Mai 1968 L’APPEL page 9 UN CANADIEN ERRANT par Gaston Godbout 7eme Partie Cet Able Seaman Morleau était un brave type, un travailleur dévoué et loyal qui m’a- vait fait un travail exemplaire et conscien- cieux dans les livres d’un département dont j’avais la charge. C’était un francais typique, parlant avee rapidité, tic des muscles du visa- ge, les mains toujours en l’air, en vrai “ca- nayen’’, au lieu de se tenir respectueusement & Vattention devant nous, les bras contre le corps. Pauvres petites pecadilles ces détails, détails qui lui avaient tout de méme cofité une promotion de Leading Seaman comme prou- vaient tous les rapports de sa carriére que javais sous les yeux. J’avais, devant moi, un cas typique de ces francais qui avaient gardé leur nature francaise, leur gaieté, spontanéité, etc., caractéristiques avec lesquelles nous som- mes nés. Pourquoi done avait-il souffert telle- ment parce qu’il ne pouvait simplement pas adopter l’attitude britannique du lent parler, HISTOIRE DE DA COLOMBIE ... (suite de la page 8) Vile de Vancouver. II s’occupait de 1’entretien des locomotives 4 vapeur utilisées dans les grands chantiers de la coupe du bois. Ainsi, il pouvait s’arranger pour visiter les groupes de l’tle, les soirs de rencontres, en ordonnant sa tournée de travail. C’est ainsi que des cercles prirent naissance 4 Duncan, Nanaimo et aux Albernis. En causant avee Albert Lefebvre, on se rend compte que les conditions ont bien changé a- vec les années. Les institutions qui ont été créées grace au mouvement ont fait de grand progrés. La Fédération a servi de véhicule pour en fon- der deux autres: la paroisse francaise St-Jean- Baptiste, de Victoria, (1958) et Notre-Dame de la Paix, de New Westminster, (1958). Les deux caisses populaires sont fermement établies et rendent grands services 4 la communauté ca- nadienne-franeaise. Mais, rien d’autre n’a pu étre réalisé. Il semble que tous les objectifs furent satisfaits du moment que la viabilité paroissiale fut assurée. Toutefois, Albert Lefebvre considére que les instruments de base sont encore 1a, préts a servir, aussitOt qu’un consensus sera atteint sur de nouvelles perspectives. La Fédération elle-méme devait se consolider. Elle 1’a fait en fondant un secrétariat et un petit journal. L’é- poque que nous traversons en est une de tran- sition. Il y a d’ailleurs beaucoup plus de Ca- nadiens francais aujourd’hui qu’il y a vingt ans. Socialement, ils semblent moins organisés, cependant, ce n’est pas 14 un phénoméne isolé. Tous les cadres sociaux souffrent des mémes lacunes. Toute la société se cherche. Le mois prochain, nous técherons de revi- vre les moments difficiles des années cinquante en rappelant la mémoire du Dr Léon Beau- doing. Roméo Paquette de la froideur intellectuelle, lui que l’intensité intellectuelle faisait vibrer physiquement. Il avait été loyal envers moi, j’ai été plus que loyal envers lui. Je commengai par Jui donner une forte semonce sur son manque de contréle en lui disant que “When in Rome, do as the Romans”; que s’il devait se forger une car- riére dans une marine malheureusement an- glaise’’, il] devait apprendre 4 mettre les freins a son exhubérance et a ses franches dispositions qui le laissaient absolument ouvert aux coups de “lV’ennemi”. I] en avait les yeux pleins de larmes le pauvre diable. J’en avais une cons- science coupable, mais lorsqu’il faut arracher une dent il ne faut pas écouter les sentiments. J’avais son bien trés 4 coeur et je faisais avec lui comme lorsque je donnais la fessée 4 mes petits que j’aimais tendrement. Lorsqu’il fut parti, je relu toutes les injustices en noir et en blane sous mes yeux et pour compenser, me mis 4 rédiger un rapport formidable méme trés exagéré, recommandant une promotion immédiate pour ce matelot dévoué, promotion qwil obtenu deux mois plus tard a son arri- vée 4 Halifax. Ce genre de péchés de ma part, je m’en accuse. j’en suis fier et les commet- trais de nouveau si jamais je le pouvais. “Con- naissant moi-méme le malheur, je savais (et pouvais) secourir les malheureux.”’ Mon favori Ovide disait: “Donec eris felix multos numerabis amicos.” “Tant que tu seras heureux, tu compteras beaucoup d’amis.” Je commence a étre fier de mon latin que je con- nais si peu, mais comme humains n’essayons- nous pas toujours d’impressionner surtout par les c6tés ignorants de notre culture? N’est-ce pas d’ailleurs un péché favori de certains an- glo-saxons? Ceux qui parlent avec plus de for- ce sont invariablement les plus ignorants de la culture francaise. Tandis que la connaissan- ce confére l’indulgence, V’ignorance confére Varrogance. Au temps de mes débuts avec l’illogisme de la langue anglaise il y avait un Commandant ingénieur écossais qui s’était déclaré mon pro- fesseur d’anglais. Il était rude, coupe 4 la ha- che, osseux, grand, maigre et roux naturelle- ment. Méme les anglais avaient parfois de la misére & comprendre son jargon du nord de VEcosse. Imaginez mes efforts d’apprendre un tel accent pour contre-parer mon accent fran- cais. Le résultat fut simplement désastreux! Par contre, il insistait 4 me prouver la supério- rité de sa langue et m’assurait que nous québe- cois, parlions un jargon, que nous étions infé- rieurs en tout point etc. Je me résolu un jour a lui demander la source de sa documentation, les raisons de son assurance et son éloquence du fait francais au Canada. J’en ai eu le verti- ge en apprenant qu’il n’avait jamais mis le pied au Québec et qu’il ne pouvait méme pas dire: “bonjour” en frangais. Voila un typique