4 - Le Soleil de Colombie, vendredi 3 avril 1987 Portrait Un vétéran des banques du Moyen-Orient Suite de la premié¢re page espagnole. I] travailla a Jérusa- lem, Hong-Kong, Philippines, Charlestown, Etats-Unis puis, ce fut sa nomination a Alexandrie. en Egypte en 1899. Jean-Baptiste Spagnolo, a titre de Consul, était appelé a étre transféré un peu partout dans le monde. En 1907, il est assigné 4 Alexandrie. La famille Spagnolo le suivra. “J’états bien heureux de. cette circonstance qui m'a permis de fréquenter le collége St- Frangots-Xavier des Péres Jésut- tes”, ow il fera d’ailleurs une bonne partie de ses études. M. Spagnolo précise “Nous étions 250 étudiants provenant des grandes familles européennes quit ont faconné cette terre des Pharaons. C’était les hautes études. Le régime était trés sévére, c’est-a- dire au doigt et a l'oeil, mats nous apprenions du solide... C’était des études classiques, le latin, les langues... La langue frang¢aise était trés poussée. Nous avions d’excellents. professeurs dont entre autres, le préfet, Pére de Castelneau, le frére du Maréchal Castelneau et bras droit du Maréchal Joffre... Alors vous comprenez quiavec de tels professeurs et une telle éduca-, tion, nous étions des hommes blindés pour l'avenir quand nous quittions le collége.” C’est a cet endroit qu’il établi la Gazette de la quatriéme. Cet hebdomadaire qui était écrit a la main et polycopié sur de la :, était vendu dans la cour . a une ‘Ppiastre eae Il y avait des concours et le gagnant recevait un bouquin... Mais un jour, le préfet, Pére de Castelneau, le notifia de cesser ladite publica- tion qui, selon lui, était une excellente initiative mais qui, malheureusement, empiétait sur ses études et celles de _ ses collaborateurs. Il entra donc dans la clandestinité, pour deux semaines. “Pas de mic-mac avec les Jésuttes,” dit-il-en riant. “En 1914, jat quitté les Péres Jésuttes pour le Lycée Frangats de la Mission Laique, qui venait alors dinaugurer son superbe établissement. Je voulats faire des études plus pratiques dans le domaine des affatres: le commer- ce, la banque, etc... Mon proviseur était Marcel Fort, frére de Paul Fort, le poéte frangazs, auteur des Ballades Francaises. En 1918, lorsque -la » guerre touchatt a sa fin et que la Méditerranée était infestée de sous-marins allemands, j'ai obte- nu mon dipléme du Gouverne- ment francais. J'ai pensé aller a Montpellier faire des études a Vécole d’Agronomie mais, avec la guerre qui sévissazt zl ne fallait pas trop y penser.” C’est en 1919 que son pére, un ancien du Crédit Lyonnais, est appelé a établir la grande banque italienne Banco di Roma pour des agences en Palestine, au Liban et en Syrie. ‘Je l’ai rejoint et je suts resté sous l’égide de mon pére pendant 11 ans. C’était trés intéressant... ce devait l’étre putsque je suts resté 53 ans dans les banques du Moyen-Orient. Jai donc bifurqué vers’ les institutions financiéres comme le’ paternel et trots de mes fréres. Je suts devenu un expert. De plus, . 7 états le seul a obtentr une voiture et toutes les filles me couratent aprés. Cela ne me déplaisait pas,” dit-il le sourire aux lévres. Parce qu'il ne pouvait obtenir d’avancement, son pére décida de le transférer 4 Beyrouth ‘au Liban. C’était en 1929. De 1919 a cette date, il vit tous les événements. entourant |l’arrivée des Juifs d'Europe, la création de Tel-Aviv sur les sables au bord de la Méditerranée, les remous des natifs... A Beyrouth, il travailla dans la banque Banco di Roma qui avait été établie par son pére. “Quand je suts arrivé dans cette région, il n’y avatt que trots banques et quand j'ai quitté Beyrouth pour le Canada en 1972, il y en avait 90. Il s'agissait de toutes les grandes institutions financtéres du monde occidental, plusieurs du bloc communiste et associées avec des Libanatses, également, la Russe, Moscow Narodny Banq, etc. Cela donna a ce petit pays de 4500 milles carrés, un mouchoir de poche quoil, un essor fabuleux en plus du surnom de la Suisse de l’Orient. C'est quot actuellement?” Fin 1934, pendant la période du fascisme de Mussolini, c’est l'instauration dans les organismes clefs, d’éléments de son parti et, surtout dit-il, “pas d’étranger!”’ M. Spagnolo a quitté cette institution italienne pour étre engagé par le milliardaire le Baron Luis Empain, pour établir la Banque Belge pour I’Industrie en Palestine et au Liban, comme il venait de le faire en Palestine avec son pére. “Je lai créée de toute préce en employant de bons éléments de la Banque italienne qui étaient mécontents de lortentation politique. Vistonnatre sur les bords, le Baron Empain pressentatt la guerre putsque Neville Chamber- lain, Vhomme au paraplute, et sa rencontre avec Hitler @ Munich ne lutdisatentrien de bon. La Belgique serait envahie. Il fit don de son Palais de marbre a son pays pour en faire un musée, se constitua d'importants intéréts foncters au Québec et me chargea aussi bien que mon pére de liquider ses agences a sa premiére notification. Plus est, me proposatt un poste au Québec fin 1938. Mon destin devait miamener fatalement au Cana- da... 34 ans plus tard.” En 1936, la Turquie avait pris du mordant et elle revendiqua la restitution des deux provinces. Antioche et Alexandrette, don- nées généreusement- par la Francea la Syrie par le traité de Versailles. La Société des Nations a Genéve, décida un plébiscite entre les deux pays. Comme appartenant a un pays neutre, M. Spagnolo fit parti de la Commission de Contréle. Résul- tat, zéro... La Turquie fit occuper les deux provinces par son armée. “C’est tout!” dit-il. La Banque du Liban et d’Outre-Mer a été une autre création de M. Spagnolo qui y travailla 11 années et, 10 autres dans les Banques del’Industrie et du commerce. Toutes deux avaient des capitaux des pays du pétrole. Entretemps, en 1942, alors que l’Espagne n’avait pas reconnu. l’indépendance du Liban et de la Syrie, il assuma l'intérimat du consulat qui devait durercing années. II est ensuite décoré en 1947, du Mérite Civil Espagnol. “Quand j'ai finalement décidé de prendre ma retraite a 71 ans, apres 42 ans d’activités fébriles dans diverses banquesydu Liban, la plupart pour en établir la texture administrative, 7 états pratiquement le vétéran des banques. J’y ai vécu une vie enrichissante et j at eu d’excellen- tes relations avec les institutions financtéres. La retraite, c’est le repos du guerrier. Mon fils a Vancouver depuis 1966 et sa jeune femme, m’ont incité a venir avec ma femme les rejoindre dans ce beau pays qu’est le Canada. Quand j'ai mis mes deux pieds a Vaéroport international de Van- couver, je me suits mis @ la longueurd’ondes,tout azimut, du pays, sans rechigner sur certains modes de vie, de conceptions, sui goneris du pays, comme le fait une catégorie dimmigrants qui pourtant, nous est trés proche. Le couple Roméo Paquette, a mes premiers débuts, m’a servi de tremplin pour me faire connaitre tout d’abord M. Piolat et son oeuvre. Puts, la radio, la télévision, le Cercle frangats de Coquitlam, dont je devins le président, pendant de nombreu- ses années @ installer la culture frangaise. Jat par contre ms en évidence les retombées de notre hebdomadaire national sur votre communauté, mot-méme y wi- vant en symbiose.” Avec un engouement trés marqué, M. Alexandre Spagnolo n’a pas lésiné dans le monde de la francophonie. Plus de 400 articles ont été écrits dans Le Soleil de Colombie, il a été nommé vice-président du presti-. gieux Club-Richelieu “durant son existence malheureusement éphémeére dans cette 3éme ville du Canada.” Secrétaire du Centre culturel colombien “lors d'une période ou i fallut redresser une situation durement pénible, duead lindélicatesse du directeur qui s’évanoutt dans la nature avec la catsse et les livres comptables.” Membre adminis- trateur de la Société Historique Franco-Colombienne oi il s’acti- va a fond dans le domaine de Vhistoire des. vaillants explora- teurs de C.B. Il devint membre de l’Alliance francaise, il couvra plus de 15 comptes-rendus des plus impor- tantes conférences de délégués de « Paris, puis, pour satisfaire le désir de son fils, rédigea les Souvenirs d'un Levantin (Européen né dans les Pays du Levant qui sont en Gréce, Turquie, Liban, Palestine et Egypte) jouissant des priviléges des capztulations éta- blies par Francois Ier et le Sultan de Turquie. Il participe égale- ment a l’émission Les ateliers de Radio-Canada oi il fait l’histori- -que des villes de Vancouver, Maillardville et Burnaby ainsi qu’a celle de Phare-Ouest ow il raconte la Nouvelle Calédonie. L’émission est produite par Jacques Ségard et l’entrevue est réalisée par Héléne Deggan. Les exploits de M. spagnolo sont interminables, mais tous ont ~ leur raison d’étre, puisqu’ils font avancer la francophonie d’une maniére ou d’une autre. Veuf, M. Spagnolo vit mainte- nant a Port Moody avec sa soeur, pas trés loin de son fils, sa femme et ses deux filles. Ce Levantin réve encore aujourd’hui de faire publier une partie de ses écrits afin de faire partager, dans Vhumour, ses connaissances. Avec ce dynamisme et cette forte personnalité, il n’est pas dit que ce souhait ne sera pas exaucé. C'est la grace qu’on lui souhaite... Evocation de Montréal Par Roger Dufrane L’autre jour, je songeais devant un tableau représentant une scene du Vieux Montréal. La peinture alliait singuliérement réalisme et poésie : couleurs a la Vlaminck, nuances a la Watteau. Scéne d’automne. De rares feuilles oscillaient 4 la pointe des hauts arbres. Les édifices de pierre rappelaient la France ancienne. A leurs pieds, quelques tentes, et la foule barriolée et fantasque. Une amie admirait avec moi. “Aimez-vous le vieux Montréal? me dit-elle. J’y suzs allée récemment avec ma fille. Nous avons diné au restaurant des Filles du Roy.” “Ah out, les Filles du Roy. Vous voulez dire ces malheureuses venues le soir a la fontaine et que les sergents enlevazent. On les déportait en Novvelle-France pour leur faire épouser les Lafleur, les Laviolette, les Latulipe, soldats devenus défrt- cheurs.” “Allons allons— Vous révez! Fanfan Latulipe n'ajamats quitté les alentours de Paris. Les sergents racoleurs avaient beau luz présenter poulardes ou grives au bout de leur épée, Fanfan ne marchatt pas. Il préfératt courtr les filles entre Gonesse et Saint-Denis. Revenons a nos moutons. Sachez qu’au restau- rant des Filles du Roy j'ai diné comme une reine dans un décor typiquement canadien frangats. Les meubles, d’un style élégant et sobre, stnspirent du style Louzs XV en moins fignolé. Sur les murs aux riches botseries, des tableaux représentatent des scénes coloniales. Le restaurant se partage en plusieurs salles. On y voit, autour de la cutsine, des crédences en bots d’érable, des cutvres aux teintes chaudes. Le buffet présentazt des tourttéres au fumet délicteux et des jambons enrobés d’un glagage de strop. d’érable. Les vins du Québec, avec leur bouquet régional, conféraient a l’ensemble une saveur de terrotr. Sur les grands plateaux a dessert se voyatent des bonbons d’érable pur. A cette alléchante description, je me rappelais mes passages a Montréal. Jeus l’occasion de diner dans un manoir de Tile Héléne de Champlain, sur le fleuve Saint-Laurent. Poursui- vant mes pensées, je revoyais comme dans un réve rapide et ramassé quelques images de la ville. Je repensais 4 Montréal moderne, de carrure américaine, aux églises et cathédrales qui s’y imbriquent, cramponnées semble-t-il, 4 la tradition et a Vhistoire. J’entendais au tréfonds de ma mémoire le son des cloches qui dans le gris de l’aube, avant le cortége tonitruant des autos, font réver, malgré les neiges et les bourrasques, de douce France et de Paques fleuries. Je me revois parcourant dans toute son étendue la rue Sainte-Catherine. Elle est fort passante, avec ses boutiques de vétements, ses croissanteries, ses restaurants ow l’on mange sur le pouce ou dans un fauteuil selon, ses moyens. Voila quelques années, la rue Sainte-Catherine, d’une rigidité plutét britannique dans l’Ouest, se “latinisait” pourrait-on dire en avancant vers l’est. Dans ses apports les plus solides, Montréal apparait double. Le symbole de cette dualité? Les riches Canadiens anglais de Westmount; les riches Canadiens francais d’Outremont. Les deux communautés se mélent peu. Non seulement 4 Montréal, mais partout dans le Dominion, quand les Canadiens anglais prononcent “Montreaul”, ils annexent, mine de rien, la grande ville. Les intellectuels d’origine britanni- que ignorent l'Université de Montréal, la plus grande université francaise hors de la France métropolitaine. Et ils en ont plein la bouche de leur Université McGill, qui * est dailleurs remarquable; mais n’en demeure pas moins un bastion de la présence “Anglo- Saxone”. Les avaient Anglais pris Montréal aprés Louisbourg et = Québec. Bousculés par les Américains auxquels les Francais avaient, sous Lafayette et Rochambeau, prétés main forte ils avaient transformé Montréal en ville fortifiée : la capitale de ce quisubsistait de l’Empire Anglais d’ Amérique. Mais tout cela c’est du passé. -Sous les alluvions successives amenées par les Britanniques; puis aprés 1944 surtout par les immigrants, j'aime a croire que Montréal est restée francaise, ou plutét canadienne francaise. Certes, depuis la reine Victoria et jusqu’en 1930 l’élite et la richesse . y furent anglaises. Mais ]’immi- gration des ruraux du Québec et le clergé y ont maintenu le francais. Les descendants de ces campagnards devenus citadins mettent de la fraicheur dans la ville, avec les marchés qu'on découvre avec surprise. ~ Ils habitent les quartiers populaires de l’Est. La d’immenses escaliers flanquant les maisons, les larges palliers, entretiennent une vie communautaire intense. Et la marmaille y grouille, moins ces derniéres années, les familles de dix et douze enfants se faisant rares. Depuis Exposition de 1967 (50 000 visiteurs) Montréal est devenue cosmopolite. Non loin des marchés canadiens frangais se voient des marchés italiens ou portugais. En dépit des six mois de neige annuelle, l’exubérance “Jatine” y régne. La il semble qu’on sente que Montréal se situe sur la méme latitude que Génes, Venise, ou Florence. Pour moi, j'ai toujours aimé, lors de mes brefs séjours, dénicher dans l’urbanisme de cette métropole, cette Ville- Marie fondée jadis par Monsieur de Maisonneuve, les souvenirs de la France lointaine.