ee Les garderies franco-ontariennes... un enfantement difficile «Pour les francophones de l'Ontario, le fait de voir nos enfants fredonner des chan- sons frangaises, préférer notre cuisine, choisir un disque frangais ou une émission télévisée en francais sur leurs propres mé- rites, c'est une joie que seuls ceux d'une minorité historique comme la notre peuvent apprécier pleinement. Cela représente pour nous une victoire contre l’asphyxie, la preuve qu'il y aura pour nous un lendemain etun surlendemain. Les services de garde frangais nous soutiennent a cet égard. Ils nous sont nécessaires. Qu’on|'accepte et qu'on cesse de nous demander de_justifier notre existence.» _. Ces mots résument ala fois les espoirs etles frustrations d'une Franco-Ontarienne qui, en 1982, venait de vivre l’expérience de la création d'une garderie de langue frangaise a Toronto. Sept ans plus tard, la situation n'a pas beaucoup changé. Les garderies francophones sont rares, et, dans bien des régions de la province, les Franco-Ontariens doivent encore justifier a chaque tournant leur besoin de garderies distinctes qui renforcent le développement de la langue et de l’identité culturelle de leurs enfants. la communauté qui soutiennent au contraire que offre entraine la demande. Selon eux, la participation massive des jeunes francophones aux écoles de langue frangaise prouve, hors de tout doute, la préférence des parents franco-ontariens pour un milieu institutionnel frangais. Une étude réalisée a Ottawa tend d’ailleurs a démontrer que la oui les services existent, les francophones les utilisent dans la méme proportion que l'ensemble de la po- pulation. Or, les garderies de langue frangaise sont rares. On en dénombre une trentaine seulement, soit 4 peu prés une pour mille enfants francophones alors que du cdété anglais, on compte une garderie pour trois cents enfants. Bien des parents franco- phones n'ont d’autre choix que d’opter pour une garderie anglaise. Résultat : au mo- ment méme ou s'effectue le développe- ment linguistique et ou l'identité culturelle s’établit, bon nombre de jeunes franco- phones s’amusent, socialisent et font leur premier apprentissage de la vie en anglais. Avant méme que l'enfant n’ait quatre ans, le processus d’assimilation est bien amor- cé, avec toutes les conséquences que cela entraine par la suite pour ~ les écoles de langue fran- caise. Pourquoi n’existe-t-il pas davantage de garde- ries francophones? Un sondage de |'Association canadienne-frangaise de l'Ontario (ACFO) a identifié un certain nombre de fac- teurs qui entravent leur mise sur pied et leur survie. Ils sont : 1) Les codits additionnels entainés par : -une période initiale de non-rentabilité plus longue die aux difficultés de recru- tement, lequel doit se faire a l'échelle d'une ville ou d'une région, plutét que d'un quartier; Une opinion largement répandue veut que les parents francophones, pour des raisons culturelles, préférent des services informels ou se fient a la famille étendue et utilisent en moins grand nombre les garde- ties. C’est ainsi que, pendant longtemps, on a expliqué la pénurie de services de garde en frangais. Mais, c'est une explica- tion que rejettent aujoud’hui les leaders de -le transport, notamment la oll une seule garderie de langue frangaise dessert toute une région; -l'achat de matériel pédagogique frangais plus cotteux; -la publicité additionnelle pour rejoindre les parents francophones qui ne se retrouvent pas dans des réseaux facilement identifia- bles. ‘place en 1988-89. pour cent de la demande en 1995. [Pe organismes qui visent la création de places supplémentaires en garderie s'entendent pour dire que les gouvernements tant fédéral que provinciaux doivent élaborer une politique d’accés universel aux services de garde d’enfants. L’annonce faite parle gouvernement fédéral juste avant le déclenchement des _derniéres élections ne suffira pas a la demande qui est évaluée a 2 millions de Le programme fédéral qui doit s’échelonner sur 7 ans n’aura répondu qu’a 25 Par ailleurs, les organismes rejettent la formule de déduction d'impét par opposition a un financemenet direct car traditionnellement, au Canada, ce genre de programme constitue un allegement fiscal pour les personnes a revenu élevé. L’article qui suit illustre le cas de l'Ontario ol comme ailleurs au Canada le probléme est double : ouvrir des garderies et desservir la population francophone. 10 — CAHIER DES FEMMES, MARS 1989 2) Les difficultés de recrutement de person- nel compétent causées par : = -le nombre insuffisant de gradués des pro- grammes d'éducation des petits offerts en francais en Ontario; -les problémes d’équivalence avec le Qué- bec; - les salaires trop bas. 3) Le processus d’administration des places subventionnées qui : -reléve de fonctionnaires municipaux peu sensibles aux besoins des parents franco- phones; -ne comporte aucune compensation pour les cotits de transport; -fixe un nombre limité de places par muni- cipalité et ne laisse aucune flexibilité d’al- location pour une nouvelle garderie, méme si celle-ci est la seule de langue francaise. 4) Lataille restreinte de certaines garderies de langue frangaise ot il est conséquem- ment difficile d’atteindre un seuil de renta- bilité. (Les subventions directes au fonctionnement que verse le gouverne- ment ontarien depuis un an devraient aider a pallier a ce probleme.) Ces facteurs, ajoutés au fait qu’il existe peu de ressources et d’appui pour les groupes qui souhaiteraient ouvrir une gar- derie, font que plusieurs projets ne voient jamais le jour. D’autres garderies de lan- gue frangaise se "bilinguisent" pour survi- vre. Ce dernier phénoméne ressemble dailleurs beaucoup & ce qui se produit dans les écoles de la minorité francophone en Ontario et ailleurs. Pour s'assurer une clientéle suffisante, et pour couvrir leurs frais, les garderies de langue francaise créent des places "d'immersion” et accep- tent des enfants anglophones. Les pres- sions ne sont pas uniquement de nature économique. Le bilinguisme est a la mode et nombreux sont les parents anglophones qui ne ménagent aucun effort pour inscrire leurs enfants dans ce qu’ils percoivent comme les meilleures institutions d’ensei- gnement du francais. Méme 1a oti les gar- deries d'immersion existent, ils préférent souvent la garderie de langue francaise. Ce qui complique encore davantage la si- tuation, c'est que de nombreuses garderies de langue francaise sont situées dans des écoles ot! l'on accepte depuis plusieurs Sur le plan politique, le Réseau se pro- pose d'intensifier les pressions pour que le gouvernement ontarien mette en place des programmes qui, au-dela des énoncés de principe actuels, reconnaissentles besoins - particuliers de la communauté franco- phone. En misant a la fois sur l’entrée en vigueur, en novembre prochain, de la loi Les garderies francophones sont rares, et, dans bien des régions de la province, les Franco-Ontariens doivent encore justifier a chaque tournant leur besoin de garderies distinctes qui renforcent le développement de la langue et de V’identité culturelle de leurs enfants. années des enfants qui ne maitrisent pas le frangais. Il est difficile pour les garderies d'imposer des critéres d’admission plus exigeants que ceux des écoles. Quelque soit la raison qui pousse une garderie 4 devenir bilingue, le résultat est le méme. Une étude effectuée a Ottawa démontre que dans un tel contexte, la grande majorité des petits francophones apprend trés vite a fonctionner en anglais. lly a donc du pain sur la planche pour le Réseau ontarien des services de garde francophones qui s'est officiellement constitué en novembre 1988. Selon sa présidente, Louise Chartier, le nouvel orga- nisme se propose de travailler sur deux fronts. On veut d’abord rompre lisolement des garderies existantes et mettre en com- mun idées et ressources. Dans la méme veine, le Réseau compte mettre au point des outils pour aider les groupes qui lan- cent de nouveaux projets de garderies. ontarienne sur les services en francais, et sur le projet de loi fédéral qui stipule que les provinces doivent offrir des services a leur minorité, le Réseau a bon espoir que le dossier progresse. On ne se fait toute- fois pas diillusions : la lutte sera difficile. La lenteur du gouvernement fédéral a assurer le co-financement avec les provinces et les longues listes d’attente du cdté anglais vont placer l'Ontario devant des choix diffi- ciles. Un tel contexte ne sera pas trés propice au rattrapage nécessaire dans le secteur des services de garde en frangais. Pour les Franco-Ontariens, reste aussi a définir les modéles de service les plus appropriés a leur communauté. C’est un débat qui ne fait que commencer, mais qui sera crucial. Journaliste a Radio-Canada Toronto, Ma- rie-Elizabeth Brunet s'est toujours préoc- cupée du sort et de l’avenir de la communauté francophone de |’Ontario. (Photos: Guylaire Lévesque)