Le Moustique fl me revient a l'esprit une aventure assez semblable qui s'est déroulée, il y a bien longtemps. Dans une vieille land rover, j’étais parti en exploration dans une trés belle région d’Afrique centrale. Accompagné d’une petite Equipe d’Africains, non devions y vérifier un certain nombre d’observations réalisées dans les années cinquante. Jétais le premier Occidental a y retourner aprés dix ans de troubles politiques et de guérillas. Si la région avait été dépeuplée, les paysages étaient restés tres beaux et méme, par places, grandioses. En plus de chutes remarquables, on y avait créé, dans les années trente, un parc pour la protection de la faune. Le parc de lUpemba, relativement petit, mais trés riche en mammiféres exotiques, est relativement peu connu, bien qu'il ait été considéré comme le plus précieux d’Afrique. Il était si bien protégé que l'entrée en était interdite aux touristes, afin d’en mieux protéger les délicats équilibres naturels. Un endroit ou, quelques années plus tard, des militaires locaux venaient, le dimanche, chasser la pintade a la mitraillette. Bien entendu, c'est a une extrémité de ce parc que notre chignole a rendu l’'ame. Plutdt penauds, nous nous sommes décidés a revenir a pied vers la station de Lusinga, située a autre extrémité de ce parc. Il n’est généralement pas recommandé et, au contraire, strictement interdit de sortir de son véhicule quand on parcourt un parc d’animaux sauvages. Ici, nous allions nous offrir une balade d’une vingtaine de kilométres au sein d'une vaste savane ou lombre était rare et parcimonieusement dispensée par quelques albizia, brachystegia et pterocarpus, arbres aussi exotiques que les quelques animaux croisés de-ci, de-la. Nous avions vu quelques zébres, les seuls que l'on puisse voir en liberté au Congo, un hippotrague des sables, merveilleuse antilope noire a l’allure altiére et, typique des savanes séches, un éland du Cap, Volume5 - 11¢ édition aussi large, lourd et puissant qu’un taureau de concours. Beaucoup d’oiseaux aussi, dont nombre de lamprocolious, sorte d’étourneaux aux merveilleuses couleurs d'un bleu métallique tirant sur la turquoise. Aprés quelques heures de marche, notre allure n’avait plus rien qui puisse 6tre comparé & celle de la fiére antilope noire. Le soir tombait, jétais en téte, les Africains suivaient péniblement a distance. Il n’était pas question de passer la nuit dehors, dans une réserve animale ; pour les stimuler, je leur ai fait remarquer qu'on entrait dans fa zone réservée aux lions et que c’était ’heure a laquelle ils se mettaient en route pour la chasse. Ce qui était d’ailleurs parfaitement exact: nous avions dépassé, quelques instants avant, un large panneau planté au milieu de la vaste plaine sur lequel était inscrit « territoire des lions et des léopards » et que mes suiveurs, trop fatigués, n’avaient pas pris la peine de lire. C’était le bon argument. Pris de panique, les Africains, que je croyais 4 demi morts, se sont mis a courir et, trés vite, je me suis retrouvé seul, dans le crépuscule, a maudire ma malheureuse habitude a parler trop. Heureusement, cette nuit-la, les lions n’avaient pas faim. Au fait, it est une chose que j’ai apprise, il n'y a pas bien longtemps. Les lions d'Afrique ont une caractéristique assez particuliére qui m’a échappé au cours de la plus grande partie de ma vie ; chose qui edt été regrettable si elle avait perduré : dans la touffe sombre qui leur orne. l'extrémité de la queue, les lions males ont une griffe dont on ignore la signification ou l'usage. lls sont les seuls mammiféres de la création a avoir une sorte d’ongle ou d’ergot placé en un endroit aussi étrange. Pour le roi de la création, voila une difformité trés embarrassante qu'il a jugé bon, probleme assez épineux, de camoufler dans un pompon destiné a lui rendre toute la pompe qui lui est due. En va-t-il de méme pour le lion des montagnes ? il semble que non. II n’a d’ailleurs pas de houppe en bout de queue et nous ne ISSN 1496-8304 Novembre 2002 Pravack, brayoure et bavandage... resterons pas davantage a cette place pour nous en assurer. Quelques centaines de meétres plus loin, le terrain qui avait été relativement plat depuis Clo- oose, s’incline de plus en plus. On descend vers le chenal de Nitinat ! C'est la fin de la balade et on a échappé au lion ! Enfin, je respire ; jentrevois la fin de nos tourments et, bientét, on fera une orgie de tout ce dont on a &té privé, on s’éclatera avec tout ce dont on a révé. Dieu ! Comme tout paraitra bien plus merveilleux quand on retrouvera tous ces petits plaisirs dont on a été dépouillé : un fit confortable, un toit imperméable, une cuisine mémorable, des liqueurs délectables, rien que des choses agréables, des moments ineffables et, bien sdr, ma petite femme adorable. Serait-ce la seule raison de l'engouement général pour les sports de la nature : nous priver de tout, afin de réapprendre a apprécier lordinaire? Il est vrai, quand on a passé quelque temps dans un désert, qu’on en revient avec un incommensurable respect de l'eau. On la boit avec délice, on répare le robinet qui fuit, on arrose les plantes avec l'eau abandonnée au fond des verres. Aprés s’étre lavé pendant des semaines au sable sec, dans un thalweg, nu, entre deux barkhanes, on n’ose plus prendre de ces douches qui durent plus de cinq minutes. Serait- ce a la suite de toutes ces expérien- ces dans des pays tellement diffici- les que je ne mettrais jamais d’eau dans mon vin ? Tout en pensant au premier débordement, a la premiére folie que je vais commettre, inconsciemment, je me mets a marcher plus vite, presque a courir sur la pente rendue glissante par la pluie. Puis, sous le regard consterné de ma fille, je perds toute