ee es a ee 1 ‘Le Soleil de Colombie,.Vendredi 17 Mars 1978 7. 30 P'TITES MINUTES * avec Hubert Gauthier (deuxiéme partie) L’avenir des héritiers... En régle générale, la situation des francophones hors Québec est pénible. Hubert Gauthier I’a clairement inidiqué dans la premiére partie de cette entrevue, en soulignant notamment la nature de la lutte qui se livre pour conserver Videntité francophone en milieu majoritairement anglophone. Les faits mentionnés ne sont pas nouveaux, mais ils sont nettement exposés. Monsieur Gauthier a traité de la place du francophone dans sa communauté, des problémes aux- quels il fait face lorsqu’il s’agit de choisir une école pour ses enfants, de leur demander d’écouter la radio et la télé frangaises, d’obtenir des soins accordés par du personnel parlant francais, ou tout simplement de former une équipe de hockey en utilisanta langue de Moliére. Dans cette deuxiéme partie, Hubert Gauthier apporte d’autres faits et tire une conclusion sur l|’ensemble des réflexions qu’il nous a livrées. par Guy O’Bomsawin photos Francine Lalonde C’est plus cher Les garderies: ¢a c’est essentiel. Les femmes veulent aller travailler et elles veulent une garderie frangaise. Bien, dans la majorité des régions du pays, y compris Ot- tawa, il faut que tu payes plus cher, si tu es francophone, pour envoyer ton enfant dans une garderie ‘‘privée” parce que les garderies publiques qui sont a Ottawa, par exemple, sont des garderies bilingues; c’est-a- dire anglophones. Ca, je l’ai vérifié! : Les francophones vivent cette situation-la; méme les plus convaincus . . . C’est ¢a leur contexte de vie de tous les jours. Un autre exemple: les francophones vont-ils aller se battre pour protester a cause d’une contravention rédigée p en anglais? Ils vont dire ‘‘Pour cing dollars, je ne suis pas pour aller me chicaner en cour. Je n'ai pas le temps. J'ai **ma job", j‘ai mon pain a gagner et s‘il faut que j'attende, ¢a va probablement me couter pas mal plus cher"’. -Le gars ordinaire fonctionne comme ca, comme ton anglophone. Lui, le francophone, il faut qu’il ait une con- duite exemplaire, que j’appelle quasiment angélique, pour pouvoir arriver a vivre comme ¢a. Un autre exemple: a toute heure, si on fait un interur- bain, on est obligé de patienter cing minutes pour avoir une standardiste frangaise, et lorsque tu t’éloignes de l’Ontario, _ tune les as quasiment pas ces possibilités-la. Alors, quand tu vois ¢a tous les jours... “Quoh!”’ Tu dis “Le francophone parle anglais a ses jeunes dans sa famille’. C’est le résultat de tout ce qui étouffe tran- P&R705A quillement son contexte familial, devenu derniére chan- ce... Ce n’est plus comme autrefois, quand tu avais une deuxieme cloison qui entourait ta maison et ou c’était étan- che! Non, non, ce n’est pas étanche. La télévision, les loisirs, l’école, les services de santé, tout passe par dessus. Tout entre dans la maison, de nos jours. ‘ Alors, mon francophone, lui, est constamment sous pression. Puis tranquillement le cercle se rapetisse et sans s’en rendre compte et je dis bien ‘sans s'en rendre comp- te’’, il en devient peu a peu victime. A un moment donné, il se rend compte de la situation, soit parce que quelqu’un le lui a dit, soit parce qu’il a lu “Les héritiers de Lord Durham”’. Sa ‘réaction? “‘Ben, tabarnouche, j’suis rendu loin. Y faut que je fasse quelque chose pour faire reculer ce mur-la. Que j‘aille m'‘attaquer @ des gros morceaux"’. De dire, par conséquent, que le francophone ne fait pas tout ce qu’il peut dans sa maison, moi je dis “‘Ouoh!" D’aprés le tableau que tu me brosses du francophone en tant qu’individu vivant hors Québec, vraisemblablement que dans aucun de ces milieux, il ne soit possible de vivre, d’avoir une vie sociale en francais. Est-ce qu’il n’y a pas certains coins o0 on a réussi a surmonter ces difficultés-la? Il y a certains coins au Nouveau-Brunswick ou c’est possible, parce qu’il y a la encore beaucoup d’unilingues francophones. I] y a certains coins, aussi, dans l'Est on- ' tarien. Comment ont-ils réussi? Ils n’ont pas réussi, ils ont survécu par la force du nom- bre et la force de leur isolement. Est-ce que des ghettos se sont formés? _ Pas vraiment, parce que, géographiquement, les fran- cophones étaient regroupés. Ceci les a favorisés; par exem- ple, au Manitoba, il y a cértaines régions ou les fran- cophones sont géographiquement bien situés. Ceux-la se défendent mieux. Mais tranquillement, les pressions dont je te parlais se manifestent. La région Est-ontarienne est aussi, sinon plus, menacée par une foule de choses qui sont survenues récemment. Par exemple, les grandes autoroutes qui sont construites pour diriger la circulation 4 Toronto ou ailleurs. Les gens sont victimes de ce genre de choses parce qu’ils ne sont pas im- pliqués au niveau des décisions, et que ces travaux risquent de briser leur environnement. Le travail que nos associations essaient de faire est justement d’apprendre aux gens a réagir face a ce qui les menace. Si on réussit, on aura la moitié du chemin de fait. _ Ily a aussi une autre part de responsabilité, qui appar- tient aux gouvernements. Ceux-ci doivent accepter certai- nes situations, sans quoi il n’y a rien 4 faire. Modus vivendi Est-ce que les francophones hors Québec qui sont a quelque palier de gouvernement que ce soit, s’occupent vraiment, d’aprés vous, de la cause francophone? Je pense que de la méme facon que ton francophone dans sa maison est victime d’un ‘‘encloitrement”’, ton fonc- tionnaire, qu’il soit fédéral ou provincial, est victime de la méme chose. Parce que le systeme gouvernemental n’est pas majoritairement francophone. Alors le francophone en situation minoritaire au gouvernement aura la réaction suivante: ‘‘Si je vais un peu trop fort, je vais me faire taper sur le nez par les anglophones’’. Tu retrouves deux catégories de francos au gouvernement: ceux qui sont vic- ‘times de choses comme ¢a, et moi je ne les blame qu’a moitié; et ceux qui aident quasiment le systeme a étre com- meil est. : : Grosso modo, il y a un paquet de francophones bien mal a l’aise la-dedans. Je comprends qu’ils soient victimes d’un systéme, et c’est pour ¢a que l’on comprend ce que ¢a prend comme changements au niveau des gouvernements. Ce que les gouvernements ne veulent pas comprendre. ~ Uncoup de barre Si on veut étre clairvoyant, est-ce que tu vois, dans 20 ou 30 ans, une société francophone hors Québec autre que celle que l’on connait actuellement? Présentement, je ne suis pas en mesure de faire des prédictions pour 20 ou 30 ans. Au point ou en sont.les choses, et c’est ce qu’on a dit dans ‘Les héritiers de Lord Durham’, il n’est pas question de parler de développement. Il faudrait pourtant en discuter, mais comme c’est la, on n’a méme pas abouti a en parler et encore moins a trouver des moyens pour faire du développement et théoriser sur ce qui va se passer dans 10 ou 20 ans. La plupart de notre monde est d’un réalisme assez franc. C’est d’ailleurs pour ¢a qu’on a écrit “Les héritiers de Lord Durham’’, parce qu’autrement on n’aurait pas pu le faire. Actuellement, on est dans un combat de survivance et non pas dans un combat de développement. On se bat pour chaque pied qu’on essaie de nous enlever. (a n’avance pas, ’ parce que si ¢a avancait, on arréterait |’assimilation et elle n’arréte pas actuellement; les chiffres de 1976 l’ont démon- tré. Maintenant, la réaction de beaucoup de monde, y com- pris les gouvernements, est de dire que notre leadership est bien pessimiste. Mais moi je pense qu’on est des réalistes et que s’iln’y a pas vraiment un coup de barre magistral d’ici quelques années — je dis bien quelques années et non pas Suite a la page...8