20 Le Soleil ide Colombie, Vendredi 24 novembre 1978 11 NOVEMBRE par Roger DUFRANE Le soleil brille dans un ciel bleu pale. Les montagnes plus sombres se détachent sur le décor. L’air vif picote les joues. Ov allons-nous en ce samedi matin? Voir le défilé de l’Armistice, le cor- tége du soixantiéme anni- versaire de la premiére guerre mondiale. Les rares passagers de l’autobus arbo- rent a la boutonniére le coquelicot, le petit pavot sauvage, la fleur fragile et sans parfum, ou _ plutét d’'amére senteur, qui illumi- ne les champs de blé des plaines de Flandre, symbole ici du sang versé outre- mer. Les rues du centre sont calmes et désertes. Un cli- mat d’attente semble ré- gner. Un policier, indulgent laisse l’innocent piéton que je suis traverser impuné- ment le feu rouge. Je des- cends sur Hastings Street et me“ dirige vers le Céno- taphe ou se tiendra la céré- monie. Déja la foule s’ag- glomére. Les cadets et mili- ciens, sanglés dans le nouvel uniforme vert de l’armée canadienne, se rangent en bon ordre, au cété d'autres, plus agés, armés de corne- muses et vétus du kilt et du tartan écossais. Ces “hom- mes a cottes” dont la vé- ture bariolée et plissée amu- sait les petits poulbots de vous m’en par: 1918 et les petits gavroches de 1944, n’ont ici rien de risible grace a leur pres- tance. J’ai toujours aimé les concerts et défilés militaires. Le clinquant des trompet- tes, le bon ordre des mar- ches, les appels de clairon ou de tambour ou les plaintes de cornemuse, tout cela me plait. Le clairon! Allégresse des armistices de Belgique et de France qui commé- morent la liberté retrouvée et l’ennemi impur rejeté par-dela les frontiéres. La cornemuse! Nostalgie d’une cérémonie dédiée a ceux qui ont perdu la vie sur un lointain continent, celui-mé- me de leurs ancétres. _ Au son des cantiques, a la solennité des gestes, ma jeune voisine se trouve bou- leversée et se tamponne les yeux. Et 4 la vue de l’avo- cat qui dépose une gerbe au nom des martyrs du bar- reau, elle ne voit plus en lui un comédien de tribunal, mais un citoyen accomplis- sant son devoir de patriote. Entre deux élégies, les mouettes jettent leur cri plaintif. Derriére moi, deux anciens combattants, mé- daillés et enrubannés, fre- donnent le-chant ot les entraine la voix sonore du Sergent Petrie, de la Police de Vancouver. La voix chau- de et ample, qui nous revient chaque année, émeut I’assis- direz tant Louis-Paul Beguin Se faire comprendre ls ne suffit pas d’écrire. Encore faut-il se faire com- prendre. On est parfois. 6ton- né de lire des textes qui sont hermétiques, mal construits ou simplement brumeux. Pourtant avec quelques prin- cipes pour se guider, il serait facile de communiquer par l'écriture sans crainte de ne pas 6tre compris. 1. D'abord, il faut faire des phrases courtes. Les longues phrases «a la Proust» ne sont pas pour le commun des mortels. La concision dans les phrases, d'une vingtaine de mots chacune, permet d’'y mettre une idée claire. 2. Relire sa phrase. L’élaguer le plus possible. C’est ce que je fais et il m’arrive, lorsque je lis mon texte imprimé de me reprocher, malgré tout, une phrase trop longue, un complément inutile, une ré- pétition. 3. Il faut et cela est impor- tant, choisir des mots con- nus. On est surpris de relire les classiques qui ont dit tant de choses en employant un vocabulaire simple. Peu de mots de quatre syllabes. Le: vocabulaire de Moliére était, je crois, de 500 mots. Et quels chefs d’oeuvre il a écrit avec si peu- de mots. Les philosophes d’aujour- d’hui ( Sarte et Lacan surtout) utilisent des termes que seuls quelques initiés saisis- sent. 4. Oter de ses phrases les: Mais, cependant, en fait, de toutes fagons, quand ils ne saires a la compréhension. Léautaud avait demandé qu'on enléve toutes ces char- niéres inutiles de ses manus- crits. Son exécutrice, Marie Dormoy le signale mais dé- clare qu’elle ne |’a pas fait. 5: Eviter le passif, a l’anglai- se. Le verbe actif est plus direct. 6. Quand c’est possible, uti- liser le style «parlé». 7. Dans un texte al'intention du public, ou d’un corres- pondant peu connu, il ne faut jamais trouver bon d’em-. ployer des expressions vul- gaires, trop familiéres Ou joualisantes. C’est un man- que de respect. Le tutoie- ment n'est pas permis quand on s’adresse au public, et l'Etat surtout n'a pas 4 tutoyer les citoyens, si ce, n'est les enfants. 8. Ii faut savoir faire image. Autrement dit, quelques mé- taphores, des comparaisons, qui permettront au lecteur de «voirm mieux le sens des phrases. Mais il ne faut pas en abuser. : 9. Il faut, autant que possi- ble, rester dans le concret. En frangais moderne, on a tendance a écrire un style abstrait qui complique le travail de compréhension de. _la personne qui lit et qui n'est pas toujours capable de comprendre de grandes idées abstraites. Il faut se mettre a la place du lecteur. 7% 10. Enfin, il faut écrire pour dire quelque chose. ll ne faut . pas «s’écouter» écrire, si tance. Mes deux voisins ne sen attristent pas. Ils sou- rient. Que viennent-ils faire ici, sinon évoquer leurs vingt ans. Tout 4 l'heure, ils iront se rafraichir d’une chopine de biére dans quelque hall de la Légion. Ils évoqueront Bruxelles et Mons pavoi- sées, les discours des bour- guemestres, les jeunes filles agrippées a leur char et leur jetant des fleurs. Et les fa- milles qui les invitaient! Et les bonnes tartes et les galettes! Et les bons vins et la bonne biére, la biére.en pots, puisée au tonneau et que la maman montait de la cave. 11 heures! Les cloches sonnent ala cathédrale du Rosaire. Les canons, que jimagine pointés de l’autre coté de l’eau, la-bas, dans une clairiére du. Pare Stan- ley, tonnent et déchirent les draps bleus du ciel. Au recueillement de la foule, je ne puis me défendre de songer: autre pays, autres idéaux! Le soldat frangais défendait le sol méme de sa patrie; le soldat canadien un idéal de liberté dont on lui rabachait les oreilles. L’un et l'autre se valent. Qu’est-ce qu'un idéal? Quelque chose qui masque sous de belles couleurs notre besoin de vivre en paix et de pros- pérer. Un idéal, c’est la maison, |’épouse, les enfants. Pour ]’industriel, un autre idéal, c’est l’usine. Peu im- porte que les capitalistes et les possédants exploitent les sentiment un peu naifs de la masse. Ils le font de bonne foi. Pour eux, la patrie et servir la patrie, c'est défen- dre la terre ot fument leurs usines, la terre qui les enri- chit et leur permet de se montrer généreux envers leurs subalternes. Une escadrille passe dans le ciel. Mes méditations s’en- volent avec les mouettes. Le cortége se forme et défile, musique en téte. Or, voila que je découvre cette fois au cortége de l’Armis- tice un sens et un symbole nouveaux. Plusieurs généra- tions y participent, synthése du destin. Les vieux, les citoyens entre deux ages, les jeunes: les générations qui montent et celles qui descen- dent. Ce qui m’attriste en ce défilé, par ailleurs pimpant et plein de vie, c’est de ne plus voir en groupe les anciens combattants de 1914-1918. Trop rares au- jourd’hui, on les a incorpo- rés parmi leurs fréres de 1940---1945. Et ce qui me désole davantage, c’est de constater que les vétérans de 1940 ont maintenant l’age de ceux de 1917 que j’ad- mirais lors de mon arrivée a Vancouver. La vie est belle, le temps passe, mais nul de nous ne rajeunit! «La vérité sur le Soleil» Avant de s’endormir, le soleil, tel un sorbet a l’orange, sirote une glace a la pistache A lombre d’un nuage de mousseline. Puis, il accroche la lune, ronde et pleine Qui surprend la vue Provocante, tel un sein nu Jaillissant soudain de l’ombre sereine Enfin, écoeuré, Il allume des lampions, ici et ici et 1a; Etoiles fixes ou filantes Cela n’a pas d’importance: Pourvu qu'il y voit! Et la nuit s’épaissit, clémente, de plus en plus dense, Une nuit a la dérive qui n’en finit plus; Comme la mer 4a perte de vue, Fantématique et troublante. Et les arbres déambulent sur leur rhume Tels des somnambules, Sur les pavés rouillés de brume Au clair de lune amertume Puis, la rosée donne le sein a la terre Qui s’éveille, engourdie, Dans son berceau de pissenlits Perdu dans l’univers. MARISOL Poéme Pluie pleut pleurs d'argent zébrant la ville lavant les vitres d’autos fouettant les fronts Ne boude pas, pluie; tu peux pleurer d sauf dans mon coeur Nigel BARBOUR Une expression fautive L’expression: “Vous n’étes pas sans ignorer,” est fautive. Il faut dire: “Vous n’ignorez pas,” ou: “Vous n’étes pas sans savoir.” — On entend souvent cette expression fautive que les gens disent sans se rendre compte. Il y a aussi une accep- tion anglaise du verbe to ignore, que le francais ne connait pas dans son équi- valent: ignorer. On dit correctement en anglais ‘I ignore him”, en voulant dire: “Je ne fais pas attention a lui.” SOM PAS, MIM EN 5 LECR 5 wd O86 UE srusainenctese Mais en francais, le verke ignorer ne peut marquer l'abstention, le fait de tenir quelqu’'un ou quelque chose a l’écart. Ignorer, c’est ne pas sa- voir. On trouve parfois dans le courrier un avis de paiement ou un rappel qui porte cette phrase: “Si vous avez fait le nécessaire, ignorez cet avis.” C’est une tournure fauti- ve. , L’expression correcte est: Si vous avez fait le néces- saire, ne tenez pas compte de cet avis, Louis-Paul Béguin Lisez les écrivains francophones Paul Morand Romancier francais, né a Paris en 1888 et récem- mennt disparu. Fils d’un auteur dramatique, il étudia 4 Oxford et voyagea a tra- vers l'Europe. En 1913, regu au Concours des Affaires Etrangeres, il devint Secré- taire d’Ambassade 4 Rome puis 4 Madrid, attaché au Quai d’Orsay, chargé d’affai- res 4 Bangkok. En 1940, il fut ministre plénipotentiaire 4 Bucarest puis ambassadeur a Berne. Révoqué a la Libération, il fut par la suite réintégré a son rang et élu a |’Académie francaise. - Dans un style précis et coloré, souvent proche du reportage, il raconte ses expériences de voyageur qui a beaucoup observé et com- pris. C’est un écrivain moderne et cosmopolite, épithétes que l’on applique a un cer- tain nombre de romanciers francais de l’entre-deux - guerres, tels que Joseph Kessel et Blaise Cendras. EDITEURS: Grasset, Livre de Poche. PARMI SES MEILLEU- Ily a, sans doute, de gros paquebots-poste dans la tempéte, le nez dans la vague, poussant leur charge, gémissant dans le noir absolu, avancgant durement, balayés de pluie, tordus par le vent, avec la poupe tantét dans le ciel et tantét au fond de I’abime, et... I’on pense a son cabinet de travail en France, aux antipodes, a la bonne terre ou tout est stable...