En étes-vous sir ? Jaime prendre |’autobus en fin de journée. Comme chacun, je tra- vaille au centre-ville, loge en banlieue et, ainsi que beaucoup d’entre eux, jemploie les transports publics. Plus rares sont ceux dont la profession, comme la mienne, ne leur permet pas de voir grand monde. Aussi, en fin d’aprés-midi, me fais-je un réel plaisir 4 coudoyer la foule prés de l’abribus, a attendre, parfois longtemps, de pouvoir monter dans la navette. A m’asseoir parmi tous ces étrangers pour une longue randonnée dans un véhicule finale- ment trés spécial, car il est le seul 4 desservir le faubourg ot je m’en retourne tous les soirs. Je ne m’ennuie jamais a faire le pied de grue sur mon bout de trot- toir. Nombre de passants se croisent en tous sens. Certains ont des physiono- mies intéressantes et me donnent I’envie de les arréter, de leur parler de tout et de rien. D’autres semblent vidés de leur substance et se déplacent a la ma- niére de morts-vivants. Ceux-la, je les laisse en paix. Ils n’entendraient d’ail- leurs pas mes appels. Plus rarement, quelques fort jolies femmes se laissent observer du coin de l’ceil et me font découvrir, 4 ma grande joie, qu’elles existent vraiment et se rencontrent parfois en dehors des revues de mode. Enfin, j’aime les magasins, toujours les mémes et si essentiels 4 mon exis- tence. D’autant plus qu’a ce coin-ci de carrefour, plusieurs présentent énor- mément d’attrait. A deux pas de l’arrét d’autobus, une patisserie belge se drape de senteurs appétissantes et, devant la vitrine, j’en arrive presque 4 me déshydrater 4 trop baver d’envie. On y voit de petits gateaux a la pate légére et délicatement croquante, fourrés de créme patissiére et gonflés de chantilly. On y remarque notamment des cygnes que, depuis l’enfance, je déguste avec une cruelle délectation. Je leur arrache d’abord la téte et la croque sans ver- gogne. Le peu de créme fraiche attachée 4 la base du long cou est un prélude a immense plaisir 4 venir. Sadiquement, je les débarrasse ensuite de leurs ailes, légérement caramélisées et encore mieux trempées de créme. Finale- ment, j’assouvis ma férocité gourmande en mordant 4 pleines dents le corps gonflé de saveurs qui m’éclate dans la bouche. J’ai une méthode différente pour approcher chacun des gateaux de la vitrine et du présentoir & c6té de la caisse. Jamais je ne mangerai un saint- honoré a la fagon d’un mille-feuille. ’applique toujours trés spécifiquement la technique appropriée, sans dérogation aucune et avec un conservatisme obstiné qui, en plus de ma cruauté envers les cygnes 4 la créme fraiche, est mon seul réel défaut. A peine plus loin, je m’offre également un fleuriste chez qui, au printemps, je viens humer le parfum des jacinthes et des lilas, puis plus tard 9