Editorial Les historiens nous disent que les coureurs de bois qu accompagnérent Simon Fraser et les autres explorateurs de la Colombie- Britannique parlaient franc ais. Nous tenons a présenter nos hommages A tous ceux qui depuis si longtemps travaillent pour le maintienet l’6panouissement de la langue et de la culture francaise dans notre pro- vince, et notamment a la Fédération Canadienne-frang aise de Colombie-britannique qui célébre cette semaine le vingt-cinquiéme anniversaire de sa fondation. La création d’un district bilingue 4 Coquitlam ainsi que la possibilité d’envisager la création d’autres districts bilingues 4 travers la province marque un grand succés et une récompense bien mérités pour tous. Cependant la lutte pour préserver notre langue n’est pas achevee - de fait il reste encore beaucoup de travail A faire pour trouver réellement créance. Néanmoins personne ne peut nier le fait que des progrés étonnants ont été réalisés grace A la persévérance et l’assiduité de tous les premiers groupes qui ont motive et ont abouti 4 la fondation de la Fédération en 1946. Non seulement est-ce le moment de rendre hommage aux pionniers et fondateurs et de féliciter ceux qui travaillent présentement pour s’étre bien acquittés de leur tache.c’est aussi le moment de leur souhaiter une grande réussite 4 l’occasion de la réunion de cette finde semaine qui aura pour but de formuler des lignes de conduite qui permet- tront 4 la Fédération de répondre avec succés aux nou- veaux besoins qu’entrafne une expansion florissante. —Glegprinm Lewne D9 Pensez-y ! Conformément au mandat que lui confiait la Loi des langues officielles, adoptée en juillet 1969, le gouvernement Trudeau a vu a ce que soit menée avec diligence I’ enqué- te requise pour la délimitation des frontie- res des districts bilingues fédéraux. Au terme d'une, enquéte qui a duré un an. et qui semble avoir eté conduite de facon sérieuse. le Conseil consultatif des districts bilingues a produit son rapport. Or laccueil fait au document indique deja qu il faudra beaucoup plus que des exer- cices de cartographie linguistique pour reé- soudre les difficultés complexes que pose en pratique linstauration d'un bilinguisme efficace et accordé aux réalités d'aujour- d hui. e Sil nen tenait qu’au gouvernement fe- déral, le rapport Duhamel pourrait tres bien etre. quoi qu’on en ait dit, un excellent ins- trument de travail. Limite par la loi. le groupe que présidait M. Duhamel devait s’en tenir aux zones habi- tees par des minorités linguistiques repré- sentant au moins 10 p.c. de la population. fl a du ainsi soccuper de groupes d‘impor- tance numerique tres restreinte et laisser de cote. en retour, les groupes francopho- nes importants qui vivent a Toronto, Winni- peg et Vancouver, Cette omission est toute- fois plus apparente que réelle. Ce qui échap- ait a la compétence du Conseil consultatif, e gouvernement fédéral possede, en vertu de la loi. le pouvoir de | entreprendre. On peut compter. vu son zele en ces matieres, quil ne cherchera pas a esquiver sa -res- ponsabilité La loi obligeait aussi le Conseil con- Sultatif a sen tenir aux données du recen- sement de 1961. Cette contrainte a empé- ché le Conseil de tenir compte de change- ments démographiques tres importants survenus depuis le dernier recensement Cest la une autre difficulté regrettable, mais a laquelle le législateur peut assez facilement porter remede Meme dans le cas du Québec, 4 propos duquel il a fait bondir beaucoup d’esprits. le rapport Duhamel ne recommande en réa- lite aucun changement de taille. Les ser- vices fédéraux ont toujours, au Québec, été dispenses dans les deux langues, d'une extremite a lautre du territoire. Quel avantage autre que symbolique le gouverne- mént fedéral trouverait-il a modifier ce frégime a une époque ou la mobilité de la main-d oeuvre et de la technologie se fait de plus en plus grande’ Pour le gouvernement fédéral. | ins- tauration des districts bilingues souleve en realité des problemes pratiques d’orga- nisation dont on peut se demander s il n edt pas été prétérable de sen exempter. Elle na. par contre. rien qui ne découle logi quement des premusses approuvees par le Parlement canadien en 1969. Et le plan propose par le Conseil consultatif cor respond tres bien, dans l'ensemble, a la situation des minorités linguistiques dans les diverses parties du pays. e Si le rapport Duhamel suscite tant de ré- serves, c'est en raison des difficultés pres- que inexplicables qui risquent d’en découler pour les principales provinces intéressées. Lorsque la commission BB recomman- da la formule des districts bilingues, elle prit soin, en effet, de souligner que cette formule ne saurait avoir de sens que si elle devait éventuellement donner lieu a une ac- tion convergente de tons les gouvernements intéressés, afin d’assurer aux minorités linguistiques de chaque district des services publics efficaces dans leur pone langue. Un district bilingue ot seuls les services fédéraux fonctionneraient dans les deux lan- gues, et ou les services dépendant de l'au- torité provinciale ou municipale seraient unilingues, n’aurait de bilingue que 1 eti- quette. Il serait une superstructure coiffant de tres haut une réalité fort différente. Or, pour des raisons propres a chacun, ni Ontario, ni le Québec ne sont disposés dans limmediat a s’engager dans cette voie. Leurs gouvernements le voudraient- ils d’ailleurs, que la population de chacune des deux provinces s y opposerait avec for- ce. Dans le cas de |Ontario, les objections sont plutot d’ordre pratique. L’ Ontario, com- me d ailleurs le Canada anglais, est favora- ble a l’extension du bilinguisme, mais a condition que cela soit “pratique et faisa- ble” et seulement dans la mesure ou ce le sera. Lesprit anglo-saxon n’aime pas les su- perstructures creées d'en-haut. Il préfere avancer prudemment, a coup de précédents et d experiences. I] n'aime pas se lier a des principes dont il n'a point mesuré la por- tee. C'est ainsi quil faut comprendre la politique ‘‘gradualiste’’ annoncée autre jour par M. William Davis. Le premier ministre ontarien est prét 4 promouvoir un bilinguisme localisé, concret, graduel, fonc- tionnel, prudent. Il ne veut pas d'un carcan trop rigide. Si jamais il adhere a la formu- le des districts bilingues, ce ne sera pas dans un avenir prochain, mais plutot a la suite d une prudente évolution. Cette attitude paraitra timorée a certains. A la longue, elle pourrait étre plus effica- ce que les grandes déclarations de principe qui ne collent pas a la réalité. I suffit d’ail- leurs dobserver laccueil fait au rapport Duhamel! par le maire Dennison, de Toronto, pour se rendre compte qu'il faudra plus qu un coup de clairon de Queen's Park pour changer | opinion de milliers d Ontariens Le francais, pour M. Dennison, reste l'un de ces ‘ethnic languages” dont il faut tenir compte a Toronto. A ses yeux, I'italien est beaucoup plus important que la seconde langue officielle du pays. On pourra se mo- quer de M. Dennison: il représente quand - sur ce “dossier historique’ et sur ‘‘une méme l'opinion réelle de milliers de ses concitoyens. @ Le cas du Québec est tout a fait différent de celui de l'Ontario, mais plus grave. Le Conseil consultatif reprend, apres la commission BB, le vieux refrain voulant que le Québec ait ‘longtemps battu la voie dans le domaine du bilinguisme”’. S'appuyant tradition séculaire fortement établie”, il a voulu aller plus loin que la commission BB. La ou celle-ci recommandait une vingtaine de districts bilingues couvrant environ | tiers de la population, le Conseil consultatif propose ‘‘l’établissement d'un seul district bilingue devant comprendre toute | ’étendue du territoire du Québec’. Or, les données sur lesquelles s'appuie le Conseil consultatif sont désormais remises en question au Québec. Au plan démographi- que, des études sérieuses indiquent que le bilinguisme devient de plus en plus un phe- nomene montréalais et que le reste du ter- ritoire est beaucoup moins bilingue qu'il y a un siecle. Au plan politique et juridique, la pression des forces économiques, socia- les et culturelles oblige les autorités a re- penser tout le régime linguistique qui a pre- valu jusqu’a maintenant. Une commission d’enquéte étudie pré- sentement l'avenir de la politique linguisti- que au Quebec. De nombreux signes indiquen que l'on évoluera probablement vers un régi- me d'unilinguisme mitigé pour la majorite du territoire, et vers un ag de priorite marquée du francais pour la région mont- réalaise. Tant que ces questions n‘auront pas été résolues en fonction des réalités et des objectifs du Québec, il sera impossi- ble pour le ey du Québec, comme l'a déja indiqué le ministre Francois Clou- tier, de songer a s'associer en quelque ma- niere aux recommandations du comité Du- hamel. e Lobjectif des districts bilingues, dans la forme large et concertée que préconisait le rapport BB, demeure lointain et incer- tain. On ne saurait envisager, pour | instant, tario et du ue les gouvernements de |’ Geter: ou vivent les deux tiers des Cana- diens, s engagent dans cette voie. Ottawa doit-il, dans ces conditions, aller quand méme de l'avant et se doter de struc- tures administratives lourdes qui demeure- raient néanmoins, en l'absence de .participa- tion provinciale, artificielles et peu effica- ces? Doit-il plutot chercher 4 accorder son rythme a celui des deux provinces-meres? La deuxieme voie est moins exaltante que la premiere. Il y a fort a parier néanmoins que, dans le contexte pont ae actuel, elle serait probablement la plus réaliste, la moins couteuse et la plus efficace. Le Devoir Claude RYAN 2 SOLEIL, 21 MAI 1971