Par contre, cette petite Villa des lilas, élément aimable d’une vieille Eu- rope romantique perdue au bord de |’Océan Pacifique, est ici a ce point charmante, tellement tranquille et si paisiblement appuyée sur un hétre a la fois centenaire, magique et débonnaire, que je ne pouvais plus considérer la proximité du trépas comme une chose désolante. A vrai dire, souvent je m’étais promenée dans le cimetiére lui-méme, a la fois trés digne et trés sensible, toujours, avec un plaisir a peine entaché d’un vague relent de nostalgie. Je crois mon comportement généralement dicté bien plus par le sub- conscient que par la raison. La chose est assez évidente, car, une fois de plus, le temps grisatre, la pluie fine et la brise glaciale, désespéré- ment tenaces depuis quelques jours, ont terni les couleurs printaniéres, escamoteé le retour glorieux des jonquilles et dirigé mes pas languides vers ce grand jardin des silences aux pieds des lilas. Malgré sa fonction, l’endroit est joyeux a l'instant ou le ciel est bleu. Les cerisiers se croient alors fleurir au Japon et les tombes de guingois, ap- paremment ivres des senteurs de la mer, dansent follement dans la ten- dre clarté d’avril. En empruntant les petits chemins baignés d’une frai- che lueur, délicatement dosée par les jeunes feuilles fragiles, si fires de leur derniére éclosion, on a envie de croire non plus a la mort, mais a un court prélude au recommencement. Quand le rideau gris et terne des nuages chargés de pluie s’est refermé sur le soleil, ce cimetiére a des allures de Toussaint. Les cerisiers sont gris et les pins, noirs. Le front a la fois noyé par la bruine et les pen- sées, j’erre alors le long de sombres sentes, entre les stéles toujours penchées et incrustées de lichen et de souvenirs. Ce cimetiére est, parait-il, peuplé de fantomes. On ne les rencontre pas au printemps. L’air est sans doute trop léger et tend a les rapprocher du ciel. Dans la grisaille humide, ils reviennent sur terre. Collés au sol par la boue grasse et I'herbe visqueuse, on les confond alors avec les sé- pulcres s’ils se couchent, fatigués d’une longue vie errante. Quand ils se redressent, lourds d’un passé parfois insupportable, ce sont de pauvres cippes courbés par les ans et le malheur. Ils ne parlent pas et c’est bien ainsi : la douleur ne peut se décrire. Leur compagnie silencieuse est un réconfort et d’un riche enseignement. Car, ici, le malheur d’autrui est souvent plus affligeant que nos plus grandes peines. Les fantémes, il est vrai, sont un sinistre exemple a ne pas suivre. J’évite ainsi ce quartier de la nécropole ot régnent en maitres quelques mauvais esprits dont la vie dissolue et cruelle s'est confirmée aprés leur 8