réservée. On verra cela plus tard. Notre. amoureux se rendit acquéreur d’un lopin de terre et un chalet prés des Broudou ot Louise-Eléonore se rendait fré- quemment avec le consentement tacite de Papa Abraham. L’Jle de France, disait Alexandre Dumas, est une oasis pour la romance, le paradis du monde.” Tout alla bien, mais le Chevalier de Ternay d’Arsac, gouverneur, était mandaté par le pére Victor-Joseph de Galaup, de surveiller son fils, |’autorité paternelle avait son poids a l’époque, nous l’avons signalé, papa était un dictateur... a cela le gouverneur_ souleva les obstacles habituels concernant le mariage d’un officier en service. En fin de compte, la famille Broudou décida de retourner a Nantes, a l'exception d’Elisa- beth. Au cours du débarquement au port militaire de Lorient, Louise-Eléonore trébucha_ et tomba dans l’eau, cette chute eut des conséquences, des douleurs de longue durée, tout en suivant des études au Couvent de Sainte-Anne, a Paris, et attendre son bien-aimé bourlinguant sur les mers et les océans, elle attendit longtemps, longtemps, le papa Victor-Joseph toujours obstiné, non consentant a cette union, tandis que maman Marguerite venait de trouver en la personne par Rude. de mademoiselle de Vesian, une €pouse possible, noble, riche, digne de la famille. Dénouement: Louise-Eléonore menaca de se retirer dans un couvent, La Pérouse de retour, épousa sa Louise-Eléonore de longue date, si patiente en la Paroisse Sainte-Marguerite. Terminons ce chapitre. La Pérouse avait 44 ans, en pleine période de gloire et de victoires, plus de temps sur les mers que dans l’alcéve conjugale. Louise- Eléonore mourut, en 1806, avec le souvenir de la disparition de son bien-aimé époux, en 1788, sans l’avoir jamais revu. D’un autre cété, Elisabeth Broudou, célibataire, restée a I'Ile de France (devenue anglaise, en 1810, sous le nom de: I'Ile Maurice) mourut en 1830. Implication francaise On connait la formation entre 1607 et 1738, des Treize Colonies, embryon de ce que sont devenus les Etats-Unis d’Amé- rique. Des pionniers quittant ]’Irlan- de, |’Ecosse, la Grande-Bretagne sinstallant dans le Nouveau Monde, cherchant un avenir dans un autre décor que celui d’une Angleterre 4a territoire étriqué. Prospérant, la Couronne d’An- gleterre leur imposa, en 1774, des taxes prohibitives sur les produits de premiére nécessité. Refus, un an plus tard, les Treize Colonies proclamérent leur indépendan- ce. L’Angleterre ne se laissa pas faire, c’était une rébellion... pas tant que cela, la guerre éclata, elle dura huit années. George Washington, le premier prési- dent de la République des Etats-Unis. Huit années de guerre, c’est bien long, mais, les Néo-améri- cains eurent des sympathisants, en tout premier lieu, la France, avec ses plus grands hommes de lépoque: Jean-Baptiste de Vimeur, Comte de Rochambeau, Marie-Joseph, Marquis de La Fayette, Francois-Joseph-Paul, Comte de Grasse, Louis-Antoine de Bougainville, Comte de La Pérouse, etc. Des _historiens prétendent que sans l’appui logistique de la flotte et des combattants frangais, y aurait-il eu des Etats-Unis d’Amérique? Suivant Edward W. Allen, le réle' de La Pérouse fut assez prédominant, freinant les atta- ques navales anglaises, aidant la puissante flotte de d’Estaing, fut recu par Georges Washington, qui parlait a peine l'anglais, il Vappelait Monsieur de La Pérusse... le nomma membre de la “Society of Cincinnati”. Mission au Canada Notre penchant pour cette narration au sujet des exploits de La Pérouse s’affirme et nous intéresse par le fait de sa présence au Canada, circonscrite dans le cadre de la Baie d’Hudson (508,000 kms carrés) découverte par le navigateur anglais Henry Hudson, en 1610. La mission La Pérouse avait un aspect belliqueux, attaquer les postes de traite de la fourrure, les bastions et fortifications protec- teurs de la tentaculaire Hudson . Bay Company, fondée en 1670, par une charte de Charles II d’Angleterre, octroyée a de riches négociants de Londres. et quelques princes, ducs de sa propre famille: une affaire de ~ longue haleine, puisqu’elle existe encore depuis 316 années, toutefois sous une autre formule. Les délégués-fondateurs au Qué- bec, deux vieux roublards: Pierre-Esprit Radisson et son beau-frére Médard-Chouart, dit Sieur de Groseillers. Le plan d’attaque a semblé avoir été planifié par les tenants américains et frang¢ais lors de la Révolution américaine, mais, trouvé tracé par La Pérouse lui-méme et son second et ami, Vicomte Paul-Antoine Fleuriot de Langle, endossé par le Ministre de la marine, Charles- Eugéne, marquis de Castries, donc en haut lieu, avec la bénédiction royale de Louis XVI. But: détourner, disperser la force de la flotte anglaise de l’Atlantique, lors de la Révolu- tion américaine. Suite la semaine prochaine