Le Moustique

Volume 5 - 7° Edition

ISSN 1496-8304 Juillet 2002

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« Va-de-bon-cceur »

Je suis a Spanish Banks. Le ciel
est encore sombre a son zénith. Cepen-
dant, un mince liséré rose se dessine au-
dela des montagnes. Je le regarde s’étirer
lentement, posément, avant d’exploser en
un immense soleil. Le jour est né, et avec
lui, toutes les promesses de |’été. Mais j’ai
du chagrin, j'ai méme beaucoup de
chagrin. C’est que Va-de-bon-coeur ”
m’a quitté. Avec a peine un regard en coin.
Ici, A Spanish Banks, ou nous venions tous
les matins regarder du fond des
montagnes le soleil embraser la mer.

«Va-de-bon-coeur » était mon ami.
Petit raton laveur qu’un mauvais piége
avait estropié — il n’avait plus que trois
pattes et demie, le pauvre -, je l’avais
trouvé, un matin, non loin de mon abri
dans la forét, qui léchait son moignon
ensanglanté. Des lambeaux de chair
pendaient entre des touffes de poils
poisseux. Le masque noir et blanc de son
visage n’avait plus rien d’un bandit, sauf
que ses yeux gardaient une lueur de défi.

L’étudiant en médecine qui avait
décroché il y avait belle lurette, se retrouva
au pied du mur. Que faire ?

4

Margueritte A. Primeau

Disparaitre au plus vite pour échapper a des
griffes qui pouvaient mettre en charpie le
moindre agresseur ? Ou tenter de panser
’horrible plaie avec les moyens du bord ?
J’allais vider les lieux abandonnant sac de
couchage et chariot, quitte a tout récupérer
plus tard, lorsque, je vous le jure, un regard
suppliant me cloua sur place. Je m/offris
donc en amende honorable pour compenser
si possible, la cruauté de mon semblable, ce
fameux Homo sapiens. La plaie cicatrisée,
mon raton laveur, dénommé dés lors « Va-
de-bon-coeur » vu ses cabrioles obstinées
sur trois pattes et demie, ne me quitta plus.

Apres notre pause matinale a
Spanish Banks, nous partions en tournée.
Toutes les poubelles du quartier y passaient.

Un jour, je ne sais pourquoi, je me
suis mis a lui parler et jusqu’a son départ
impromptu, il a été le seul confident que je
ne me Sois jamais permis.

- Tu sais, « Va-bon-cceur », je suis
un clochard, lui ai-je dit comme préambule.
Les politically correct m/’appelleraient un
« sans-abri »; pour les autres, je ne suis
qu’un plongeur de poubelles, un vaurien,
tout compte fait. Mais je m’en fous. Mon
home, il est au fond de la forét qui borde les
terrains de luniversite, parmi les fougéres
qui sentent bon. Et je troque mes précieuses
marchandises contre des sous.

Sagement assis au sommet du
chariot qui tanguait parfois dangereusement
sous son amas hétéroclite, « Va-de-bon