Le Moustique riviére, On rampe littéralement sur l’obstacle a la maniére de grotesques limaces. Ce qui nous permet d’observer ces mémes algues de prés et de constater que, sur le plan de resthétique, elles manquent totalement d’attrait. Une espéce de mince pellicule gélatineuse qui tartine irréguliérement la roche et dont la couleur ne suscite pas ’appétit. Quand je pense que la mer des Sargasses est une véritable soupe au chou et que, dans ce cas, les choux y sont essentiellement des algues brunes, je comprends a présent l’indicible frayeur que peut causer cette mer aux matelots. Finalement, c'est avec de l’eau a mi- mollet qu’on atteint l'embouchure de la riviére. Elle se trouve étre complétement barrée par une montagne de troncs d’arbres emmélés. Décidément, dans cette balade, si ce ne sont pas des rochers que nous devons grimper, ce sont des piles d’arbres que nous avons a franchir ; quand il ne s’agit pas de fuir devant des jacasseurs. Tant pis, on prendra un petit quart d’heure de repos, puis on réfléchira a la situation tout en se retenant de noyer le guide qui a déja repris son souffle. Or lendroit serait propice pour cet acte barbare mais combien excusable. Le ciel est bleu avec quelques nuages diffus qui éclaircissent I’horizon au bout de l’océan. L’eau est également bleue, mais d’une couleur plus soutenue maigré sa transparence. On se trouve dans un chenal taillé dans un grés brun uniforme. Il parait artificiel tant les parois sont verticales. Seule la végétation luxuriante sur les cétés du canal conserve son aspect sauvage a cette rectitude. Sur un fond plat, formant un arc de cercle parfait, un tapis de gros galets gris, de taille presque uniforme, s’enfonce dans ’océan qui éclate en une épaisse écume blanche a son contact. Seule la partie nord Volume 4 - 6° édition de l'embouchure parait plus chaotique. D'immenses blocs de grés comme de gigantesques galets s’empilent contre la muraille qui, juste a cet endroit, est creusée et forme une grotte sombre et triangulaire. On noierait le guide dans le petit chenal plus profond qui court au pied des blocs et on jetterait son corps derriére cet empilement qui cache l’entrée de la caveme. Mais mangeons et buvons d’abord. Il nous faut reprendre des forces en nous reposant un peu. Et le miracle a lieu! Le guide s’est tu. Du moins, il ne parle pas la bouche pleine. Il a dd recevoir une bonne éducation ; c’est un bon point-pour lui et une bonne nouvelle pour nous. A moins qu'il n’ait senti la somme des vibrations néfastes émanant de chacun de nous et qu'il ait enfin compris lintérét de se taire pour espérer survivre. De toute maniére, ce que nous avons bu et grignoté a calmé notre agressivité. Il bénéficiera d’un sursis. Et puis, il nous faut conserver ce qui nous reste de hargne pour franchir notre nouvel obstacle. Mais ce ne sont plus cet enchevétrement de troncs, ni la chute d’eau, un peu plus loin, qu'il nous faut remonter a force de bras le long d’une corde laissée la pour notre aide, ni la progression dans un lit de riviére parsemé de petits plans d’eau qui pourront encore nous arréter. Il n’est plus d’obstacle a nous résister encore. En moins de temps qu’il ne le faille pour |’écrire, nous avons atteint le sentier. De ce point, nous franchissons allégrement le petit kilométre de sente boueuse qui nous sépare du ru Cullite, au bas d’une bonne volée d’échelles. Le cours d’eau est franchi grace a une autre télécabine aussi périlleuse que la précédente. Mais cette fois, grace a ma fille, jen ai maitrisé la technique. Hélas, tous nos efforts auront été vains ; méme la derniére tentative de nous débarras- ser du guide babillard. Page 11 ISSN 1496-8304 Juin 2001