[ PAGE 8 Images d’autrefois L’>’ANSE-AU-SABLE Robert Momer Il ne fallait que franchir la porte de Pantin, a lest de Paris, quelques années apres la premiére guerre mondiale, pour se retrouver, aprés un quart d’heure de marche, dans un décor cher a Millet : la plaine a perte de vue, des fermes, des agglomérations, des gens vivant au rythme des saisons. Presque toutes les activités de notre village arrétaient, les semailles d’automne terminées. Elles ne reprenaient qu’au printemps, qui ramenait avec lui les artisans ambulants. Pour attirer le client, chacun avait sa fagon d’annoncer son passage : une trompe, une clochette, une sonnerie de clairon. Je revois, avec tendresse, le vieux bonhomme 4 la barbe blanche qui parcourait les rues du village, en criant: « On répare la faience et la porcelaine. On répare la faience et la porcelaine» Il y avait beaucoup d’assiettes et de plats a réparer, dans ce _ temps-la. La_ vaisselle était chére et, la « crazy glue » n’existant pas, il fallait passer par les mains de Vexpert, qui accomplissait des merveilles. Ma curiosité, au sortir de l’école, me poussait souvent jusqu’a la ferme des De Gombert ou notre homme installait ses pénates dans une remise, pour la durée de son séjour parmi nous. On se connaissait de vue, ma mére étant une bonne cliente. « Entre petit, me langait notre artisan, dés qu’il m/’apercevait. Tu ne me déranges pas!. » S’il n’avait fallu que je retourne a la maison, je serais resté des heures, a le contempler. La piéce de vaisselle était reconstituée sur une planche, pour étre marquee. L’opération terminée, de chaque cété de la cassure, 4 environ tous les trois centimétres, l’homme percait un petit trou pour poser les agrafes, aprés avoir enduit de ciment les morceaux. Deux jours plus tard, le temps que le ciment séche, la piéce réparée était rendue a son_ propriétaire, moyennant une somme bien modique, qui ferait sourire, de nos jours. Les Lambert, cardeurs de leur état, sillonnaient les rues en carriole dans laquelle s’entassait le matériel de leur art : une cardeuse, des rouleaux de toile de coutil et quelques balles de laine de mouton. Chaque année, a la maison, il y avait un matelas a refaire. Pendant que madame Lambert discutait, avec ma mere, du prix et des _ fournitures, monsieur Lambert installait le métier sur lequel il allait opérer, assisté de sa femme, car tout se passait, un peu, comme sur une table d’opération. « L’abdomen du patient » était ouvert d’une main leste. Ses « entrailles », mises dans des corbeilles, prenaient rapidement le chemin de la cardeuse actionnée par monsieur Lambert et alimentée par son épouse. Une fois cardée la laine, qui avait triplé de volume, était répartie uniformément sur la toile. Entraient alors, en danse, aiguilles recourbées et a brider. Les mains expertes de nos cardeurs avaient tdt fait de remettre « le patient » sur pied, pour notre plus grand plaisir et... confort. Vers la Saint-Jean, arrivaient les Gitans qui établissaient leur campement dans un champ, a entrée de la commune, pour qu’ils puissent faire paitre leurs chevaux. Leur venue se répandait comme une trainée de poudre. « Les Gitans sont arrivés! Les Gitans sont arrivés, criions-nous, au sortir de l’école. » Avec eux, pas de clochette, de clairon ou autres. A peine installés, ils parcouraient les rues, arrétant a chaque porte pour offrir leurs services, qui allaient du rempaillage de chaises, au rétamage d’ustensiles de cuisine de fer ou de cuivre. On trouve bien le mot rétamer dans le petit Larousse, mais je crois que bien peu, aujourd’ hui, en connaissent la signification. Pourtant qu’aurions-nous fait si, périodiquement, les ustensiles de cuisine n’avaient été rétamés? La couche d’étain dont ils étaient recouverts s’enlevait a l’usage, mettant a nu le fer qui rouillait et dégageait, méme bien lavé, une écoeurante odeur de rance. Les Gitans a peine annoncés, ma mére m’envoyait a leur campement. J’emportais, dans un panier, les cuilléres, les fourchettes et autres ustensiles qui nécessitaient leurs soins. A suivre page 9 ———