70 ans de scene PARIS Maurice Chevalier, le ce- lebre artiste francais qui est mort samedi soir a 18h, a Paris, était age de 83 ans. 11 était né 4 Ménilmontant, l'un des plus pittoresques quartiers de Paris, le 12 sep- tembre 1888, a 7 heures qu matin. I] était le neuvieme enfant d'une famille d'ouvriers. Son pere ayant abandon- né sa femme alors que Maurice n/avait que 8 ans, et celui-ci reporta toute son atfection sur sa mere, ‘La Louque’’ comme il l’appelait tendrement. Maurice Chevalier navait que 11 ans lorsqu’il monta pour la premiere fois sur les plan- ches. C’était dans un petit café du boulevard de Strasbourg, “La ville japonaise’. Il fait des numeros d'acrobatie, puis travaille la danse et se lance dans le chant. A l’Eldorado, il lance une chanson, ‘Le beau gosse’, ce qui lui vaut un Seu de quatre ans aux Folies-Bergere. Son étoile de fantaisiste commence 4a bril- ler, il rencontre Mistinguett et inaugure une collaboration célebre au music-hall qui aura des répercussions sur sa vie sentimentale. Par la suite, d'autres noms de vedettes féminines — Mar- lene Dietrich, Greta Garbo, Nita Raya, Patachou — de- vaient étre souvent unis au sien, mais il n’épousa que la chanteuse Yvonne Vallée dont il divorea un peu plus tard. Sil y a plusieurs époques Chevalier — ses debuts au Pe- tit Casino, les premiers grands succes a |’Eldorado, les Fo- lies-Bergere, le Casino de Paris avec Mistinguett, le re- tour au Casino apres la guerre de 14-18, le cinema internatio- nal, la conquéte de l’Amérique, sles récitals et, 4 30 ans de distance, la reconquéte du pu- blic américain — l'image qui demeurera est sans doute cel- le, legendaire, de cette silhouet- te diguingandée, les reins creusés, le canotier sur l'oeil, la lippe avancée, découvrant un eclatant sourire, tes bras ballants. Alnsi campé, qu'il chanta de sa voix si souvent imitée les amours d’un jeune couple, l'in- dépendance d’un clochard, le charme de Ménilmontant ou un twist, Maurice voulait toujours convaincre et réussissait le plus souvent a etablir le con- tact. Il avait su marier la bon- homie parigote au rythme americain. Si personne ne sait’ tres exactement quelle est la toute premiere des _ innonbrables chansons _interprétées _ par Maurice Chevalier, sa dernie- re aura été celle qu'il chante en trancais et en anglais pour le générique du film de Walt Disney ‘‘Les aristochats’’ et qui devait étre son dernier en- registrement:. out que l'on sait, c’est que son premier enregistre- ment d’une chanson a succes date de 1918 et qu’elie s’inti- tule: “Oh Maurice 0”. Il est vrai qu’au gré de sa longue carriere, Chevalier, qui a si- gné personnallement en tant qu’auteur ou co-auteur quelque cent cinquante refrains, dont: La chanson du macon, La Pol- ‘Bougue, boxeur, ¢ la rue Lourcine. I] n’obtint ja- ka des barbus, Le regiment des jambes Louis XV, a__ toujours su, avec un flair extraordinai- re, choisir textes et musiques en évoluant avec !actualité. Tour a tour tendre, gouail- leur, drole, Maurice avait l'art de trouver le refrain au gout du jour, le parolier, le compositeur susceptibles de le mieux servir. De Christiné et Willemetz 4 Henri Betti et Jean Comtet, de Jean Mohain et Mireille 4 Charles Trenet, sans oublier Michel Legrand, ue de succes populaires: rosper, Valentine, Ma pom- me, Quand un vicomte, Y'a d’la joie, La marche de Me- nilmontant, Donnez-moi 1a main m/’anzelle. a La _carriere de Maurice Chevalier fut un moment in- terrompue parle grand en- tracte de 1914. Combattant, blessé, prisonnier, il passe 26 mois au camp d’Altengrabow. A son retour, Maurice tra- verse une période assez noire, puis en 1921 Léon Volterra lui accorde a nouveau la vedette dans un spectacle d’éte au Casino. C'est a ce moment-la que Maurice se présente en smoking et trouve sa marque de fabrique: le canotier. I] a alors 33 ans. A partir de ce moment, il gravit allegrement les échelons de la gloire. Il crée des opérettes: Dédé, La- haut, Plein-feu, White Bird, qu’il joue avec succés en Grande- Bretagne. Parallélement a son excep- tionnelle carriére de fantaisis- te, d’interprete et de créateur de chansons, Maurice aborde le cinéma, devient vedette de l'é cran et tourne prés de 30 films, soit en France, soit a Holly- wood, soit en Angleterre. A la radio, ou le public le réclame, il présente d’innombrables émissions populaires et ses disques atteignent des tirages extravag ants. Malgré une carriére cinéma- tograp ique internationale lon- gue de 60 ans, ‘‘Momo’’ doit plus 4 la chanson qu’au 7éme art. Son seul grand role, en définitive, restera ‘‘ Le silence est d'or’ de René Clair. Pour- tant, Maurice Chevalier com- menca dés les balbutiements du RE ree pate A par- tir de 1911, il appardit dans plusieurs courts et longs mé trages: Un marié qui se fait attendre, La valse renversan- te, Le mauvais gare Jim ‘affaire de mais alors la consécration com- ‘me au music-hall et en conce- vra une amertume qui filtre dans ses mémoires en huit volumes publiés sous le titre: “Ma route et mes chansons. L’Amerique allait lui fournir une éclatante revanche. A son arrivée a Hollywood ou un contrat fabuleux l’attendait, il déclarait: “Avec ma démar- che chaloupée, je ne peux jouer _ que les types du peuple’. Il se retrouve pourtant prin- ce dans ‘‘Parade d'amour’, star et ‘champion du sex-appeal masculin’’ et ‘“‘tombeur no 1 de l’écran” selon la presse de l'é- pears Interprete favori de Lu- itsch pour ses opérettes ciné- matographiques (Chanson de Pa ris, Parade d’amour, La veu- ve Joyeuse) il tourne aussi: ‘““Le petit café, Paramount en para- de, Playboy of Paris, Monsieur Bébe, L'Amour guide, Folies- Bx -gere. Il fréquente Charlie Chaplin, Jeannette MacDonald (avec qui il tourne 4 films), Claudette Colbert Marlene L.¢trich, Ma- Pickford, Douglas Fairbanks. refuse de prendre avec Gre- ta Garbo un bain de minuit gla- cé en pes océan et perd ainsi son affection. Il profite aussi de son séjour a Hollywood pour par faire sa culture aupres de son compatriote Charles Boyer. Apres cette période faste, le cinéma T’accuéille en 1936 en France et en Angleterre ou ses films connaissent des échecs relatifs (Le vagabond bien-aimé, L’homme du jour, de Duvivier. Avec le sourire). Chevalier s’arréte de. tourner et attendra pres de dix ans pour trouver son meilleur role: ce- lui d’un metteur en scene du muet dans le chef-d’oeuvre de René Clair: ‘“‘Le silence est dor’. Ma pomme. J’avais 7 filles, Le roi, Ariane (avec Audrey Hepburn), Gigi (avec Leslie Ca- * ron), J’ai épousé un Francais, Cancan, Fanny (avec Boyer), Olympia, Scandale a la cour, Jessica, Chevalier continue une carriere cinématographique in- ~ temationale (et fort inégale) en abordant des personnages de re tendre Scrap panics. ge derniere contribution d/artiste sera pour le cinema avec ‘Les aristochats”’. En 1969, Chevalier entre- prend une grande tournée d'a- dieu: deux re en zigzag de New York a San Francisco, de la Floride a Chicago, soit 39 villes en tout. Partout on l’a plaudit et on te féte. Déja, toute l’Amérique avait honoré ses 60 ans de cinéma et de théatre avec une citation lors de 1a remise des “Tony”, et neut ans plus tot Hollywood lui avait decerné un “Oscar” d'honneur. : Maurice Chevalier s’était attaché a soutenir plusieurs oeuvres sociales, dont celles a se. sont donné pour but ‘adoucir les dernieres heures des comédiens. il avait notam- ment donné sa propriété de — Cannes-la-Bocca pour les plus - nécessiteux d’entre eux. . Titulaire de la Croix de uerre avec palme, décoré de ‘Ordre de Léopold, ofticier de ‘la Legion d’hanneur, officier de l’Ordre national du meérite, Maurice Chevalier était prix d'honneur de l’Académie amé- ricaine du cinéma, citoyen ,d@honneur de Marnes-la-Co- quette, ou il habitait depuis de ‘nombreuses années une somp- ‘tueuse demeure baptisée La Louque, en souvenir de sa mere, Médaille d’or de l’Ame- ‘rican Legion, Médaille de ver- : meil de la ville de Paris. LE SOLEIL, 7 JANVIER 1972, IX