I k Les champions La France est jalouse de son visage et démontre assez facilement sa con- viction de posséder la vérité. : Jugement sommaire certes! Trop souvent cependant, les porte-parole du sport frangais veulent prouver qu’il n’y a pas de meilleures structures que les leurs et, a l’exemple de leurs an- cétres, ils croient de leur devoir de repandre leurs opinions et d’inciter les autres nations a aligner leur tir sur le leur. -Dans les circonstances toutefois, la fierté est une qualité. Du haut de sa dignité, le secrétaire d’Etat Joseph Comiti, chargé de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs, donne le pas a une France de plus en plus équipée, mais de moins en moins participante. Malgré tout on sent que la rigidité des cadres est sur le point d’étre en- foncée et que l’ordre des structures bouleversé face a, une contestation de plus en plus grondante. Il suffit de percer une mince couche du vernis qui recouvre le systeme pour constater la multiplicité des malaises et du mécon- tentement a demi généralisé chez les jeunes. “Ce n’est pas grave’ en haut lieu. Non. Ce n’est jamais grave quand Ga origine des jeunes. Néanmoins, n’est-ce pas en fonction et pour ces jeunes qu’existent toutes ces structu- res? N’est-ce pas pour eux, spécifique- ment, qu’on a établi des priorités et mis le sport en conserve? M. Comiti fait aisément état de ses désirs et de ses ambitions. I] existe 1,900 piscines (300 sont couvertes) dont environ 400 de dimensions olym- piques, en France, et il veut en faire construire 1,000 autres. Il y a egale- ment 4,300 gymnases et 2,000 nou- veaux sont sur le point d’étre érigés. C’est du moins le theme des declara- tions de M. Comiti ces jours-ci. Ca yart de bonnes intentions puisque cette generosite des services gouver- nementaux tend a s’adresser a un nombre de plus en plus grand de par- ticipants. Mais pour apporter de l’eau au moulin en matiere de sports; c’est-a- dire pour amener les gens, surtout les jeunes, a pratiquer les différentes dis- ciplines, il faut créer des champions, des héros. Ces derniers, par leurs exploits, po- pulariseront les sports et ameneront de nombreux nouveaux adeptes qui tenteront de suivre l’exemple. M. Comiti est conscient de ce phé- nomeéne psychologique et c’est sur cela qu’il défend sa politique de favo- riser l’épanouissement des athlétes de haut niveau grace a I’INS. (Institut , vous dira-t-on Les beautés de I‘olympisme... national des sports). Mais n’allez pas lui parler d’athletes d’Etat! Vous commettriez un sacri- lege. ; “Notre formule est tres différente de celle des pays de |’Est, explique-t- il. Si nous facilitons la tache des athle- tes de haut niveau en France, nous ne leur fournissons cependant pas une aide directe. Nous leur allouons des bourses, l’hébergement et un instruc- teur de calibre national mais c’est obligatoire si l’on veut qu’ils se main- tiennent en forme.” Pierre de Coubertin, qui a reéhabi- lité les Jeux Olympiques a la Sor- bonne, a Paris, le 23 juin 1894, se re- tournerait dans sa tombe s’il enten- dait un ministre francais bafouer ainsi la pureté de l’amateurisme dans le sport. Mais les temps ont changé et il faut s’y faire et adapter la vie sociale des athlétes au rythme actuel de notre existence materielle et économi- que. Exemple: de nombreux athlétes francais, tels Colette Besson, sont des employés municipaux. Et pour Mlle Besson, la gloire de la ville de Brives, le maire de l’endroit, qui est égale- ment son employeur, n’est pas du tout regardant pour le nombre d’heures de | | | / | travail qu’elle accomplit chaque se- maine. j Les dépenses envisagees par M. Co miti pour l’installation de nouveaux équipements sportifs dans les diverses régions de France s’élévent a environ | $200 millions pour chacune des cing prochaines années. Elles impliquent } également, en plus des piscines et des gymnases projetes, l’uniformisation et | la municipalisation de tous les équipe- | ments deja existants en France afin de favoriser leur plein emploi. “Tl faut user les installations sporti- } ves’’, explique Comiti. ““A Nanterre, la | iscine est inutilisee. On va y amener es enfants méme si les étudiants } trouvent qu’ils sentent mauvais. I “Les gymnases des lycées n’appar- | tiennent pas qu’aux étudiants. Leurs | parents aussi pourront en profiter. | Dans les grandes vulles, tauma .— | taloguer ces équipements de facon a} ce qu’ils servent aux habitants des | quartiers.” Oui, du haut de sa dignité, Comiti § gagne a étre connu davantage... * | § P sport trop" politisé ? Le Haut-Commissariat a la jeu- nesse, aux loisirs et aux sports, or- ganisait récemment un stage de 22 jours et 5,000 kilométres a travers la France tout particuliérement, avec un rapide crochet vers Lau- sanne, Suisse, et Munich, Allema- gne de !’Quest. Connu sous le nom de “Informe- dia Alouette’, ce stage avait pour but avoue de mieux faire connaitre Vorganisation du sport en France, tant par des rencontres avec ses principaux dirigeants, que par la visite de ses principales installa- tions sportives. Sur ces deux plans, le voyage, aussi fatigant eut-i] pu étre, s’est avéré un succes complet. Au point qu’a la toute fin, c’est avec un cer- tain soulagement que le groupe-est passé prés d’une piscine sans des- “f cendre la visiter... Il est trés facile de tirer des con- clusions de ce voyage. Mais il se- rait injuste de ne pas les placer dans leur contexte propre. Aussi me _ bornerai-je aujourd’hui a vous parler de |!’omniprésence de la po- litique dans le sport en France, phénoméne qui a ses bons et ses mauvais cdtés, phénomeéne aussi que nous pourrions bien retrouver chez nous a bréve échéance. Car il faut savoir qu’en France le sport est étatisé dans une pro- portion effarante. C’est le secréta- riat d’Etat a la Jeunesse et au Sport, avec M. Joseph Comiti comme responsable, qui est la pla- que tournante de toutes les activi- tés sportives des Frangais. Toutes les décisions concernant les équi- pements sportifs, les subventions aux fédérations ou maisons d’en- seignement, les programmes de préparation des éducateurs physi- ques et des maitres és sports, pas- sent par le 34, rue de Chateaudun, ou siége M. Comiti. Et le sport jouit d’une telle importance chez nos voisins frangais que M. Comiti répond directement de ses déci- sions au premier ministre du pays. Le pour eft le contre Une telle politique globale n’est pas sans présenter ses bons et ses mauvais aspects. Si d’une part, elle assure les Francais d’une politique sportive agressive et qui le sera encore plus avec le plan quinque- nal présenté par le ministre Comiti devant le gouvernement mardi der- nier, par contre, elle entraine cer- tains heurts inévitables. Par exemple, des établissementts, comme l’Ecqle de voile d’Annecy, l'Ecole de plongée sous-marine de Niolon que nous avons visités, ne peuvent progresser a un rythme aussi rapide que le voudraient leurs directeurs parce que |’Etat décide des subventions, défraie les salaires du nombre d’éducateurs et de maitres és sports qu’il juge a propos, etc. Puis quand survient un projet d’envergure comme la construction } d’un centre comme celui de Font } Romeu (qui a cotité $40 millions), | c’est l'ensemble du _ sport frangais © | qui doit se serrer la ceinture, peu | importe les -besoins des organisa- | tions qui vivent au crochet de | Etat. j Mais le plus grand drame, c’est | sans contredit la grande inquiétude qu'on retrouve chez les éducateurs physiques. Nous avons eu !’occa- sion de le vivre lors de la visite de | deux CREPS (Centre régional d’E- ducation physique et Sport), oti les” futurs €éducateurs physiques nous | ont fait part de leur incartitude face a l'avenir. Seulement la moitigl réussit ‘examen — | Cette incertitude est basée sur le. fait que l’examen d’ acceptation est tellement difficile (réglé qu'il est par les besoins de |’Etat) que seu- | lement 50 pour cent des candidats réussissent l’examen. Une jeune candidate du CREPS | d’Aix-en-Provence parexemple blame l’Etat pour la situation ac- tuelle. Elle opine que l’Etat attache } trop d’importance au sport pour le sport et pas suffisamment au sport pour le loisir. Autrement dit, elle prétend que I’Etat préfére former } des maitres és sports plutét que | des éducateurs physiques, qui cofl- tent beaucoup plus cher. par Guy P. | i | | | XIV,-LE SOLEIL, 2 JUILLET 1971