12— Le Soleil de Colombie, vendredi ler juin 1984 Explorateurs du passé Jacques Cartier Par Alexandre Spagnolo Espoir et reméde Vendredi 17 mars. 1535, Cartier quitta le fort, comme il l’avait fait lors de la pro- cession avec la statue de la Vierge Marie, il rencontra un groupe d’Indiens chargés de ‘venaison, de peaux, etc., et a sa grande __ stupéfaction Damagaya rétabli de la «maladies de l’hiver». Etonné, il lui demanda quelle cure il avait suivie? La réponse, une recette de bonne femme aurions-nous dit, consistait 4 boire 4 lon- gueur de journée une décoc- tion faite avec des feuilles vertes d’épicéa (au Québec, épinette) et des brindilles de l'arbre macérées, celles-ci ser- vant ensuite de cataplasme sur les plaies. Damagaya demanda 4a Cartier s'il avait des mala- des dans son camp. Cartier répondit que non en ajou- tant qu'il n'y avait simple- ment qu'un de ses serviteurs qui se trouvait indisposé. Pieux mensonge ... Le fort devint un pharma- cie; le breuvage produit et les cataplasmes erent leur effet bénéfique. Cartier et Poulet allérent 4 la cabine de Sanson Ripaults, le barbier-chirur- ien, malade a son tour, lui aire avaler le liquide au gout amer, il le refusa, prétendant étre un poison pour les tuer, eux tous . . Par contre Fran- cois Guiteault, l'apothicaire, le réclama. «Mourir pour mourir, dit-il, essayons.» Trois jours plus tard, il était debout. Ce fut la ruée de jour et de nuit vers ce breu- vage miraculeux, le breuva- ge des sauvages. Jacques Cartier écrivit dans son journal qu’on remplit des barils et des barils, qu’on but méme tout un arbre, et que méme si tous les médecins de France avaient été 1a avec leurs médicaments de I'est, ils n’auraient pu faire autant de bien que fit ce reméde de sauvagesen une semaine. La belle saison appro- chait, on était vers la fin d’avril 1535, les échanges avec les Indiens reprirent, fourru- res, viandes et poissons frais, venaison, les survivants du scorbut se mirent 4 regarder Vhorizon du retour. Complot et enlévement Taignoagny, l’interpréte a double face vint proposer a Cartier d’enlever le Chef Agona, d’un village voisin, ul n’aimait pas, en revan- che il lui rendrait un signalé service et, de l’emmener en France. Cartier avait d'autres pro- jets en téte, celui d’enlever plutét le Chef Donnacona, étant un chef de tribu, il serait d'un grand prix en France, il pourra dire au Roi, les mer- veilles du monde de I’ouest, les richesses des terres du Saguenay, d'autres chefs aus- si, et, Taignoagny- Damagaya, connaissent notre langue. Cartier attira les deux jeu- nes interprétes, mais dit a Taignoagny, en ce qui concer- ne Agona, il l’abandonnerait sur une -ile de Terre-Neuve (I'lle des Démons) au lieu de la France. Pourquoi ce refus? Cartier expliqua que le Roi Francois ler lui avait donné des ordres précis, pas d’hom- mes ni de temmes, mais des jeunes aptes a apprendre la langue francaise, de les rame- ner, un an aprés a leur village. Le mercredi 3 mai 1535, toujours suivant le journal du Masuin, il invita le Chef ils Donnacona a une cérémonie politico-religieuse, de planter une croix, souvenir a Stadacona, avec l'inscription «Francois ler, Roi de France, longue vie 4 son régne», avec des fleurs de lys sculptées. Soudain, Cartier lanc¢a un cri; une escouade ~d’hommes armés sortirent du fort et se rendirent maitres de Donnacona, deux de ses gar- des, de Taignoagny et Damagaya, et rapidement déposés a bord du navire la Grande Hermine. Le tout en un tour de main, a la stu- péfaction de la foule et des gardes impuissants, qui d’ail- leurs avaient disparu dans la forét, a la suite d’un sauve- qui-peut général. Le lendemain de cet auda- cieux enlévement, les Indiens criérent «—On a tué notre Chef Donnacona». Cartier, du haut de son navire-forteresse répondit : «—Pas de déses- poir, votre Chef vous sera rendu d'ici dix ou douze lunes, il verra notre grand Roi, il aura des présents, il lui dira quelles sont les merveilles de votre pays du Kanata et du Saguenay.» Le Chef prison- nier, au fond de son ame, fut heureux de savoir qu'il ren- contrerait un Roi de France : enthousiasmé de cette idée, il harangua la foule, qui, a son tour, ovationna Donnacona. Brave types, ces Indiens. Au cours du voyage de retour, Cartier, repéra un passage inconnu entre I'Ile d’Anacosti et la Péninsule de Gaspé, puis passa au sud de Terre-Neuve, fit .escale pour quelques jours au Cap Race, avant de gagner 1’Atlantique, le 16 juillet 1536, par beau temps, a Saint-Malo, amputé de la majeure partie de ses hommes, ayant aussi aban- donné son petit navire Petite Hermine. Entretien avec le Roi Francois ler écouta avec grandintérétle récit de Cartier . portant sur sa pénétration de plus de 1 600 kms, 4a l’inté- rieur de ce continent de l’ouest et des richesses que lui avait énumérées Donnacona, jamais vues d’ailleurs ... com- me ces histoires a dormir debout, des sans nourriture, d’autres n’ayant qu'une jambe, méme i une région habitée par des % Pygmées, cela sentait le % Marius de Marseille, de notre époque ... Quoique le réve, l’ambition du Souverain portaient vers un empire d’outre-mer, il fallait attendre quelques cing & uplades vivant . la maladie, probablement psychique, les emporta peu a peu, en moins de quatre ans, seule une jeune Indienne sur- vécut, sans laisser de trace. Bonne nouvelle Pour un an ou deux Cartier pratiqua le cabotage entre les ports de France, mais tou- jours dans l’esprit l’idée de louverture du Continent de Touest. De Saint-Malo, il écrivit des lettres 4 son Sou- verain, sollicitant de lui don- ner l'occasion de diriger une autre expédition vers le Nouveau monde. En 1538, Francois ler signa un autre traité de paix avec Charles V, il eut donc les coudées franches, pour com- manditer le 3éme voyage.. Il adressa une missive, ainsi con- ' cue : «Bien-aimé, Capitaine général et pilote-chef, pour atteindre le pays du Canada, Hochelaga et aussi loin que les terres du Saguenay, vous aurez de généreuses subven- tions, afin de prendre a votre bord, pour fonder des colo- nies, des fermiers, charpen- tiers, macons, forgerons, bétail, semences, etc., ainsi ~ que des soldats et des reli- gieux.» Cartier jubila. Mauvaise nouvelle. Le revers de la médaille. Le Roi informa plus _ tard Jacques Cartier («Le bien- aimé ...») qu'il ne sera pas en charge de la future colonie d’outre-mer, mais que cet honneur sera réservé 4 un noble (les seuls, a l’€poque, capables de réaliser quelque chose de bon ...),.du nom de Jean Francois de la Roque, Sieur de Roberval (pourquoi pas aussi des Radis Rouges!) . Le Roi jugea que, certes Cartier était un habile navi- gateur, entreprenant, de grandes qualités, mais la pre- miére colonie de France requérait un homme de la noblesse a sa téte ... ainsi, il nomma de Roberval, diail- leurs en grande faveur a la cour, avec le titre pompeuxle Lieutenant-général et Gou- verneur aux pays du Canada, Saguenay et Hochelaga. années : il avait sur les bras, -5e” encore une autre guerre avec Charles V d’Espagne et d’im- portants problémes de poli- “Sag: tique intérieure. Entre temps, i il offrit a Cartier, comme récompense, le navire laj Grande Hermine, tout en lui signifiant qu'il n’y aura plus d’expédition au Canada. Jacques Cartier emmena le Chef Donnacona et les autres Indiens captifs 4 Saint-Malo, les fit baptiser, furent, =e il, de bons chrétiens. De nom- breux voyageurs-touristes vin- rent voir cet «échantillonna- ge» d’étres humains d'un autre monde. Ils furent heureux Nostalgie Aprés avoir narré leurs his- toires hautes en couleurs de leur pays, ces Indiens en eurent au ras du bol, la nostalgie les tenailla, malgré la promesse de Cartier d’un prochain retour. Ils n’avaient jamais aimé le climat de la France, ni sa nourriture, ni la vie d’étre entourés de Blancs: Résignatior Mieux que rien, Cartier se - résigna, la France, plus tard, comme on le verra, n’aura pas a s’en féliciter. Le réle de Cartier devait se porter vers la construction de cing navires a Saint-Malo, de recruter les hommes de l’équipage, les futurs colons, hommes et femmes. Comme, en ce XXéme siécle, les espions sont par- tout, Charles V d’Espagne, en avait a la Cour de France et aux ports ; il recut un messa- ge lui signalant que la France se préparait a construire de nombreux vaisseaux de guer- re, pas moins, afin de créer un vaste empire dans les parties de l’Amérique que 1’Espagne contrélait. Les espions a Saint-Malo confirmérent les faits. Le traité de Tordesillas Une digression historique importante. Charles V, outré, informa Francois ler, par le truchement de son Ambassa- deur a la Cour de France, quelle était la ligne de démar- cation que le Pape fixa a l’Espagne dans le monde de louest, par le traité de Tor- desillas du 7 juin 1494. De quoi s'agit-il? La décou- verte de Christophe Colomb provoqua des séquelles, dont la recherche d'un passage maritime vers l’Asie, qui sem- bla intéresser tout particu- ligrement I’Espagne et le Portugal, que le Pape Alexandre VI (Borgia, espa- gnol, né a Jativa, Espagne, puis italien) politique émi- nent, il fit la guerre sans pitié aux grands seigneurs italiens, mais par sa vie privée, sa duplicité, son népotisme, il fut un prince de la Renais- sance, beaucoup plus qu’un pape. Il signa une Bulle, assignant a chaque pays des zones d’exploration et d’in- fluence, afin d’éviter des con- flits possibles. Une ligne allant d’un pdle a l'autre, de l’ouest des Iles du Cap, Brésil compris, au Por- tugal, une autre comprenant toute l’Amérique a |’Espagne, si toutefois des régions n’ap- partenaient déja a d'autres nations catholiques. La réponse de Francois ler fut nette et claire, il ne reconnaissait pas tout simple- ment cette division, cette ligne, surtout depuis qu'il avait envoyé Giovanni Verrazano pour une explo- ration, il fut tué par les Espagnols pour s’étre appro- ché d’une certaine zone. La France veut sa place sous le soleil du Nouveau Monde, tout aussi bien que le Portugal et l’Espagne, diailleurs la France compte envoyer des navires dans des régions du Nord ow les Espagnols n’ont montré aucun untérét spécial. Préparatifs Le ler mai 1541, les cing navires de Cartier furent fin fj préts, mais aucune nouvelle du Sieur de Roberval, si, ce n’est qu'il avait des difficultés au” “sujet du recrutement de colons. Enfin, la rencontre eut lieu : Cartier fut éberlué en voyant la racaille autour du grand chef noble ... les futurs colons, des criminels, des voleurs, des repris de justice, fraichement sortis des pri- sons, que le Bien-aimé roi, dans sa magnanimité avait fait relachés, afin de leur donner I’occasion de se rache- ter dans le Nouveau-monde. Pourquoi pas? L’Angleterre en a fait autant, des sié- cles plus tard en Australie ... (A suivre) Vous déménagez Si vous déménagez, écri- vez ou téléphonez votre nouvelle adresse. Chaque retour cote au Soleil 37 cents. Certaines semaines, nous versons au facteur 10 dollars pour le retour de vos journaux! Un francophone en voyage L’aventure mexicaine Par Roger Dufrane (Suite) Ce vendredi soir, nous allons au concert. L’Orches- tre symphoniquede Xalapa se produit chaque semaine dans la belle salle d’une rue mon- tante, aux raides escaliers. Tapis rouge et rideau tur- quoise. Musiciens en habit: noir et choeurs en blanc. Une salle comble, religieusement attentive. Des familles, des étudiants, de jeunes entants bien vétus, sages comme des images. Les billets et les fau- teuils sont numérotés, et per- sonne ne s’en soucie sans réclamation de personne. On sait ce que sont les concerts symphoniques. Les musiciens accordent leurs ins- truments, chacun pour soi, dans une discordance a se boucher les oreilles. Un haut- boitiste donne le /a, une note pure qui prépare musiciens et auditeurs a une soirée de com- munion musicale. Sur le perron, 4 la sortie, ont lieu présentations et poi- gnées de mains mucho gusto!... Mucho gusto!... Con su permisse, senorita! Tout cela par petits groupes entre lesquels les enfants, redevenus naturels, se poursuivent. Samedi 17 mars, Comme chaque matin de bonne heure, je mets mes notes 4 jour : sorties, con- versations avec mes hétes, impressions personnelles. Il arrive que le chef d’un état démocratique aime jouer au dictateur. Ici, on a plu- tot l'impression qu’un régime dictatorial joue a la démo- cratie. On ménage la chévre et le chou. On met des poli- ciers armés devant les ban- ques et on laisse les journa- listes et les universitaires libres’ de s’exprimer. Une caricature d’un journal de Xalapa mon- trait récemment l’université avant et aprés. D’abord un recteur distribuant les coups de férule; ensuite un recteur caché derriére son bureau a lirruptiondes étudiants. Les journaux s‘adressent a toutes les classes : faits divers, pages politiques, culturelles ou sur la mode, ou spor- tives, le tout illustré de cli- chés. Voici Enrique Velasco, jeune et talentueux guitaris- te. Voici la ravissante Rossana Pinero Robles destgnata Seno- rita Rurismo. Tournons la page : quatre trafiquantsde Marijuana, capturés avec armes et bagages, se cam- pent fiérement, carabine en main, derriére les sacs rebor- dés de leur prise. Passons a la page politi- que. On y dénonce les scan- dales, mais trop tard, c’est- a-dire pour parler poétique- ment, lorsque la pie voleuse s'est envolée avec les bijoux. Aujourd’hui, jour de Saint- atrick, un missionnaire irlandais viendra déjeuner avec nous. En attendant, le fils de mon héte m’emméne dans sa Renault. Visite au Jardin botanique. Des légumes de chez nous, et d’autres dont 1’étiquette latine ne me dit rien. Des bana- niers ventrus, des caféiers, dont la baie verte renferme un grain de café tendre et pale, qu'on séche au soleil avant la torréfaction, des citronniers, des manguiers, des agaves en parasol, dont la séve fournit le pulpe dont s’enivrent les Indiens. Le directeur du jardin est absent. C’est un Anglais ren- contré au concert et qui m’aurait donné une plante que la douane canadienne aurait saisie. Tant pis! Je me propose quelque chose de mieux; une grosse bouteille d’extrait de vanille, de vraie vanille et non de vanilline. On sait que le vanillier se cul- tive dans l'état de Vera- Cruz et demande des soins attentifs et une longue patien- ce avant que ses fruits acquié- rent saveur et parfum. (A suivre) _ Hebdo-Québec Journalistes a vos marques Les 3éme Jeux mondiaux d’hiver des journalistes se tien- dront a Québec et Sainte- Foy du 31 mars au 5 avril 1985. Des représentants de 18 pays participeront a une dizai- ne de disciplines dont le hockey, le ski et le patinage de vitesse. Un colloque sur l’in- fluence de la presse spor- tive sur la jeunesse et la violence dans les sports se déroulera parallélement aux manifestations sportives. Berceaux moins nombreux En 1983, le nombre de naissances au Québec n’a été que de 90540 et il conti- nue de décroitre de facon dramatique, estime le Bureau de la statistique du Québec (BSQ). «Si la tendance se maintient, le nombre de nais- sances pourrait dans les années a venir étre inférieur au minimum de 88 118 enre- gistrées en 1982», note le -BSQ. Le taux actuel de nata- lité est de 14 naissances pour 1 000 personnes, comparati- vement a 25 naissances par 1 000 habitants il y 25 ans.: Juge québécois a’ONU Le juge. Jules Deschénes vient d’étre élu a la sous- commission des Nations unies sur Ia lutte contre la dis- crimination et la protection des minorités. Cette sous- commission compte 26 mem- -bres élus pour 3 ans; ces derniers n’y représentent pas les gouvernements de leurs_ pays, mais sont choisisa titre d’experts indépendants. Le juge Deschénes a dirigé la Cour supérieure du Québec comme juge en chef de 1973 a 1983. Médecins En 1983, le Québec comp- tait 14078 médecins dont 2 284 étaient des femmes. Le dernier rapport annuel de la Corporation _ professionnelle des médecins du Québec indi- que que les effectifs médi- caux se partageaient a peu prés également entre méde- cins spécialistes (48,7%) et omnipraticiens (44%), le res- te étant constitué de médecins résidents. L’age moyen de ces professionnels était de 42,9 ans. : - L’art vidéo Du 27 septembre au 4 octo- bre 1984, Montréal sera le site d’une rencontre internationa- le sur l’art vidéo qui com- prendra une exposition, un festival et un colloque. Selon Mme Andrée Duchaine, pré- sidente de la manifestation, la formule choisie permettra de combiner la diffusion publi- ue de la technique vidéo avec l'exercice d'une réflexion cri- tique par des professionnels d’origines variées. Onze pays _ ont :déja annoncé leur par- ticipation.