—_— LL __ HAZELTON trace un sillon de bas en haut sur une certaine longueur; ensuite, il écarte les lévres de la plaie qu’il vient de faire, introduit la raclette et la proméne pour recueillir la séve nouvelle. Ensuite, d’un geste, en deux temps, d’abord vertical, puis horizontal, il léche la raclette et absorbe la séve. L’effet est merveilleux. Tous les indiens ici pratiquent cet usage bienfaisant, et je vous assure qu’ensuite, on se sent plus léger. Il faut avouer que les blancs ne connaissent rien a la médecine. Jentends ici ce mot dans le sens de médecine des docteurs.. . . PECHEURS DE SAUMONS Moricetown—(nom donné au village en souvenir du Pére Morice, O.M.L, un missionnaire francais réputé pour ses ouvrages ethno- graphiques. ) M. Hyde l’agent indien de Hazelton, nous fait part que demain. dimanche aprés-midi, il devra se rendre 4 Moricetown. —Si cela peut vous agréer, ne dit-il, je vous emmeéne. Peut-étre ne serez-vous pas le seul invité dans ma voiture, mais, comme on dit, quand il y en a pour un, il y en a pour quatre... . Hazelton, dés que la nuit tombe, est un endroit assez triste; il n'y a pas d’électricité. Des lumieres portatives paraissent 4 notre époque assez maigres et le moyen semble désuet. Aussi, devient-on couche tét, ce qui permet, au matin d’étre frais et dispos. Crest dans cet état, que le lendemain, je vais, avec tout mon matériel d’artiste, m’installer au bord de Ia Skeena—tel est le nom du fleuve-torrent qui baigne Hazelton—pour peindre des mats— totems... . Tout a coup, sur la riviére, glisse, silencieuse, une grande embarcation. A |’intérieur, une famille indienne... .Un homme saute dans l’eau pour accélérer |’amarrage,puis aussi pour travailler au transbordement des passagers. De grosses femmes se laissent rouler vers la plage, puis c’est le tour des enfants et enfin celui des chiens, de ces chiens qui sont ou blancs ou feu, tachetés de noir et qui, I’hiver venu, seront les tracteurs des traineaux: amis utiles et méme indispensables. Le débarquement s‘achéve par le transport de poissons, que l’on hisse sur le dos. Toute la famille se met en route vers le village. L’aprés-midi, on s’entasse dans l’auto de M. Hyde. Cent kilo- metres a faire dans la direction des Rocheuses. La piste que nous suivons est en terre battue; elle reserve quelques surprises aux ressorts de la voiture. Qu’importe! Le paysage est merveilleux. Nous c6toyons des ravins au fond desquels |’eau verte tourbillonne. Nous traversons des foréts peuplées d’arbres immenses. Des incendies ont créé des clairiéres étranges, car des arbres briilés dressent leurs bras tordus et noircis. Le brouillard noie l’ensemble dans une gaze légére, a travers laquelle ce soleil rutilant est un disque flou.. . . La route joint a flanc de montagne le torrent rapide. Nous le surplombons. Les montagnes escaladent le ciel, cherchant a l’atteindre par leurs pics neigeux. . ..Quelques misérables maisons de bois apparaissent enfin, presque toutes voisines de fragiles échafaudages, qui font penser aux barres fixes des stands de sport ou des cirques. Des silhouettes immobiles d’Indiens et d’Indiennes, les unes campées sur des perches horizontales, les autres sur des rochers. Ces gens sont des pécheurs de saumons. A mieux de regarder l'eau, on voit constamment des éclairs fugitifs, qui brillent et disparaissent. Ce sont des saumons qui, par bonds, sortent de l’eau pour remonter le torrent... . Il y a, a deux milles de la, en amont de la riviére, quelques tentes blanches. C’est la résidence provisoire de deux blancs. Ils sont assis, barbus, sales, fumant leurs pipes au retour d’une journée de labeur. Que font-ils la? —Nous cherchons le point pour construire une usine d’énergie électrique, me répond l’un d’eux. . . —Une usine dans ce torrent, une merveille, ajouta l'autre. Tous deux reprennent: —Nous avons trouvé l’endroit aujourd’hui, les travaux vont pouvoir commencer. —Et les Indiens? —Les Indiens croient que nous allons construire un nouveau pont. De cela, ils se réjouissent. —Et de la vérité? —La vérité! Il hésite et me regarde surpris: —Vous pensez bien qu’ils ne la connaissent pas! parce que le saumon...L’homme fait un geste désabusé de la main, crache par terre, puis donne un coup de coude a son camarade. . . Alors, ils éclatent de rire, du rire des hommes qui n’ont pas perdu leur journée. Mais dans la nuit, les reflets de leurs pipes leur donnent une expression cruelle et fagonnent leurs traits en des masques de démons.. . . 13