Des brumes aux sables Extrait d’un manuscrit inédit . ...J’aurais voulu ne jamais recevoir cette dépéche. J’étais bouleversé. Je repoussais cette feuille que j’avais parcourue hativement. J’étais dans un état de stupeur. J’oscillais la téte, dans un mouvement rapide de déné- gation. Enfin, lentement, je ramenais vers moi le document impitoyable. Je le relus doucement, en hésitant d’une syllabe a l’autre comme pour en conjurer le sens. II était rédigé 4 la main, d’une petite écriture pointue que je trouvais agressive, tant j’étais hostile 4 ce qu’elle m’apportait de souffrance : « A 7 Km d’Agadés, une patrouille commandée par le caporal Bertaut, a découvert le cadavre d’un inconnu. Son état de déshydratation est la cause probable de sa mort. Dans une poche de son short un mou- choir porte un prénom brodé : Eric, et un fragment d’enveloppe avec votre nom et adresse. A une dizaine de kilométres vers l’ouest nous avons repéré une 2CV Citroén abandonnée, sans plaques ni papiers d’ identification. Nous en déduisons qu’elle a pu appartenir au mort. Dans la dite voiture nous avons trouvé des effets personnels, plusieurs jerri- cans, dont I’un 4 demi plein d’eau, un autre avec environ 20 litres d’es- sence. Le corps a été inhumé par les soins de la Mission catholique. Nous avons ouvert une enquéte, mais pour le présent, aucun indice ne nous permet de comprendre pourquoi ledit Eric se trouvait dans cette région du Sahara. Etant donné que le véhicule n’était pas en panne, sa mort nous parait suspecte. Votre adresse étant le seul lien que nous ayons avec la victime, votre coopération nous serait trés utile. Ayez l’obli- geance de nous contacter dés que possible. Une fois |’enquéte terminée, les effets personnels, et la voiture seront a la disposition de la famille ». (La lettre portait le timbre du poste de gendarmerie d’Agadés, signée par son commandant.) J’étais accablé. Ces mots me faisaient mal, et je refusais encore d’y croire. J’imaginais un temps suspendu, un retour en arriére pour re- faire un futur ot Eric aurait eu sa place. Je trichais avec la réalité. Je me mentais consciemment. Facon absurde d’affronter ma douleur. Je m’ac- crochais alors a une autre explication plausible : Et si ce n’était pas Eric. Ainsi je persistais 4 tromper ma _peine. Mais il n’y avait aucun doute. Je devais me rendre a l’évidence. Suite en page 21 14