Le Moustique Volume 4 - 10° édition ISSN 1496-8304 Octobre 2001 Lautrec s'intéressait depuis le début des années 1890 a la représentation de femmes au lit et peut-étre faut-il y voir une référence a une scéne traitée par Courbet dés 1860. D'autre part, il y a fort a parier que, outre la représentation d'un sujet évoqué par ses contemporains Verlaine et Catulle Mendés, Toulouse-Lautrec voyait dans ces comportements marginaux un écho a ses propres souffrances morales et physiques. D'ailleurs, étrangement, l’ceuvre apparait comme l'une des plus empreintes de tendresse et d'intimité parmi celles exécutées dans les maisons closes. L'épais carton du support est tout a fait caractéristique de la technique de Toulouse-Lautrec qui, peignant 4 la pointe du pinceau sans dessin préparatoire, profitait de la couleur du matériau pour former le fond de l'ceuvre. Le sens de l'arabesque, la ligne souple et concise dénotent, quant a eux, une influence des estampes japonaises. La Téte de femme, peinte en 1896, est la encore un excellent exemple de l'art de Toulouse-Lautrec, puisqu'elle nous présente la technique originale que nous venons d'évoquer et a laquelle, parvenu a la maturité, l'artiste resta attaché toute sa vie. Ii s'agit d'une huile diluée a I'essence peinte sur un support de carton. Recherchant avant tout la spontanéité et la vérité du mouvement, Toulouse-Lautrec, plutét que de faire poser inlassablement des modéles, aimait peindre dans les lieux de plaisir, qu'il s'agisse de théatres, de maisons closes ou de salles de bal. De par son faible poids et sa commodité de transport, le carton était un matériau idéal pour ces études et a ces qualités s'ajoutait sa grande rapidité de séchage. Quant a l'emploi de I'huile diluée a I'essence, elle permettait 1a encore un séchage rapide, mais aussi et surtout rendait la technique beaucoup plus fluide et vive, permettant a Lautrec de peindre a la pointe du pinceau, 4 la maniére des peintres japonais. Par ce procédé, la peinture pouvait permettre pratiquement la méme dextérité que le dessin. Néanmoins, l'emploi de cette méthode entrainait des conséquences contradictoires : d'une part, le liant ayant migré avec I'essence a I'intérieur du carton lers de I'application, les pigments, non altérés par son vieillissement, sont restés d'une incroyable fraicheur. En revanche, le liant n'assurant plus la cohésion des pigments, les peintures de Lautrec sont souvent d'une grande fragilité et nécessitent d'étre présentées sous vitre. Outre la dimension technique, cette ceuvre nous livre aussi beaucoup de renseignements non seulement sur les sujets de prédilection de Toulouse-Lautrec, mais aussi sur ses caractéristiques stylistiques. Dans cette "Téte de femme", comme a son habitude, Toulouse-Lautrec fait jouer le ton du support comme une couleur a part entiére. Avec quelques couleurs arbitraires et outrées rappelant les éclairages violents de Degas, Lautrec brosse ici un portrait d'un réalisme violent. Curieusement, par son parallélisme, la touche n'est pas sans évoquer l'art de Cézanne : loin d'étre une coincidence fortuite, cette influence nous rappelle combien Lautrec fut a l'écoute de la peinture de son temps, sans pour autant oublier jamais ce qui faisait son originalité : l'étude passionnée du sujet vivant, qu'il s'agisse d'une danseuse ou d'un cheval ! En dehors de cette étude, la représentation du contexte environnant le modéle ne I'intéressait que fort peu, comme nous l'indique le fond laissé délibérément inacheve. Par ces caractéristiques, l'art de Lautrec se rapproche la encore énormément de celui de Degas. Le Portrait de Monsieur Tapié de Celeyran en chasseur confirme ce que nous avons dit de la technique de Lautrec en étudiant les ceuvres précédentes, le fond ayant été délibérément laissé nu. Cette ceuvre rappelle le célébre portrait du Musée Toulouse-Lautrec d'Albi représentant Maurice Joyant, le grand ami de Lautrec, en chasseur. Le personnage représenté est le Docteur Gabriel Tapié de Celeyran, cousin germain et mentor de Toulouse-Lautrec, qui avait été placé prés de lui par la famille afin de tenter de limiter ses excés de boisson. Tapié de Celeyran, dit "Tapir le scélérat", était a la fois le meilleur ami et le souffre-douleur de son génial cousin. A suivre dans le prochain Moustique...