= = LOUISE Mere de famille et administratrice d'une ferme avicole. Partenaire dans cette entreprise depuis 15 ans, de formation en entrepreneurship pour les femmes de sa elle a fondé un programme localité. Le Jeu de l’égalité ‘il y a une preuve que les statistiques peuvent étre interprétées de mille et une fagons, ce livre-document de Nicole Morgan en est une. Analyse quantitative et historique du mouvement de la main d’oeuvre-féminine’ dans la fonction publi- que fédérale, ce livre revoit dans une nou- velle perspective les statistiques des rapports annuels de la Commission du ser- vice civil (devenue la Commission de la fonction publique) depuis 1908 jusqu’a 1987. Elle ade plus interviewé 52 fonction- naires. Aprés avoir constaté dans un premier temps que si, en 1987, les femmes repré- sentaient 42,4 % des effectifs permanents de la fonction publique fédérale, et que dans un deuxiéme temps, elles ne repré- sentaient que 8,7 % (223) de la gestion supérieure alors qu’elles constituaient 82,8 % (55 825) de la catégorie soutien adminis- tratif, l'auteure propose "un point de vue complémentaire qui permettra de mieux comprendre a quel point le cheminement des femmes au sein de la bureaucratie est complexe, qu’il évolue en dents de scie et qu'il se paie parfois chérement" (page 1). C'est ainsi qu'elle constate que 83,9 % des femmes contre 54,7 % des hommes ont un salaire inférieur 2 35 000 dollars. C'est a partir de trois hypothéses de base soutenues tout au long du document par des témoignages et des statistiques que Nicole Morgan enarrive alaconclusion que le progrés des femmes dans la fonction publique fédérale n'est pas sans équivo- que. Hypothése #1 : Abandonner trois éléments de base a savoir 1) l'explication du phénomeéne de ce qui manque aux femmes pour étre égales doit étre remplacée par une compréhen- sion du mouvement de résistance chez les hommes; 2) laisser de cété tout schéma et toutes statistiques qui tentent de prouver que les femmes ont gravi petit a petit les échelons; 3) discarter "l'idée simpliste" que la gent féminine a l'intérieur de la fonction publique forme un groupe uni. Hypothese #2 : La bureaucratie fédérale est une sous- culture qui affecte directement ceux et celles qui la subissent de l’intérieur. Hypothése #3 : A salaire égal tous les emplois ne sont pas égaux; des éléments autres que I’ar- gent servent a déterminer les rapports de prix entre hommes et femmes a un méme niveau. Dans lapremiére partie, l'auteure relate ce qu'elle appelle l'histoire ancienne, de la formation dela Commission du service civil jusqu’au début de la Deuxiéme Guerre. La fonction publique avait été pensée par et pour des hommes mais les salaires offerts étaient tellement bas, que les femmes se mirent a accepter des emplois que les hommes ne voulaient pas. Les gestion- naires de I'époque s'étant en quelque sorte fait prendre a leur propre piége décidérent donc de mettre les choses au clair : "lest un grand nombre de fonctions dans les grades élevés qui ne sauraient étre remplies par des femmes. Il y ena d'autres ot les femmes ne pourraient étre admises comme celles quileur donneraient la direction et le contréle d'une quantité considérable d’hommes : c'est peut-étre un préjugé mais il faut en tenir compte” (Rap- port Annuel de 1908, cité page 5) et ".,. ll est impossible d’admettre que le tra- vail relevant des ministéres puisse étre ac- compli par un personnel uniquement féminin (Commission royale sur le service civil, 1908, cité page 6) enfin, "les femmes mariées ne pouvaient étre employées que si elles étaient tenues de subvenir a leurs besoins ou encore elles pouvaient étre nommeées a titre temporaire lorsqu’il ne se présentait pas un nombre suffisant de candidats compétents réunis- sant les autres qualités" (cité page 6). Puis, lorsque les hommes partirent pour la guerre, les femmes furent embau- chées @ nouveau et pendant les années 1930 a 1945, constituaient environ 30 % des nominations 4 la Commission. Or, les anciens combattants revinrent au pays et le gouvernement les embaucha en masse a ce point oi I’'auteure parle d'une "sous- culture paramilitaire" au sein de la fonction publique. Il y eu méme un Arrété en Conseil en 1931 qui disait que les femmes mariées devaient étre renvoyées et remplacées par des anciens combattants. La deuxiéme partie du livre de Nicole Morgan couvre la période des années soixante, époque ol le Parlement mandata la Sénatrice Florence Bird de “faire en- quéte et rapport sur le statut des femmes au Canada et de présenter des recomman- dations quant aux mesures pouvant étre adoptées par le gouvernement fédéral afin d’assurer aux femmes des chances égales a celles des hommes dans toutes les sphéres de la société canadienne." lly eut aussi au cours de cette décennie une nouvelle loi sur la Fonction Publique et la Loi sur les Langues officielles qui allaient chacune a leur maniére chambarder la bu- reaucratie fédérale. Par ailleurs il y eut expansion frénétique de la fonction publi- que et, la bilinguisation aidant, un grand nombre de femmes entrérent dans les postes de cadre en tant que préposées a l'enseignement des langues. Si les statis- tiques de la Fonction publique indiquent qu’en 1967, 17,7 %des femmes détenaient des postes de cadres, une analyse de l'au- teure révéle que 5,2 % d’entre elles travail- laient-dans les hépitaux, 11 % faisaient 4— CAHIER DES FEMMES, MARS 1989 partie de l'administration bureaucratique et 1,5 % étaient des professionnelles (diététi- ciennes, économistes, ménagéres, profes- seures, bibliothécaires et travailleuses sociales (p. 15). Si a cette époque il n’était pas rare d'entendre des commentaires tels "on ne peut pas étre une vraie femme et étre haute fonctionnaire", une étude de 1973 révéle que de fait parmi les rares femmes a avoir accéder aux postes de cadre supérieur, 61 % étaient célibataires, 86 % n’avaient au- cune personne a charge et 92,4 % avaient plus de 40 ans (page 16). Somme toute, elles n’étaient pas considérées comme "vraies" par les mandarins qui les avaient embauchées. Le dépdt du rapport de la Sénatrice Bird en 1970 allait changer bien des choses, mais surtout, de l’avis. de l'auteure, ."les femmes dans la fonction publique n’étaient plus main-d’oeuvre; elles étaient devenues un enjeu politique.” (p. 21) Puis l'auteure aborde ce qu'elle appelle l'époque de la tolérance, le début des an- nées 70 en citant un cadre supérieur mas- culin de 59 ans : "Mais il n'y a pas de probléme de femmes. II n'y en ajamais eu. Tout cela est de l'invention. Moi, madame, si je vois une femme compétente, je l'em- bauche" (p. 23). Selon I’auteure, les femmes n’ont ja- mais eu le poids politique des Anciens combattants ou encore des francophones qui leur aurait assuré une représentation plus équitable, et ce, pour trois raisons selon elle : d’abord parce que les femmes n’ontjamais été réunies autour d'une cause commune (par exemple de faire la guerre ensemble); deuxiémement parce qu’au fil des années les femmes ont en général voté pour le gouvernement en place plutot que selon leur sexe ou leur appartenance a un groupe et enfin, les politiciens en forte ma- jorité des hommes n’ont pas I’habitude de précher par l'exemple. Lapremiére directive du gouvernement visant la promotion et l’‘avancement des femmes a des postes intermédiaires fut émise par le Cabinet en 1972 : mais selon l'auteure, elle était tellement vague que l'appareil bureaucratique en général usade toutes les techniques a sa disposition pour la contourner. Cependant, grace d'une part al’expansion économique et démogra- phique du pays et d’autre part a des groupes réformateurs a lintérieur de la Fonction publique, il y eut dans les années 70 uneffort réel de recruter des femmes en administration - tellement que le taux de croissance des femmes doubla celui des hommes (page 25). Toujours selon Nicole Morgan, larésis- tance au changement était omniprésente ettous les moyens étaient bons pour freiner 'évolution. L’auteure les regroupe en six catégories. La premiére c'est la lenteur du processus, un moyen classique dont le meilleur exemple soumis par l’auteure est la directive du Conseil du Trésor présentée en 1972 et qui demandait a quiconque de "réfléchir" sur les garderies et le travail a temps partiel; 17 ans plus tard la réflexion n’atoujours pas abouti. La deuxiéme tech- nique est l'indifférence ou la négation, c'est-a-dire que les gestionnaires avaient d'autres préoccupations plus "sérieuses" par exemple la dotation de personnel fran- cophone ou encore ils nommaient une femme et étaient convaincus d’avoir fait leur devoir pour I’éternité. A des niveaux hiérarchiques plus bas la résistance insis- tait ane rien faire. La quatrieme technique et probablement une des plus scanda- leuses fut la manipulation des processus de dotation : d’abord les nominations tem- poraires et indéterminées - en 1976, 33 % des postes temporaires et 49 % des postes indéterminés étaient comblés par des femmes. La deuxiéme barriére : les femmes n'obtenaient pas les postes de gestion. Par exemple, en 1976, 38 % des diplémées universitaires au Canada étaient des femmes, 29 % des candida- tures, des recrues universitaires étaient fé- minines, sur les 119 femmes embauchées, 22 avaient un PhD, 36 une maitrise et 27 un B.A. et en dépit de tout ga, seulement 89 femmes comparé a 4 140 hommes dé- tenaient des postes des catégories SM et EX-4-5 (haute gestion); cette méme année 13 hommes de moins de 30 ans ont été embauchés directement au plus haut ni- veau (EX-4 et EX-5). De plus, certaines pratiques discriminatoires faisaient en sorte que des femmes étaient promues & un poste dit intérimaire et ne pouvaient plus bouger, les postes étaient reclassifiés ou annulés. La cinquiéme technique au ta- bleau de la résistance était la neutralisa- tion, c’est-a-dire de cantonner les femmes dans des divisions sans pouvoir ou encore de retirer tous les pouvoirs a un poste s'il était occupé par une femme. Selon I'au- teure, il y aurait méme eu du sabotage, soit la promotion de la moins capable des can- didates pour cultiver un sentiment d’anti- action positive. Enfin, la derniére technique en est une d’intimidation dans laquelle l’auteure regroupe l’ostracisme et lisolement des femmes, la punition, l’inti- midation physique, la formation de clan, la rumeur, l'intimidation intellectuelle etle har- célement sexuel. Puis vint|’ére de la défensive vers la fin des années 70 lorsque Jean Chrétien alors président du Conseil du Trésor demanda "que la représentation des hommes et des femmes corresponde a la proportion des personnes intéressées et qualifiées des deux sexes" et ce a tous les niveaux et dans tous les ministéres (page 41). Selon l'auteure, c'est a partir de ce moment que commenga la vraie bataille du pouvoir et que la résistance se tranforma en défen- sive : d’abord un barrage d’idées, des ex- cuses, puis plus important encore "'interprétation statistique des progrés fé- minins" (page 43). Un procédé trompeur de souligner|’auteure parce que d’abord on méle les pommes et les oranges - par exemple on entre dans la catégorie "scien- tifique et professionnelle les ES (écono- mistes, sociologues, statisticien-ne-s) dont les possibilités d’avancement sont réelles et qui est composé a 85,8 % d'hommes, ainsi que les bibliothécaires dont les possi- bilités de carriére sont plus limitées et qui sont a 66,2 % des femmes. Trompeur aussi parce que la généralisation par caté- gorie de cadres ne tient pas compte des niveaux; par exemple dans les catégories de gestion intérimaire (PM et AS) la popu- lation féminine s'est accrue a un rythme quatre fois supérieur a celui des hommes; or l'étude de l’auteure révéle qu’en moyenne 80 % des femmes se sont retrou- vées aux premiers échelons alors hommes étaient en bas de |'échelle dans une proportion d'environ 45 %! (page 45). Aujourd’hui, le partage semble étre sur la voie de l’équité. Les femmes sont pres d’obtenir la parité numérique représentant en 1987, 42,4 % des effectifs de la fonction publique. En 1985, il y avait trois fois plus de femmes cadres qu’en 1976 - cet effort est tellement récent que 38,9 % d’entre elles ont moins de 40 ans alors que chez leurs collagues masculins cette proportion est de 15,1 %. Mais, selon l'auteure il reste des distor- tions importantes : dans la Région de la Capitale Nationale, en 1987, seul 1,1 % des femmes étaient a un niveau de direc- tion, 2,4% adesniveaux supérieurs et 13,7 - a des niveaux intermédiaires (bien que ce soit deux fois plus qu’en 1976). Mais sion regarde du cété des hommes, ces derniers ont aussi grimpé les échelons de maniére tout aussi remarquable. Nicole Morgan termine son analyse en posant deux questions, la premiére : va-t- on vers une “fonction publique féminisée oll les niveaux non cadres appartiendront aux femmes alors que les niveaux cadres seront partagés entre hommes et femmes, suivant une loi compliquée oul les hommes auront toujours une coudée d’avance"; la deuxiéme : s'agit-il d'un progrés? Que si- gnifie le progrés de certaines femmes si le bas de l'échelle reste toujours le lot des. femmes?" (page 57). Elle en conclut que ce sont les tripunaux aux termes de|’Article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés qui auront “a trancher les déséqui- libres en matiére d’embauche, de perfec- tionnement professionnel, de promotion et de pouvoir." Entre temps, de dire 'auteure, "'égalité des chances et de l'avancement demeurera un voeu pieux tant que les em- ployeurs n’assumeront pas la responsabi- lité qui leur revient d'instaurer des mesures dynamiques de redressement." (page 67) Thérése Boutin j ELT OR