Le Soleil, mars 1993 Le Soleil, mars 1993 L ‘4 Un povs sans frontiéres ie premiers habitants des prairies ne connaissaient pas les frontiéres que |"homme blanc leur a, par la suite, imposées. En bandes nomades, ils suivaient tout aulong de1’année, le bisondans ses migrations. Ne connaissant pas le cheval, c’est 4 pied qu’ils se déplacaient, menant une existence précaire souvent a la merci de © la disette. Cependant, dés 1’an mil, des Indiens vivant le long du Missouri commencérent a cultiver la terre. Puis vers le XIIIémie siécle, de nouvelles bandes arrivérent des quatre points cardinaux. Portant les noms de Blackfoot, Gros Ventres, Assiniboins, Sioux, Ojibwas... ils s’installérent dans les prairies ot ils menérent une vie semi-sédentaire en cultivant les terres fertiles le long des riviéres, et en ramassant plantes et fruits sauvages. Mais ils n’en continuérent pas moins a chasser réguliérement le bison. les rites de la chasse tribus se rassem- chassaient pour leur au cours de l’été, juste Durant le cours de |’année, les blaient en bandes plutdét réduites qui propre compte. Mais une fois par an, aprés le rendez-vous pourladanse j sacrée du soleil, des groupes de chasseurs accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants voyageaient pour se rendre au grand «Rassemblement». | C’était alors le moment des grandes chasses tribales qui étaient précédées de nombreux rites et priéres. Durant la chasse, des membres de diverses socictés militaires veillaient a la discipline. Is étaient chargés de s’assurer que chaque chasseur ne chassat point pour lui-méme. : A cette occasion, chaque guerrier, d’ordinaire plutét fier et indépendant, acceptait de se soumettre a |’autorité des .:-~ surveillants qui d’ailleurs avaientle s#=, droit de punir les désobéissants en les, fis fouettant ou en abattant leur chevaux. =. Le bison, source de vie De la naissance G la mort Lorsqu’on pense a tout ce que les Indiens tiraient du bison, on ne s’étonne plus de la vénération qu’ils lui portaient. A sa naissance, |’Indien était enveloppé dans une souple peau de veau. Asa mort, c’est encore une peau de bison qui lui servait de linceul. La peau de bison était a 1’Indien des Plaines ce que le cédre était aux tribus Haidas de |’Ouest canadien. Elle servait 4 fabriquer le tipi et les doublures protégeant du froid dont les habitants des plaines tapissaient leur tentes. Certaines parties plus épaisses, comme la peau du cou, servaient a faire des boucliers. D’autres assouplies par enfumages, trempages, séchages et frottages ser- vaienta la confection de chemises, de jambiéres, de robes, de gants et de mocassins. Avec la peau des bétes tuées en hiver, dont la toison était plus volumineuse, on fabriquait des couvertures et des manteaux. Tout comme les Inuits, lorsque les Indiens tuaient un animal, ils utilisaient toutes les parties de son corps. Absolument rien n’était jeté. La queue du bison devenait chasse-mouche, le cuir cru était transformé en liens et en lassos. Une fois rétrécies, les laniéres servaient a fixer les pierres aux manches des massues et les pointes de fléche a leur hampe. Le poil servait 4 rembourrer les berceaux, a fourrer les gants, les mocassins, les selles pour les cheveaux et méme, une fois bien jassé, 4 confectionner des boules que 1’on utilisait dans les jeux de balle. Les cornes de bison taillées étaient transformées en gobelets et en cuilléres. Les os servaient 4 faire des grattoirs 4 peaux, des alénes et des couteaux. Les cétes rassemblées par des laniéres de cuir servaient a fabriquer des traineaux. Enfin méme le scrotum et les sabots de |’animal étaient utilisés dans les rites religieux. la chasse avant larrivée du cheval Chasserle bisonavant|’arrivée du cheval n’étaitpas facile. Les Indiens utilisaient plusieurs techniques dont |’une d’entre elles consistait a amener le troupeau de bisons 4 se précipiter du haut d’une falaise. Evidemment la plupart des animaux se tuaient en tombant. Parfois les chasseurs pouvaient les piéger en mettant le feu aux herbages tout autour de leur troupeau. Plus audacieuse était la technique qui consistait 4 diriger le troupeau vers une barricade, construite en demi-cercle, derriére laquelle se trou- vaient cachés, a contre vent, les femmes et les chiens chargés de faire du bruit. Lorsque les bisons affolés essayaient d’éviter la barriére, les hommes usaient de leurs lances et de leurs fléches pour les abattre. La venue du cheval La venue du cheval dans les prairies de 1’Amérique du Nord, au XVIIléme siécle, affecte incroyablement la vie des Indiens. Dans la ptupart des tribus, parmi lesquelles les Sioux, les Crows, les Cheyennes, les Arapahos, etc... soudainement la vie devient monotone au village. Pourquoi continuer 4 mener une existence terne alors qu’il estmaintenant possible de rivaliser avec le vent, -poursuivre d’une fagon plus efficace les troupeaux de bisons, et mémese lancer dans des incursions téméraires contre les tribus voisines. Méme lorsqu’ils ne renoncent pas 4 la vie de village, pour les Indiens, |’attrait du cheval est énorme. Les -\Pawnees, les Mandans et les Hidatsas qui étaient autrefois semi- > sédentaires et ne quittaient leur village que quelques semaines pour chasser, parcourent maintenant la prairie pendant des mois, ne rentrant chez eux qu’a l’époque des semailles et des récoltes. Aujourd’ hui lorsqu’on pense a 1’Indien des Plaines, on a du mal a l’imaginer sans son cheval. Il est certain que les habitants de la prairie saluérent la venue de ce noble animal avec vénération et comme d’une certaine fagon il allait remplacer le chien dans les modes de transport, il lui donnérent le nom de «chien esprit». La disparition du bison C’est avec la construction du chemin de fer que la destruc- tion du bison commence. Certes il est plus facile de chasser le bison pour subvenir aux besoins de nourriture des travailleurs occupés a4 construire le chemin de fer que de transporter des aliments sur les lieux de travail. Alors le carnage commence. Une fois les rails posés, la chasse au bison devient un sport trés apprécié. De luxueux trains aménent des voyageurs vers |’ Ouest. Bien installés dans leur wagons, ils tirent continuellement au fusil et au revolver sur les troupeaux. Parla suite, l"hécatombe devient encore plus grande lorsqu’une compagnie de Pennsylvanie décou- vre que 1’on peut obtenir un cuir de qualité a bon marché en traitant la peau de bison. La décimation des troupeaux appauvrit les Indiens, tribu aprés tribu. Eux qui avaient connu l’abondance souffrent mainte- nant la disette. Ils sont alors réduits a se réfugier dans ies réserves ou ils vivent une vie dépourvue de la fierté et des activités qui étaient la caractéristique méme de leur identité. Les Indiens des Plaines La vie de tous les jours Dans les tribus indiennes, les taches étaient réparties suivant les Ages et les sexes. Alors que les hommes plus jeunes Ppartaienta la chasse, les plus agés restaient au campement oi ils passaient leur temps a fumer la pipe, a jouer avec des dés en os de bison, ou encore a raconter d’anciennes légendes. Pendant que les enfants organisaient d’imaginaires chasses aux bisons, des . femmes partaient a la recherche de baies qui serviraient plus tard a fabriquer le pemmican. Mais la plupart d’entre elles restaient au campement pour réparer les peaux endommagées durant|’hiver. Les femmes étaient aussi chargées de fabriquer les parfléches, sortes de sacoches en peauicrue dans lesquelles on rangeait la viande séchée de bison. Tanner les peaux quiserviraient 4 confectionner les couvertures, les tipis et les vétements, et Equarir les bisons faisaient aussi partie de leurs taches. Ainsi _la vie s’écoulait au rythme des travaux de tous les jours, de la chasse, des rites religieux et des incursions dans les tribus ennemies. @ oe le tipi fixée par des chevilles de bois, compor- tait une ouverture au sommet permet- tant de laisser passer la fumée. Le bas de cette jonction servait de portiére que l’on fermait au moyen d’un rabat. A l’intérieur du tipi, on cuisait les ali- ments sur un feu qui servait en méme es de source de chaleur. ‘ \intérieur d’un tipi pouvait contenir de nombreux objets : des lits en peaux, un berceau suspendu sur cadre de bois, un tapis pour le bébé, un re- { pose-dos en saule, un parfléche contenant des pro- visions, unsac-médecine, un récipient 4 cuisson sus- pendu, des armes, du com- \ bustible, des vétements ‘\ etc... Les Indiens étaient Le tipi était une habitation bien’ adaptée aux besoins de la vie des Indiens: des Plaines. Il était suffisamment solide: pour résister aux vents violents de 1’Ouest. D’une grande légéreté, il était facile 4 monter et 4 démonter, ce qui convenaitparfaitementaux populations nomades des plaines. Le tipi était véritablementle «chateaudel’In- \ dienne». C’est elle qui le fabri- quait, le pliaitet]’installaitsur le travois lorsque le temps de voyager était venu. Ancétre de notre tente moderne, le tipi pouvait étre monté trés rapi- dement. Arrivés au nouveau campement, ilsuffisaitd’ins- . taller quelques perches de bois que l’on réunissait en faisceau au sommet. Ce (finn |e EE SI pe 'geN faisceaucOniqueétaitalors / 2 = trés attachés a leur tipi recouvert de huit a vingt / : 4 qu’ils considéraient peaux selon la taille dus ee comme «une bonne mére». Le bison av menu quotidien La nourriture de base des Indiens des Plaines était €videmmemt le bison. Aprés la chasse, la viande restante était séchée sur des rateliers et conservée en laniéres. Elle pouvait aussi étre écrasée et mélangée a de la graisse et des baies pour devenir le PEMMICAN. Méme les organes internes de l’animal étaient cuisinés. Quant a la panse de bison, avant |’ arrivée des Blancs, elle servait de marmite. Les Indiennes |’accrochaient a quatre batons, la remplissaient d’eau qu’elles amenaient a ébullition en y plongeant des pierres brilantes. Le langage de l'art Les Indiens décoraient de motifs peints, de broderies, de perles, et de piquants de porc-€pic, 4 peu prés tout ce qui pouvait se peindre : les vétements, les enveloppes de tipis, les récipients, les couvertures, le corps des chevaux et méme leurs propres corps. Pour les Indiens, certaines de ces peintures possédaient des vertus surnaturelles, d’autres racontaient plut6t une histoire, ou servaient de signature. Par exemple, tel motif pouvait raconter la vie d’une personne, indiquer son age et raconter ses exploits. Les peintures sur la peau étaient a la fois une protection contre le soleil et une sorte de talisman devant préserver au combat celui qui les portait. Les motifs figuratifs représentant le ciel, la terre, les animaux, ou des amis indiens, étaient réservés aux hommes, alors que les femmes peignaient -plutét des figures géométriques. Les couleurs avaient aussi une signification qui pouvait varier d’une tribu a |’autre. Dans les tribus Crows, le noir symbolisait la victoire, alors que chez les Sioux, il représentait la nuit. Pour les Sioux encore, le rouge était la couleur du soleil couchant et du tonnerre, mais les Arapahos |’associaient au sang et a la terre. SS Indien: frotter 2 fois la Cheyenne: petits coups Queue d’oiseau main, d’arriére en avant secs sur l’index gauche : : ee Pattes d’oiseau Ee Goran Tét Patt symbolisant stylisées ete re le corps d’un oiseau une aile d’ours brun et griffes d’ours con: porter le poing au front, paume en dehors Comanche: imiter le mouvement du serpent Nez-Percé : passer Vindex sous le nez Pawnee: faire le signe V et tendre la main (2) 1@ Des plumes encochées, rognées, teintes ou modifiées symbolisaient chez les Sioux un exploit spécifique, ou coup. Ci-dessus, de gauche a droite : de porc-épic, une bague par victime ; 4. Pour un ennemi tué — une tache rouge; 5. Pour un ennemi égorgé et scalpé — une entailie dans les barbes; 6. Pour avoir été blessé plusieurs fois — plume fendue ; 7. Pour un ennemi égorgé — le sommet de la plume coupé en diagonale; 8. Pour quatre coups comptés — barbes dentelées ; 9. Pour cing coups comptés — barbes en partie enlevées. La danse du Soleil , 1. Portée pour un premier coup — touffe de crin de cheval au sommet; 2. Pour une blessure reque — plume teinte en rouge: 3. Pour un blessé ayant tué des ennemis — la tige baguée de piquants Sioux: geste de couper la gorge Osage: abaisser les mains derriére la téte Bleu jaune vert... Pour la plupart des Indiens des Plaines, la danse du Soleil était une céré- monie religieuse importante. Elle servait entre autre 4 maintenir |’unité tribale en- tre les bandes de chasseurs. Ce rituel d’été qui-pouvait durer 12 jours était aussi un témoignage d’endurance et de courage. offert au Grand Esprit. Durant la danse du Soleil, les souffrances endurées par le participant le faisaient entrer en commu- nion avec le monde des esprits et lui permettaient ainsi de réaffirmer son iden- tité d’indien. De tous les objets sacrés, la pipe ou calumet était probablement le plus important. «La pipe c’est notre corps» dit un Sioux, «le tuyau c’est notre échine, le fourneau notre téte. La pierre notre sang, rouge comme notre peau.» Chaque Indien possédait ses propres pipes qu’il fumaitlorsdecérémonies religieuses oupourlesimple plaisir de fumer. Certaines particuli¢éremnt ouvragées n’étaient utilisées que dans des circonstances importantes : déclaration de guerre, . pacte de paix, rituel devantassurer le succés dans la chasse au bison, guérisonde maladie etc... Objets de vénération, elles étaient entourées de grands soins. Les Indiens des Plaines tiraient le bleu a partir d’excréments séchés de canards qu’ils délayaient dans l’eau ; le jaune provenait des calculs biliaires du bison et des merises ; le noir était tiré du charbon de bois ; le vert provenait des plantes et le blanc de diverses argiles. Pour que les couleurs tiennent, il fallaitles mélangera des colles naturelles diluées dans 1’eau. Pour peindre, les Indiens utilisaient diverses brosses. Une pour chaque ton. Certai- nes étaient faites de bois de peuplier mastiqué, d'autres de rameaux de saules et d’autres encore en os s’_ ngieux. La pipe, un objet sacré Un crane de bison peint occupait ia piace d'honneur au cours de la celébra- tion annuelle de la danse du Soleil la venue des Blancs La venue des Blancs et l’introduction du cheval en Amérique du Nord changent radicalement le mode de vie des Indiens des Plaines. Pendant prés d’un siécle, la possession du cheval leur permet d’attraperle bison plus facilement et leur apporte donc des années de fastes. Mais cela est de courte durée. D’abord ce sont les trappeurs qui viennent chasser le castor, puis les colons qui s’établissent sur les terres fertiles. A leur tour, les prospecteurs d’or viennent s’installer en terre cheyenne. Enfin aprés la guerre de sécession, les .voix ferroviéres ouvrent la plaine a des milliers de colons. A partir de 1850, I’hitoire de la colonisation n’est plus qu’une interminable suite de traités plus ou moins respectés souvent suivis de carnages de part et d’autre. €afin, lespoir qui pointe ag 2 La disparition du bison marque la fin de la grande période des Indiens des Plaines. Parqués dans des réserves, ils vont bien de temps en temps pousser des tentatives de résistance mais toujours 4 des opposants tellement plus forts qu’eux. Mais aujourd’hui on commence a parler «d’auto-gouvernement, de respect des droits ancestraux, de maintien de la culture», losqu’il s’agit des Amérindiens. Alors il faut souhaiter que l”"homme du XXIéme siécle soit plus sage et plus juste que celui des siécles passés, et qu’il sache vivre dans le respect des peuples aborigénes en se souvenant que, sirement, il y a quelque chose a apprendre de ceux qui furent les fondateurs de cet immense continent.