c } Avril 1967 — ©) L’APPEL C) page 7 EVITER UNE POLITIQUE DU GHETTO Par Roméo Paquette Un reportage paru dans Le Devoir, de Montréal, le 26 octobre dernier, m’a paru il- Justrer un probléme d’actualité aussi vif pour nous, en Colombie, qu'il peut létre pour la minorité Catholique de langue anglaise de la province de Québec, dont il y est question. M. Claude Ryan, non seulement connu dans les milieux du journalisme mais encore plus dans les milieux de |’Action catholique canadienne, s’adressait au groupe catholique anglophone de la province de Québec lors de la réunion d’automne du Marianopolis Col- lége, 4 Montréal. M. Ryan les invitait fortement a ne pas s’enfermer dans un ghetto ni d’ordre culturel ni Wordre religieux. Comme on le sait, les anglo-catholiques de la province de Québec, comme les franco-catholiques de la Colombie Britannique, sont doublement minoritaires. C'est 1a, toutefois, que la comparaison s’arréte ‘puisque la situation qui leur est faite en est une de classe privilégiée tandis que chez nous, celle de la minorité franco-catholique en est une de parent pauvre aux deux paliers de la langue et de la religion. Nous y reviendrons. Pour le moment, tenons-nous en au mes- sage de M. Ryan. Apparemment, il existerait un climat de crainte de la part des anglo- eatholiques de la province de Québec, que le nationalisme montant des Canadiens frangais leur soit préjudiciable. Je ne vois d’autre moyen de m’expliquer pourquoi M. Ryan au- rait été obligé de les prévenir contre la pani- que. Il leur a plutét recommandé “d’étre sou- cieux de justice plus que de toute autre chose, y compris le maintien des priviléges et des situations établies.” Il les a aussi invités “de tenter de comprendre les objectifs collectifs du Québec 1966;” et enfin, “de défendre leurs droits fondamentaux en matiére de langue et de religion, et de le faire avec fermeté, tact et courtoisie;’” “de se faire mieux connaitre et comprendre des Canadiens frangais et de con- naitre et comprendre eux-mémes les Canadiens frangais.” ; Ce climat de crainte coincide peut-étre avec le mouvement de sécularisation scolaire en marche présentement au Québec puisque M. Ryan a souligné ce qui suit: que, dans le mon- de d’aujourd’hui, les institutions catholiques (que ce soient des journaux, des écoles, des hopitaux,. ete.) sont en voie de disparition. Quelques institutions catholiques vont sur- vivre mais il est évident que de plus en plus, partout dans le monde, nous allons vers des institutions qui, d’une part sont multiconfes- sionnelles ou neutres, d’autre part sont diri- gées par l’Etat. C’est dans cette direction que le monde s’en va et il faut l’accepter égale- ment. Malgré la disparition éventuelle des insti- tutions confessionnelles, M. Ryan ne prévoit pas que la liberté religieuse sera l’objet d’at- teintes parce que la démocratie libérale res- pecte cette liberté fondamentale et que cette démocratie est celle de l’avenir. En invitant les anglo-catholiques québecois -&i ne pas s’enfermer dans un ghetto au sein de l’Eglise catholique, M. Ryan a déclaré, tout- tefois, que “le besoin d’uniformité est moins ressenti dans lEglise catholique que dans toute autre institution que je connaisse”. La lecture de ce reportage suggére des comparaisons et des paralléles. Pour les anglo- catholiques de la province de Québec, étre mi- noritaire signifie: minorité religieuse parmi les anglophones et minorité culturelle parmi les catholiques. Pour nous, Canadiens fran- cais catholiques en Colombie Britannique, e’est étre minorité culturelle aux deux niveaux. Le danger du ghetto, toutefois, se situe au méme palier et pour les anglo-catholiques de la province de Québec et pour les franco-ca- tholiques de la Colombie. La différence en est une d’époque. Pour nous, le ghetto est né avec le nationalisme anglo-américain qui, quoique d’inspiration anglo-protestante, a pénétré for- tement les miliceux anglo-catholiques d’outre- Québec depuis le début du siécle. L’histoire a ses caprices. Maintenant que nous, Canadiens frangais, retrouvons le sens de notre dignité nationale et replacons notre per- sonnalité religieuse dans son juste contexte, nous sommes ceux qui allons protéger la mino- rité anglo-catholique du Québec contre le ré- flexe dont nous avons souffert si longtemps! Rassurons-nous, cependant. Les anglo-ca- tholiques du Québec, aussi bien que les anglo- protestants du reste du Canada, réaliseront vite que le nationalisme dont se nourrit le Ca- nada frangais est d’une toute autre nature que celui qui a inspiré l’expansion de l’empire bri- tannique dans le monde durant des centaines d’années. Le Canada: francais n’aspire pas a établir un régime d’hégémonie culturelle et politique; il demande simplement son droit naturel et historique de vivre collectivement selon ses propres aspirations. Ce que.M. Ryan demande aux anglo-catho- liques québécois, en fait, c’est de suivre l’ex- emple d’un des leurs, l’ex-ministre du cabinet Lesage, M. Eric Kierans, gui, bien que déja solidement installé dans le “WASP Establish- ment” du Montreal Stock Exchange, n’a pas hésité &.reconnaftre la légitimité de la “révo- lution tranquille”. Ce qu’il a réalisé, lui, ¢’est que les droits et priviléges de la minorité an- glophone du Québee seront dorénavant garan- tis par l’apport positif de celle-ci au bien gé- néral. C’est le contraire qui serait dangereux. Une politique de ghetto pour la minorité anglo- phone du Québec serait le chemin le plus court vers son désaveu total. Les anglo-québécois n’ont d’ailleurs rien a craindre puisque leurs institutions ne sont pas menacées. Rien, pas méme dans les discours les plus extrémistes, n’indique que les droits des (suite p. 8)