Lisez-vous les classiques et les anciens? Voici l'opinion de Marcel Proust... Si le gout des livres croit avec l'intelligence, ses dangers, nous l'avons vu, diminuent avec elle. Un esprit original sait subordonner la lecture a son activité personnelle. Elle n'est plus pour lui que la plus noble des distractions, la plus ennoblissante surtout, car, seuls, la lecture et le savoir donnent les « belles maniéres » de l'esprit. La puissance de notre sensibilité et de notre intelligence, nous ne pouvons la développer qu'en nous-mémes, dans les profondeurs de notre vie spirituelle. Mais c'est dans ce contrat avec les autres esprits qu'est la lecture, que se fait l'éducation des « fagons » de esprit. Les lettres restent, malgré tout, comme les gens de qualité de I'in- tellgence, et ignorer certain livre, certaine particularité de la science litteraire, restera toujours, méme chez un homme de gé- nie, une marque de roture intellectuelle. La distinction et la no- blesse consistent, dans l'ordre de la pensée aussi, dans une sorte de franc-maconnerie d'usages, et dans un héritage de traditions. Tres vite, dans ce gout et ce divertissement de lire, la préférence des grands €crivains va aux livres des anciens. Ceux mémes qui parurent a leurs contemporains le plus «romantiques » ne lisaient guére que les classiques. Dans la conversation de Victor Hugo, quand il parle de ses lectures, ce sont les noms de Moliére, d'Horace, d'Ovide, de Regnard, qui re- viennent le plus souvent. Alphonse Daudet, le moins livresque des écrivains, dont I'ceuvre toute de modernité et de vie semble avoir rejeté tout héritage clas- sique, lisait, citait, commentait sans cesse Pascal, Montaigne, Di- derot, Tacite. On pourrait presque aller jusqu'a dire, renouvelant peut-étre, par cette interpretation d'ailleurs toute partielle, la vieille distinction en- tre classiques et romantiques, que ce sont les publics (les publics intelligents, bien entendu) qui sont romantiques, tandis que les 8