’est le 15 juillet 1997, que sera mis en vente le nouveau timbre de la République. A Vinstar de ses prédécesseurs, le président Jacques Chirac aura ainsi ENTRETIEN PARU DANS LABEL FRANCE MAGAZINE, JUILLET 1997 PAR ANNE RAPIN Dans son dernier ouvrage, Une politique de civilisation**, Edgar Morin approfondit ses analyses sur I’état du monde, déja développées dans Terre- Patrie, et propose une réforme de Ia politique et de Ia pensée, capables de nous faire dépasser la crise multiforme et planétaire que nous traversons. abel France : Depuis des années, on s’accorde & reconnaitre que nos sociétés traversent une crise économique, sociale et politique. Pourquoi la jugez-vous fondamentale ? Edgar Morin : Tout ce qui a constitué le visage lumineux de la civilisation occidentale présente aujourd’hui un envers de plus en plus sombre. Ainsi, ’indivi- dualisme, qui est lune des grandes conquétes de la civilisation occidentale, s’accompagne de plus en plus de phénoménes d’atomisation, de solitude, d’égocentrisme, de dégradation des __ solidarités. Autre produit ambivalent de notre civilisation, la technique, qui a libéré Phomme d’énormes dépenses énergétiques pour les confier aux machines, a dans le méme temps asservi la société & la logique quantitative de ces machines. Ainsi, on peut dire que le mythe du progrés, qui est au fondement de notre civilisation, qui voulait que, nécessairement, demain serait meilleur quwaujourd’hui, et qui était commun au monde de l’Ouest et au monde de l'Est, puisque le communisme promettait un avenir radieux, s’est effondré en tant que mythe. Cela ne signifie pas que tout progrés — soit impossible, mais qu’il ne peut plus étre considéré comme automatique et qu’il renferme des régressions de tous ordres. Il nous faut reconnaitre aujourd’hui que la civilisation industrielle, technique et scientifique problémes qu’elle en résout. crée autant de Sil y a une crise de civilisation, c’est parce que les marqué de son empreinte Phistoire de la _philatélie francaise. C’est le projet d’Eve Luquet, peintre, dessinateur et graveur, qui a été retenu au terme d’un concours organisé problémes fondamentaux sont considérés en général par la politique comme des_problémes individuels et privés. La politique de civilisation vise 4 remettre homme au centre de la politique, en tant que fin et moyen, et & promouvoir le bien- vivre au lieu du bien-étre. Elle devrait reposer sur deux axes essentiels, valables pour la France, mais aussi pour I’Europe : humaniser les villes, ce qui nécessiterait d’énormes inves- tissements, et lutter contre la désertification des campagnes. L.F. : Des millions d’années aprés son apparition, "homo sapiens vous parait en étre encore au stade de la préhistoire sur le plan de Tesprit et du comportement. En quoi notre mode de pensée et d’appré- hension de la réalité est-il un handicap au dépassement de nos problémes actuels ? HM..: leon yea de connaissance pertinente que si on est capable de contextualiser son information, de la globaliser et de la situer dans un ensemble. Or, notre systéme de pensée, qui imprégne l’enseignement de Pécole primaire & Puniversité, est un syst®me qui morcelle la réalité et rend les esprits incapables de relier les savoirs compartimentés en disciplines. Cette hyper- spécialisation des connaissances, qui méne & découper dans la réalité un seul aspect, peut avoir des conséquences humaines et pratiques considérables dans le cas, par exemple, des politiques d’infrastructures, qui négligent trop souvent Penvironnement social et humain. Elle contribue également & déposséder les citoyens des décisions politiques au profit des experts. Au XVIle siécle, Pascal avait déja compris combien tout est lié, reconnaissant que « toute chose est aidée et aidante, causée et causante » - il avait méme le sens de la rétroaction, ce qui était admirable & son époque -, « et tout étant lié par un_ lien insensible qui relie les parties les plus éloignées les unes des autres, je tiens pour impossible de connaitre les parties si je ne connais le tout comme de connaitre le tout si je ne connais les parties ». Voila la phrase clé. sn “% LE S( )LEIL ; i Bhaeaas™ par la Poste et auquel avaient pris part une trentaine d’artistes. Stylisée, de profil sous les étoiles et’ accom- pagnée de la devise « Liberté, Egalité, Fraternité » (une C’est A cet apprentissage que devrait tendre l'éducation. Mais, =malheureusement, nous avons suivi le modéle de Descartes, son contemporain, qui pronait lui le découpage de la réalité et des problémes. LF. : Au niveau européen, vous étes favorable 4 un modéle de fédération des Etats. Quel pourrait étre le rdle de la France ? EM. : La France pourrait jouer un réle pionnier parce que sa culture posséde un héritage duniversalisme, de foi civique, républicaine et patriotique, mais aussi parce que la France est le seul pays européen qui, depuis le XIXe siécle, est un _ pays d’immigration, alors que tous les autres sont des pays d’émigration. Elle a hérité d’une tradition d’intégration des étrangers, par lécole et la naturalisation, automatique pour les enfants nés en France depuis la Troisitme République [1870]. Jamais euphorique au départ, cette intégration, qui continue & fonctionner malgré des difficultés particuligres en temps de crise, explique qu’un quart de la population frangaise actuelle ait des ascendants étrangers. Enfin, du fait de son ex-empire colonial, la France a pu_ reconnaitre comme Frangais des Martiniquais ou des _ Viet- namiens, c’est-a-dire des person- nes d’une autre couleur de peau. Dans le modéle frangais, 1’1- dentité nationale a toujours été transmise par Pécole républicaine et l’enseignement de histoire de France. Les enfants assimilaient Vercingétorix, Rome, Clovis, c’est-a-dire une histoire trés riche, et du reste trés intéressante, car la mythologie francaise exalte 4 la fois un héros de _Vindépendance, _‘Ver- cingétorix, mais ne traite pas de collaborateurs les Gaulois, qui eux-mémes ont été romanisés. Ainsi, la France, dés son origine, accepte le métissage avec les Romains, puis avec les Germains. Constituée & partir d’un tout petit royaume, I’fle-de-France, qu’elle a élargi en intégrant au fil des siécles des régions hétérogénes, la France se caractérise en fait par un processus de francisation permanente. _ L.F. : Votre diagnostic conclut premiére pour un timbre d’usage courant), la noi'velle Marianne s’est refait une beauté. & une situation « logiquement désespérée ». Qu’est-ce qui, pourtant, vous porte 4 l’espoir ? E.M. : Je pense que nous devens nous © ouvrir aux échanges. De méme que l’Asie s’est ouverte & la technique occidentale, nous devons nous ouvrir & P'apport des civilisations asiatiques, bouddhiste _ et hindouiste notamment, pour la part qu’elles ont faites au rapport entre soi et soi, entre son esprit, son Ame et son corps, que notre civilisation productiviste et activiste a totalement négligé. Nous avons beaucoup 4 apprendre des autres cultures. De méme que la Renaissance s’est produite parce que l’Europe médiévale est revenue & la source grecque, nous devons aujourd’hui chercher une nouvelle renaissance en puisant aux sources multiples de Punivers. Les raisons de l’espoir viennent aussi du fait que nous sommes dans la préhistoire de esprit humain, ce qui signifie que les capacités mentales humaines sont encore sous- exploitées, notamment sur le plan des relations avec autrui. Nous sommes des barbares dans nos relations avec autrui, pas seulement dans les rapports entre religions et peuples différents mais au sein méme d’une famille, entre parents, ou la compréhension fait défaut. D’autre part, Phistoire nous enseigne qu'il faut miser sur Yimprobable. Le pire n’est jamais certain et « 14 oti croit le péril croit aussi ce qui sauve », comme le dit Hélderlin qui nous rappelle que le danger va nous aider peut-tre & nous en sortir, 4 condition d’en prendre conscience. * Edgar Morin est l'un des penseurs frangais les plus importants de son époque, directeur de recherches émérite au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Son oeuvre multiple est commandée par le souci d’une connaissance ni mutilée ni cloisonnée, apte a saisir Ia complexité du réel, en respectant le singulier tout en I’insérant dans son ensemble. ** Dans lequel il expose ses analyses aux cétés de celles du politologue et philosophe Sami Nair. Comptabilité, conseil gestion, impdts é : "CONSUL LrIN ; S-wESE, 1) 3) Tal: (604) 688-9903 Fax: 688-9961 Cellule: 240-5810