Le Moustique Volume4 - 9° édition ISSN 1496-8304 Septembre 2001 bravoure et bav: gravade, ardage,,, La nuit n’a pas été bonne. Je me suis tourné et retourné sans parvenir a ferme: l'ceil. D’ordinaire, je dors assez bien, bercé par un murmure de riviére soutenu par le rythme des vagues. Cette fois, je n'ai entendu ni |'un ni l'autre, couverts qu’ils étaient par le bruit d'un estomac affamé. A plusieurs reprises, je me suis levé ; j'ai grignoté quelques noix, un biscuit, mais sans plaisir ni conviction. J’envisageais avec pessimiste le futur de notre expédition. II était evident que, malgré tous nos efforts, nous n’avions pas énormément progressé sur ce parcours. Nous ne cacherons a personne que nous ne sommes pas allés assez vite pour battre quelque record. Et, a force de fuir l’encombrant guide, ni assez lentement pour profiter réellement de cette cdte merveilleuse et de sa forét majestueuse. Je compte et recompte : c’est notre quatriéme nuit depuis le départ de Port Renfrew et nous avons a peine couvert dix-neuf kilométres sur les soixante-quinze au total. Un peu moins de cing kilométres par jour. Dans cinq jours, je devrais étre de retour a Victoria ou j’ai un rendez-vous important. Il nous faudrait donc compléter les cinquante-six derniers kilométres en quatre jours au plus et cela, bien sir, a la moyenne de quatorze kilométres par jour. C’est-a-dire qu’il nous faudrait aller trois fois plus vite. Ga fait beaucoup ! Cela serait sans doute possible s’il n'y avait le temps que perd ma fille a aller bafrer chez les voisins, ni les sacs horriblement lourds a porter. Quelle idée farfelue de trimbaler tout ce fatras avec nous ! Le sentier serait bien plus sympathique s'il était jalonné de petits cafés et de bons restaurants. On n’irait probablement pas plus vite. On parlerait moins de performance sportive, mais cela aurait un petit quelque chose de plus civilisé et l'on garderait certainement une impression plus enchanteresse de |’endroit. La prochaine fois, je ferai le pélerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle. La, ce sont plus de mille kilométres qu’il faut parcourir, mais, au moins, on est assuré de trouver un bistro 4 chaque coin de rue. Il y faut faire preuve d’une tres mauvaise volonté pour se retrouver a gargouiller de l’estomac une nuit entiére. Si c’est pour bénéficier des beautés de la nature, qu’au moins la mienne n’assourdisse pas l’autre. Cette insomnie tient probablement 4 mon éducation : je préfére les escargots de Bourgogne aux limaces, toutes engluées de suffisance, que l'on voit trainer sur le sentier. Au réveil, j’offre au soleil levant un visage décomposé ou I’on reconnait a peine un vague regard tout chaviré. Ma fille constate que s'il existe encore une chose vivante en moi, c'est mon estomac qui n’arréte pas de crier famine. - Ce guide me tuera ! Je n’ai pas cessé de “cauchemarder” a son sujet et j'ajoute en larmoyant qu’il nous reste encore a nous trainer cinquante-six kilométres en sa compagnie. Ma fille, pensant probablement qu'il faut battre le pére tant qu'il est chaud, me dit : - Rien ne nous empéche de le laisser tomber et de s’attacher a celui que j’ai retrouvé hier soir. Je le trouve beaucoup plus sympathique. ll était absolument inutile de me le faire remarquer ; je m’en étais rendu compte dés le premier instant. - Mais il y a le tapis de sol, dis-je trés faiblement. - Les grands explorateurs offraient plusieurs ballots de tissu aux indigénes pour le prix de leur sécurité. Je lui payerais bien volontiers deux ou trois tapis de sol pour le prix de notre liberté. Ma fille a indéniablement le sens du mélodrame et elle a en plus raison. Toutefois, je me vois mal palabrer et négocier notre libération avec ce gargon persuadé de nous aider et de nous protéger.