Le Moustique Volume4 - 11¢ édition ISSN 1496-8304 Novembre 2001 Critique littéraire de Paul Genuist Dans ce court roman de Michel Houellebecq, Extension du domaine de /a lutte, le narrateur, personnage principal, 4gé de 30 ans, est analyste programmeur pour une société de services en informatique a Paris. Son réle est d'aller installer des progiciels en province, accompagné d'un collégue. Ce travail technique et mécanique ne le passionne pas outre mesure. En vérité, ¢a l'ennuie profondément. Malheureusement, son temps libre ne lui procure pas d'antidote et les portes de sortie envisagées ne lui conviennent pas non plus. {I en a pourtant considéré quelques-unes: le bénévolat? il ne s'intéresse pas a autrui; la musique? elle I'emeut de moins en moins; lire n'est pas son fait; le bricolage le laisse froid. Cet homme n’a plus de repéres, son existence patauge dans le chaos. II devient étranger a la vie dont il n'arrive pas a se convaincre qu'elle mérite d'étre vécue. Sans raisons de vivre, il est en train de perdre pied et sombre dans le dégott de soi et des autres. Il reussit méme a faire perdre les derniéres illusions de son collégue, un obsédé perpétuellement malchanceux. Le lecteur peut ne pas 6tre d'accord. Ii peut se dire que bénévolat, bricolage, lecture, musique, mille autres manifestations de la vie, et méme le travail, ont leur utilité, voire leur charme, et peuvent contribuer a enrayer tout malaise métaphysique qu'engendre une contemplation narcissique trop accaparante. Mais ce n'est évidemment pas le propos de l'auteur de faire l'apologie de ce que Pascal appelait le"divertissement’. La quatriéme page de couverture nous dit que ce premier roman de Michel Houellebecq est devenu un roman culte en Europe. Serait-ce que les lecteurs se retrouvent dans cette vie sans réves du métro-boulot-dodo de naguére, ou pris, aujourd'hui, entre le Prisunic et I'internet dans notre monde contemporain qui s'uniformise constamment? La cause de tous ces maux serait que la société a tout sacrifié au dieu consommation. Les personnages en sont les victimes. Ils sont dépossédés, déshumanisés, étrangers a la société comme a eux-mémes. Selon l'auteur, ils sont entrés de force dans le domaine de Ia lutte qui caractérise le libéralisme d'aujourd’hui, que celui-ci soit économique, social ou moral. L'extension de ce domaine sur le plan individuel, c'est la déprime, la folie et la mort. Comme le constate le narrateur, le troisieme millénaire s'annonce bien!