20. Le Soleil de Colombie, vendredi 18 décembre 1981 L’étoile de la nuit. Guy Nemer Membre de. l’Académie des poétes classiques de France Sillery, Québec — Comme il fait sombre déja! Vraiment je n’aurais jamais cru que ce jour fut si court. - Aujourd’hui, il a neigé avec abondance, et le soleil ne s'est pas montré. En décem- bre, la nuit tombe plus tét. C’est inévitable. - Vous avez raison Mathias, mais cette pénombre qui surgit tout a coup au coeur de mon petit domaine, me sur- prend toujours et m’impres- sionne. - Bah, il faut s’y attendre. A moi, corbleu, ¢a est égal. - Je le sais. Un marin de votre trempe ne saurait craindre de se trouver entre chien et loup. L’homme, un robuste gail- lard-au visage adulte partit d'un franc éclat de rire, et secouant la téte, il murmura plutét: - Que voulez-vous mademoi- selle Maurois, j’en ai vu bien d'autres allez! - Oh je n’en doute pas, surtout lorsque vous étiez en mer, a la poursuite des boches, ce devait étre tout autre chose. Tenez, une fois de plus, vous me rappelez impitoyablement ce pauvre Gerville. - Un brave entre les braves, marmotta le matelor sans regarder la jeune fille deve- nue pensive, et dont les yeux embués s’attachaient au coin de horizon. Une ombre grise chargée de douleur secréte, obscurcit soudain la sérénité de ce beau front de femme qu’ef- fleurait négligemment un béret de loutre. Elle soupira, puis a brile- pourpoint, elle posa la ques- tion habituelle: - Od est-il Mathias? Ov peut-il étre? - Je n’en sais rien. Le lieutenant a disparu durant le combat naval. Ensuite on ne l’a pas revu. Elle continuait les prélimi- naires, comme si son coeur éprouvé entretenait encore un vague espoir. - Mort ou vif, personne ne I’a donc recueilli? - Non. - C'est inoui, laissa tomber Marthe Maurois avec l’ac- cent d’une profonde tristes- se. Ils poursuivaient le méme chemin, cétoyant la grande allée qui sépare la Houssaie de la maisonnette blanche ot logeait depuis deux mois prés le solide marin, un gars du pays en congé de conva- lescence. Seule l’empreinte de leurs pas sur la neige molle, marquait une trace nouvelle. L’air humide et doux prenait a la gorge. Déja les hauts sapins plo- yaient sous le faix de leurs branches trop lourdes, car il .y avait partout du givre et du frimas. D’habitude, Marthe, avec son ame poétique de fille sentimentale, aimait 4 regar- der le délicieux paysage dhiver étalé sous les yeux, mais a cette heure trouble, la présence. du matelot la rame- nait en arriére, vers ce cher passé qui depuis son malheur était devenu toute sa vie de femme solitaire, et cette beauté rustique et pleine de charme, la laissait indifféren- te; elle n’en avait cure. Le souvenir de l’aimé ne la quittait guére; aujourd’hui, elle s'y abandonnait davanta- ge, parce qu'il la harcelait avec plus de force. Aussi, supplia-t-elle presque; - Mathias, parlez-moi de Charles, mon fiancé. Le marin eut une bréve hésiation. - C'est impossible pour ’ins- tant mademoiselle Maurois, vous le savez bien, on m/at-~ tend la-bas, acheva-t-il brus- quement en désignant d’un geste la maisonnette toute blanche au toit pointu d’ou s'échappaient d’un long tu- yau des bouffées de fumée grise. Marthe sourit tristement. - C'est vrai, le grand blessé vous réclame n’est-ce pas? Au fait, comment va-t-il cet aprés-midi? . - Pas. trop bien, je vous assure. Le jeune homme souffre beaucoup, et dans sa pauvre téte trottent les idées noires. eR LIVRES Lake Pour vos cadeaux de Noal OFFREZ des LIVRES EN FRANCAIS : Livres pour enfants, bandes dessinées _ -cartonnées,.en couleurs. De 50c. a $2.50 © Livres variés. Romans policiers - _ et d’espionnage; aventures, biographie Apartir de $1.00. AlaLibrairie du “Soleil” _ 3213 Cambie 879-6924 VINCENT PIGEON, B.A., L.L.B. GREINER & COMPANY . 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Marthe s’inclina tandis que son coeur de femme s’émou- vait a la pensée de cet inconnu, héros obscur souf- frant tout prés d’elle, et pour- lequel elle ne pouvait rien. © Pressant le pas, elle se hatait maintenant vers les buissons de houx aux feuilles piquan- tes et parsemées de senelles, . dont le rouge vif jetait une tache claire sur le vert - sombre des arbrisseaux. ’ Une petite brise légérement élevée chassait de l’est et soulevait une fine poudrerie autour du domaine, d’ou s’é- brouaient encore de grands oiseaux blancs, des oiseaux de neige. / Il était cing heures prés. Songeuse, la jeune fille revi- vait le moment supréme ot Charles Gerville, officier de marine au service du roi, montait a bord de l’intré- pide, petit destroyer cana- dien, qui devait un jour sillustrer dans histoire, et ensuite garder entre ses flanes brisés, de jeunes héros; que le Destin avait conduits vers une fin tragique mais glorieuse. Elle le revoyait. toujours debout sur la passe- relle, droit et fier, les yeux rivés au lointain, interro- geant l’avenir d’ot se dessi nait vaguement dans le mys- tére des choses, la fumée des batailles auxquelles il allait bientét prendre part. Il partait sans crainte du bonheur qu'il lui confiait avec humour, parce qu'il était sr a l’'avance que Marthe sur le sol natal garderait son coeur comme il conservera le sien,: par dela les mers et leurs funestes attraits. Ils s’aimaient vraiment et nul n’aurait pu en douter devant la tendresse profonde mani- festée l'un pour l'autre, et que le départ affermissait davantage au seuil méme de leurs fiangailles. Gerville parti, ce fut pour Marthe Maurois une série de jours longs et difficiles, rem- plis d’inquiétude et d’effroi, ‘ou seule la force d’un grand “amour donne le courage de -vivre et'‘d’espérer. Puis un ‘soir, présent encore en sa mémoire, elle apprit sans y &tre préparée la fin tragique de son idylle. “L’Intrépide”, apres avoir subi l’assaut d’un contre-torpilleur allemand, avait glorieusement coulé au fond de latlantique, et le jeune officier porté au nom- bre des disparus, brisait d’un seul coup le beau réve de . Marthe. Sa douleur fut immense, comme Ariane, rien aumonde ne sut la consoler. Rigide et toute concentrée en elle-mé- me, elle s’enferma plutét dans son domaine de la “Houssaie”, au centre d’un petit village situé sur les bords de la c6te gaspésienne, non loin de la mer qui lui rappellera sans cesse le dé- part du bien-aimé. Et tandis qu’elle évoquait le passé, tout ce qui lui restait du dur et misérable amour, la jeune fille taillait du houx et formait des bouquets dont le plus joli était destiné a l’héte mystérieux de la maisonnet- te qu’elle savait 1a, isolé depuis deux mois environ, sous les soins dévoués du brave Mathias survivant de “L'Intrépide”, et qui gardait a lendroit de cet étrange maitre, une étroite discré- tion. Elle avait repris le chemin du retour, car la pénombre étant venue. tout a fait sous les bois neigés, les rameaux des arbres se con- fondaient entre eux. Sur le seuil de la maisonnet- te, Marthe émue frappa a petits coups, et le matelot vint ouvrir. Elle entra, et simplement il annonga a celui qui se tenait au coin de l’atre: - Mon lieutenant, c’est la demoiselle de la villa qui vous apporte le houx de Noél. - Quelle villa? La voix sans timbre frémis- sait imperceptiblement. - La “Houssaie” répondit le marin avec une certaine confusion. L’officier eut un mouvement d’impatience. - Je ne recois pas Mathias, vous le savez bien. Mais prenez tout de méme ce bouquet. Déja Marthe éperdue se précipitait dans la piéce. - Charles! s écria-t-elle, vous étiez ici, et je ne le savais pas. L’officier debout, les doigts accrochés au fauteuil, avait ‘courbé la téte sans répondre - Ne me reconnaissez-vous pas? reprit-elle encore avec angoisse. C’est moi, Marthe, votre fiancée. Péniblement, il passa la main sur son visage, du geste méme qui eut voulu chasser une douloureuse vision. - Marthe, je ne vois plus, avoua-t-il tout d’un trait avec cette infinie tristesse qu'elle saisit aussitdt. '.Un cri de stupeur s ’échappa de la poitrine de Marthe, et tout impulsive, elle courut 4 Conseil de la Caopération. de la Colombie Britannique > tél: 874-3636 Robert Godard, Président Jean Riou, Directeur Général Vous souhaite un Joyeux ‘Noel et vous pRrceents ses Meilleurs Voeux de Nouvel | 4 lui, qui instinctivement re- poussa la douce étreinte. - Non Marthe, laissez-moi, je vous en prie. L’état pitoya- ble dans lequel vous me voyez ne me donne plus le droit de réaliser notre bon- heur. Ne pas vous rendre tout de suite votre parole serait chose indigne d’un homme de coeur. - Charles, vous doutez de moi. Quelle misére! Tl hocha la téte mu soudain par un reste de fermeté. Non chére amie, je crois en vous de toutes mes forces, car je vous sais bonne et compatissante a mon mal- heur. Cependant, vous étes jeune et jolie; unir votre destingée a la mienne, a présent, n’est plus possible, car vous méritez mieux. Tenez, regardez-moi bien. - Je ne vous distingue plus, fit-elle 4 travers ses larmes. - Il le faut pourtant, afin de vous rendre compte du triste changement qui a fait de moi “une loque humaine. En effet, ce n’était plus le Gerville d’hier, le fiancé des jours heureux qu'elle avait devant elle, mais un pauvre homme vieilli prématuré- ment, et si découragé, qu’il ne cachait méme plus son dégofit de vivre. Tout en lui révélait la souffrance. Ses cheveux blonds avaient quelque peu bruni le long des tempes ou se pressaient déja les premiéres rides. I] était amaigri. Son corps débile se soutenait avec peine dans ses vétements devenus trop grands. Et les yeux couleur diiris qu’elle aimait pour leur douceur exquise et leur viva- cité, s’étaient éteints pour toujours. Désormais, Char- les Gerville devra se résigner a vivre dans l’obscurité d’une éternelle nuit. Marthe le comprit si bien, que d’angoisse son coeur se — serra. Quelques secondes s’écoulé- rent, puis elle se redressa enfin: - C’est inutile mon ami, de " chercher a me persuader, vous n'y arriverez jamais. Personne ici-bas ne me fera renoncer 4mon amour. Je ne vous permets pas de rompre nos fiangailles. Il. était livide et las 4 lextréme . - Marthe! - Chut! ne parlons plus de tout cela, la question est tranchée; je vous en prie, n’y - beau. revenons pas. Et doucement, elle saisit le houx et lui mit entre les bras. - Charles, prenez ce bouquet. Ce sont les seules fleurs dont je dispose. Mais elles ont pour nous en cette veille de Noél une touchante significa- tion. - Noél...murmura-t-il en res- pirant l’odeur du feuillage glacé qu'il ne voyait pas. Elle Vavait entrainé dans Yembrasure d’une croisée. Un peu de mystére flottait autour d’eux. Oui, Noél, répéta-t-elle émue. Noél aux portes de votre petit jardin. - Ce doit étre charmant. - C’est magnifique. - Décrivez m’en le paysage. - Volontiers.. Le sol a revétu son manteau de neige, et je vois frémir les vieux sapins qui ménent a la “Houssaie”. Il y a aussi du givre sur les buissons. Quelques lueurs _ deci dela, puis un oiseau nocturne quitte le nid, car le soir s’annonce paisible et Au lointain, notre petite église pointe son clo- cher vers le firmament bleu, d’ot I’Etoile du Nord scintil- le, Etoile de Noél qui se détache pour nous, Gane la nuit. - Vous avez gardé tes ame poétique, fit-il attendri. - Et mon coeur tout prés du votre. . ; - Je le sens. Marthe je vous adore. - Ah! que ne le disiez-vous plus t6t, mon cher amour. Un p§ale sourire effleura les lévres de Gerville, pour la premiere fois depuis le grand malheur, il oubliait la tristes- se qui semblait lui échapper. - Marthe, pronon¢a-t-il avec fermeté, vous &tes !’Etoile qui illuminera la nuit. f Shaw’s Supermarket _ p une bonne et op ee Annéee L 3493 rue Cambie, VANCOUVER |) ‘Les Péres de la Paroisse St-Sacrement offrent leurs Mill lene Soubait 4 OO; LV; Verge ef / Enfant ets remplissent volve coeur de paix, de jote alle hoihenr. a tous les paroissiens et amis