6— Le Soleil de Colombie, vendredi 27 janvier 1984 Nouveau Un cabaret francophone 4 Vancouver Par Jean-Francois Fournel Vancouver aura désormais son Tous les jeudis soir, cabaret francophone. Un vrai! Avec de la lumiére tamisée, un bar, de l’alcool et du spectacle: celui d’André et Charlotte d’abord, c’est eux qui ont eu l'idée, mais la scéne du Whittakers Club est aussi ouverte a tous ceux qui aiment s’amuser en public. Elle, pantalon de cuir brun ajusté et tunique blanche. Lui, pantalon immaculé, ves- te croisée bleu marine, et pochette assortie. Postés 4 Ventrée pour accueillir (un verre 4 la-‘main) les premiers arrivants a la soirée de lance- ment des jeudis francophones au Whittakers club, Charlotte et André annoncent la cou- leur: ce soir et tous les jeudis qui suivront, ce sera cabaret. «Si je m/’écoutais, sourit Charlotte, je mettrais des plumes et tout ¢a». «Nous on aime l'action», __ renchérit André. Cette «Grosse pomme», le nom de baptéme de ces soirées hebdomadaires, ils en révaient depuis long- temps. Tous deux originaires du Québec, ils se sont rencon- trés il y a tout juste un an a Vancouver «Nous avons joué un peu partout, raconte André, a droite, 4 gauche, dans les prisons, les boites, les restau- rants. Et puis, nous avons ressenti le besoin d’un endroit a nous, pour recréer une ambiance qui nous manquait, celle des clubs du Québec, et pour donner une chance de s'exprimer a des artistes de la région». Et puis ils ont rencontré Jonathan. Jonathan, c’est le patron de plusieurs boites en ville, dont le club de jazz Le Baszn street. Un professionnel du spectacle qui croit en eux. «J'ai vécu au Québec pendant longtemps et il s ont la-bas des clubs ow jai connu des moments extraordi- naires. Ici ca va marcher!» André et Charlotte partent sans subvention. Non sans idées. Ce sera une soirée francophone, soit, mais Ouverte a tous: «nous aime- rions avoir toutes sortes de spectacles, explique Charlotte, des jongleurs, des magiciens, des mimes, du théatre et jusqu’au strip tease». Dans_ l'immédiat Charlotte et André sont trés clairs: il n’est pas question pour eux de pouvoir payer les artistes. «Nous n’avons pas les moyens, insiste André, quand nous aurons des salles pleines, on pourra alors envisager un prix d’entrée ou un pourcen- tage sur les consommations.» Ils sont parfaitement cons- cients qu'il leur reste a faire leurs preuves. Tout est nouveau dans leur projet: Vidée du cabaret d’abord, et aussi le fait de la réaliser dans un club angiophone, sur Nelson et Seymour. «De plus,” c'est une toute nouvelle expé- rience pour nous, ajoute Charlotte, il faut faire rire les gens, placer des blagues au bon moment, ne jamais laisser retomber l’ambiance. Un vrai métier!» Mais Charlotte et André ont la conviction qu’on ne peut pas devenir un bon artiste de scéne sans étre passé par le cabaret. Histoire de joindre le geste a la parole, ils montent sur lestrade_ et commencent a jouer. Dans leur répertoire, des chansons québécoises connues, mais aussi leurs propres composi- tions. ; La magie du cabaret, c’est de donner l’impression au spectateur qu'il participe a la création ou au moins a l'inter prétation de ce qui se passe sur scéne. Et justement Charlotte et André semblent avoir découvert un peu de la formule secréte. _Ils_ ont, surtout elle, quelque chose d’assez indéfinissable, quelque chose comme la faculté de faire taper les gens dans leurs mains sans avoir a le deman- der, quelque chose comme le sens du spectacle. Marc Argaud, un uni- versitaire frangais, vient de donner trois confé- rences &4 UBC, a Simon Fraser University et a lAlliance frangaise pour présenter une nouvelle méthode d’enseignement du francais en langue seconde, Archipel. Des- tinée aux adultes et aux rands adolescents, Avehinc! urrait bien gagner e continent canadien dans les pro- chaines années. Crest trés sérieux. Rien a voir avec les procédés miracles et lucratifs pour leurs auteurs qui pro- mettent un francais parfait en 5 minutes.La méthode Archipel est née en 1982 d'une recherche menée depuis trente ans par le CREDIF (Centre de recherche et d’étude pour la diffusion du francais) , un département de la célé- bre Ecole Normale Supé- rieure. Archipel s’adresse aux adultes et aux grands ado- lescents qui veulent apprendre le francais en langue seconde. L’origina- lité du projet réside dans son choix d’apprendre la signification sociale d'un mot autant que sa traduc- tion formelle. Non que le programme ne vous per- mette pas de savoir que «to lose» se dit «perdre» en francais mais il s’attache aussi a vous enseigner que «perdre son stylo» ne signi- fie pas tout a fait la méme chose que «perdre son grand-pére». Les mots ne sont pas vides de sens et ils ont une implication sociale. C'est du moins le postulat de départ d’Archipel. «Il faut d’abord con- vaincre les étudiants que la deuxiéme langue quils veulent apprendre est une langue | intelligente, souligne- Marc Argaud, méme s’ils n'en connaissent encore que quelques mots, ils doivent apprendre 4 les utiliser _« intelligement». Bien sar il est question, dans Archipel, de gram- maire et phrases correctes, mais la méthode s’attache surtout a faire de la deuxiéme langue un outil Un Archipel sur la langue Par Jean-Francois Fournel de communication. Ainsi on peut y apprendre a comprendre — sinon a employer — «c'est pas» au lieu de «ce n'est pas» et «ouais» au lieu de «oui». Archipel ambitionne sim- plement de donner aux étudiants la conscience de limpact des mots qu’ils utilisent. Ne serait-ce que pour éviter de répondre «Ouais» a son patron en plein Conseil d’administra- tion. Archipel comporte douze unités —douze tiles — selon Marc Argaud. Par exemple les deux premiéres enseignent aux étudiants comment se présenter dans leur deuxiéme langue. «Nous partons de la base précise Marc Argaud, l’étudiant commence par donner son lieu de nais- sance ou son Age pour finir par une conversation beau- coup plus élaborée qui peut aller jusqu’aux con- victions politiques». Dans chaque unité, on donne aux éléves_ plusieurs moyens de dire la méme chose. «On peut remercier quelqu’un en disant sim- plement merci beaucoup, précise Marc Argaud, mais on remercie tout autant en déclarant: votre repas était excellent». L’ensemble se compose d'un livre du maitre, d’un manuel pour |’étudiant, de trois cassettes (75.00$) et de deux séries de diaposi- tives (50.00$). Mais aussi de dialogues enregistrés. «Pour apprendre a vivre couramment dans _ sa deuxiéme langue», conclut Marc Argaud. Pour l'instant Archipel n'est utilisé nulle part au Canada. Mais selon Marc Argaud la plupart des programmes des ministéres d’Education du Canada qui vont sortir dans les prochaines années _ font appel aux __ principes d’Archipel. De plus, la méthode fait déja autorité en Europe et en Amérique latine (Brésil, Argentine) . Pour utiliser Archipel a fond, il faut compter envi- ron quatre cents heures de travail. Méme avec Archipel, il n’y a pas de miracle. Le Manitoba et la C.b. s’entendent Suite de la page 1 en commun une entreprise) et leurs sociétés de dévelop- pement communautaire (les actionnaires francophones ne touchent pas de dividendes car les profits de la société en Colombie britannique mais lidée a fait son chemin les 19 et 20 janvier. «Francophones sont assez i*groupés au Manitoba, alors qu’ils sont ici dispersés aux quatre coins de la province’ ndique Claude Roberge, agent économique de la FFC. «s_ solutions manitobaines ne sont donc pas immédiatement transpo- sables en Colombie britannique. Pourtant, _ les expériences de la SFM peuvent nous apporter beau- coup». Ainsi, il ne paraitrait pas impensable de créer une société de développement communautaire autour d’un Centre communautaire 4 Vancouver. «Si jamais un tel centre voit le jour, dit Claude Roberge, on pourrait par exemple envisager des immeu- bles autour, de les louer a des commercants franco- phones ... » Mais, dans cette logique d’échange de lumieé- res, la Société Franco- Manitobaine ne détient pas le monopole des _ idées. Le Manitoba, qui n'a encore lancé aucun plan de tourisme francophone, pourrait ainsi profiter de l’expérience de la FFC qui lance un nouveau projet vacances. L’an dernier, huit étu- diants ont dressé pendant l’été, un inventaire des possi- bilités touristiques en francais dans la province. Cette année la FFC vient de recevoir le feu vert du ministére fédéral de Emploi et de |’Immigration pour engager pendant 22 semaines, trois personnes chargées d'un programme de développement touristique. La Colombie britannique a accueilli l'année derniére environ 50,000 touristes fran- cophones, essentiellement venus du Québec. «En s'orga- nisant, les Manitobains pour- raient eux aussi profiter de cet attrait des Québécois pour l'Ouest». Le Québec, c’est l’argu- Suite de la page 1 artistique du ° Québec, Genevieve Salbaing fonde les Ballets Jazz avec Eva von Gencsy et Eddy Toussaint. Ce dernier ne restera qu'un an avec les Ballets. “Il voulait surtout faire du classique ; pour- quoi faire ce que tout le monde fait?” de se deman- der Geneviéve. Celle-ci di- rige les Ballets avec un but bien précis qui est d’établir un centre artistique profes- sionnel ou les chorégra- phes, danseurs et composi- teurs intéressés par la mu- sique de jazz peuvent se regrouper dans un lieu de recherche et d’expression nouvelle. Mme Salbaing est cons- tamment a la recherche de nouveau. Quiil vienne d’ailleurs ou de ses écoles comme _ pour Benoit Lachance, un de ses éléves, qui signe l’une des choré- graphies “J'freak assez” que nous verrons dans leur nouveau spectacle. Oscar Peterson a signé la musique de “Jailhouse Jam”. “Cela a pris trés longtemps pour recevoir cette musique, car ce musicien trés célé- bre est toujours parti a l'autre bout du monde.” Judith Marcuse, de Van- couver, l'un des plus grands noms de la danse, Genevieve, directrice de ballet signe la chorégraphie de “Hors d’oeuvre” que lon verra également lors de cette tournée sur la cote. L’équipe des danseurs est recrutée par auditions bien sir, mais surtout grace aux quatre écoles que les Bal- lets Jazz ont au Canada une a Montréal, une a Québec, une a Laval et une derniére a Toronto, Toronto. Dans le dossier de presse des Ballets, une page est consacrée aux __ bienfai- teurs, donateurs et amis. La liste est impressionnan- te. “C'était déja difficile de trouver de l’argent il y quelques années, aujour- dh’ui, c’est vraiment dur. On sent trés nettement les effets de la récession. Un exemple autrefois, le public achetait ses billets et réservait ses places long- temps a l’avance des semaines voire des mois a lavance ; de nos jours c’est le soir méme. Ce qui est trés ennuyeux, car on ne peut savoir a l’avance ce que ¢a donne”, explique Geneviéve Salbaing. Pour la troisiéme fois, les Ballets Jazz de Montréal reviennent sur la cote ouest aprés une tournée dans de nombreux pays. Les pro- chains ? |’Orient, |’ Austra- lie. ment majeur qui a inspiré toute la réunion. En effet, une collaboration économique entre les provinces de l’ouest ne se résume pas a un axe Vancouver-Régina. Elle pourrait au contraire consti- tuer la base du_ triangle Vancouver-Régina-Montréal. Beaucoup d’entreprises qué- bécois:s uimeraient s'implan- ter dans l'ouest, précise Claude Roberge, elles ne le font pas a cause de la barriére linguistique. Une collabora- tion des francophones 4 tra- vers les quatre provinces pourrait les encourager a faire le saut». C’est pourquoi l’idée d'un coordinateur économique pour l’ouest a été lancée lors de la réunion. En attendant de la réalisér, la FFC et la SFM ont arrété un certain nombre de projets _ plus modestes. Parmi eux, la possibilité de vendre une partie de la production des cueilleurs francophones de !'Okanagan au marché public que la SFM voudrait organiser sur la rue Provencher a Saint- Boniface. D'autres projets suivront: la collaboration entre la Colombie britannique et le Manitoba n’en est qu’a ses balbutiements. «Cette premiére réunion nous a permis de faire connaissance, souligne Claude Roberge, de découvrir que nous pouvions travailler ensemble. Reste maintenant a mettre cette découverte en __ pratique». Reste aussi a4 ~convaincre: lAlberta et la Saskatchewan de s'associer. Entretien avec André Gagnon André Gagnon était de passage a l'Orpheum de Vancouver (critique en page 15). Le Soleil a demandé ce que sera son prochain voyage du 20 au 24 janvier & ce compositeur qui change souvent d’itinéraire. Le Soleil: -Vous avez Vhabi- tude de changer souvent de style. Le prochain André Gagnon sera-t-il classique, populaire ou électronique? André Gagnon: -Mon dernier disque «Impression» trahit un peu mes projets. Je me dirige vers des musiques douces, des ballades. Tout ¢a n’est pas encore trés précis dans ma téte mais la semaine derniére, j'ai ressenti une vague impression, sans jeu de mot, de ce que sera mon prochain disque. Je me sens trés attiré actuellement vers le classique et je n’ai plus trés envie de faire de la musique populaire. Or, je ne fonctionne que par envies, les miennes en dehors de celles des autres et de la mode. -Justement, a force de vou- loir rester en dehors des modes, ne prenez-vous par le risque d’étre démodé? -Je vous retourne la question: est-ce qu'il faut absolument jouer du rock pour étre de son époque? Je ne le crois pas. Je fais partie des compositeurs qui s'intéressent a toutes les formes de musique et je pense étre plus de mon temps que des musiciens de rock qui n'ont jamais entendu une fugue de Bach. Divailleurs, il n’y a jamais rien de nouveau. Méme Police, que j'adore, n’a rien inventé de tout a fait neuf. Un musicien vit forcé- ment un peu dans le passé car il doit toujours observer ce qui se fait ailleurs. Or une composition musicale, a partir du moment oi elle a été composée, appartient déja au passé. -Vous n’étes pas trés aimé des critiques et pourtant vous remplissez toujours les . salles ... -Beaucoup de gens, dont les critiques, ont essayé de me casser le cou. Or, il tient encore solidement. De toute facon, je ne travaille pas pour ces gens 1a. Je travaille pour moi et le public apprécie. Jusqu’a pxésent j'ai toujours pensé que le contact avec le public était ce qu’il y avait de plus important pour moi. , Maintenant, j’ai l’impression d’étre en train de changer ma facon de voir. Je dis impres- sion car je pense, et je pense seulement, que le travail en studio m’intéresse de plus en plus. Voyez, ce n’est méme pas encore clair dans ma propre téte. Il me semble que Glenn Good avait raison quand il disait: «Le studio est ce qu'il y a de plus important car on peut y atteindre la perfection». -Pas de spectacle en prépa- ration, alors? -Bien sir que si. Je ferai en avril-mai prochains un spec- tacle de piano solo dans un club a Montréal. Je serai tout seul sur la scéme avec mon piano, et les conseils d’un vrai metteur en scéne: une toute nouvelle expérience. De plus, je pars fin mars pour une tournée de quinze jours en Egypte. Ce sera mon premier voyage avec ma musique dans un pays arabe. -Est-ce que cela peut vouloir dire quelque chose d’étre francophone _— pour un ee pianiste. Vous avez dit un pour que votre piano, lui, n’avait pas d’accent ... -C’est vrai. Lorsque je suis a mon piano, la barriére de langue ne joue pas. II est vrai aussi que je n’ai jamais connu de gros probléme avec le public anglophone. Pour- tant, étre un des rares artistes francophones a _ parcourir réguliérement le Canada d’est en ouest reste trés important pour moi. J'ai eu la chance de pouvoir me faire accepter rapidement dans le Canada anglais grace aux Prix Juno que j'ai obtenus coup sur coup (NDLR: en 1976 et 1978). Ce qui manque souvent aux artistes québécois pour se faire connaitre a l’extérieur, c’est une référence ce lancement: un disque! De nos jours une carriére de scéne est impen- sable sans avoir un disque a présenter pour les radios. Moi, jai eu beaucoup de chance ... Propos recueillis par Jean- Frangois Fournel. ee sis _ 4 Rain Mas