“de tant de splendeurs. . etait né une nuit de Mustapha Nogl entre un boeuf et un ane tout comne le petit Jésus dont pourtant il ne devait jamais connaitre l'histoire, car ses parents étaient de pauvres Berberes de 1'Atlas marocain. Il n'y avait pas de neige au pays de Mustapha,pas de sapin de Noel ni de cheminée.Le Pére Noel ne s'y ar- rétait jamais... Il eut pourtant une jeunesse heureuse,insouciante au milieu de ses huit fréres et soeurs. Il n'y avait pas,a proprement dire,d'école dans le petit village de montagne aux maisons de terre et de paille; seulement, un vieux marabout 4 barbe blanche qui ra- contait des histoires, des contes et enseignait le Coran. Les parents de Mustapha travail- laient trés fort et jamais la famille n'avait manaué de couscous ou de fari- ne dont sa mere faisait de délicieu- ses galettes. L'eau si précieuse dans ces ré- gions désertiques ne manquait pas non plus,graéce & un petit torrent qui des- cendait de la montagne en vhéntant. Son pere de temps 4 autre char- geait leur petit @ne et partait 4 la ville afin d'y vendre quelaues légu- mes,de la menthe fraiche dont les ara- bes font une tres grande consommation “pour. préparer leur thé, un peu de grain et quelques poteries faites d'argile rouge. Le plus grand travail de Mustapha était de gerder les aquel- ques chevres que possédait la famille. Pour Mustapha,ce n'était pas vraiment un travail que de gambader derriére son troupeau en se'rafraichissant des figues de barbarie qu'il cueillait sur les cactus qui entouraient le vil-. lage. ,auand Mustapha eut douze ans, son pere le fit venir et lui dit: "Te voila presqu'un homme mon fils. Allah (c'est ainsi que dans ce pays on ap- pelle Dieu) t'a fait vigoureux et in- telligent.Je ue fais vieux et je suis fatigué de tant d'années de labeur,tu vas done aller a Marrakech et vendre notre récolte au marche.De plus voici quarante "douros" d'argent que j'ai é- conomisés avec lesquels tu achéteras des moutons. Choisis-les beaux, vigou- reux et de laine abondante. La route est longue, ne perds pas de temps. Tu n'as qu'& suivre notre 4ne,il connait le chemin depuis tant d'années qu'il le parcoure.Va et qu'Allah te protege! Mustapha quitta alors sa famil- le, fier de la confiance de son pere mais quelque peu inquiet de tant de responsabilités. Dans la soirée il arriva aux portes de la ville et fut émerveillé La mosquée se découpait sur ciel de feu parmi les palmiers. Mille bruits lui parvenaient aux oreilles. Une fois passés les remparts ce fut plus grandiose encore. Mustapha se trouva mélé aA une foule bruyante, joyeuse,colorée. Jamais il n'avait vu tant de merveilles. Les boutiques re- gorgeaient de tapis,de bijoux,de véte- ments chamarés cousus d'or. Dans les cafés, des hommes parlaient fort en jouant aux dames tout en dégustant Propos en l’air pour Noél * par Jacques BAILLAUT #, d'innonbrablesthés & la menthe.I1 y a- vait partout des marchands de bei- gnets, de bonbons. Les marchands d'eau circulaient dans la foule avec leur outre faite d'une peau de chévre cousue, agitant leur clochette dorée. : La nuit était tombée quand Mus- tapha atteignit la place du marché,il- luminée de milliers de petites lampes aux flammes vacillantes, plus nombreu- ses, lui semblait-il, que les étoiles dans le ciel de son village. Mustapha n'en croyait pas ces _ yeux. Il y avait 18 des marchands,des chanteurs bleus venus du sud,des char- meurs de serpents,des coiffeurs gui é- taient également médecins et arra- cheurs de dents. Tout ce monde se saluait en longs salamalecs, on riait, on criait, on s'insultait aussi parfois. Notre voyageur ne tarda pas.a succomber 4 la fatigue et il s'endor- wit,roulé dans sa DJELLABA, au pied de la mosquée, aprés avoir attaché a son -poignet le licol de son ane. Il fut réveillé trés tét aux cris du MULJZIN (prétre) qui appe- lait les fidéles 4 la priére. La place du marché grouillait déja d'une foule innouibrable et, main- tenant au jour, elle lui apparaissazt encore plus grande que la veille. -- Allah avait sans doute accordé & Mustapha (comme & tous les musul- mans) 1'ame du commerce ou peut-étre les acheteurs se laissérent-ils atten- drir par son jeune age? Guoiqu'il en soit, il eut tét fait de vendre ses marchandises un bon prix et serrant précieusement son argent dans sa DJEL- LABA,il se mit 4 la recherche des mou- tons que son pére lui avait demande d' acheter... Il conmencait 4 désespérer d'en trouver d'assez beaux lorsqu'un vieil homme lui ayant demandé ce qu'il cher- chait lui dit: "J'ai ce qu'il te faut, laisse ton ane sur la place et suis moi". A travers un dédale de ruelles, ils arriverent ala demeure de 1l'in- connu,dans un coin retire de la ville. Celui-ci poussa une lourde porte qu'il referma derriére eux. Un spectacle inattendu s'offrit & Mustapha dans la cour. Un troupeau des plus jolis moutons que l'on puis- se imaginer;des moutons de toutes les couleurs:bleus, rouges, verts, jaunes, oranges et de tant d'autres couleurs qu'il faudrait trop longtemps pour les énumerer. Mustapha n'en croyait pas ses yeux.1l demeura un instant muet de surprise quand la voix du marchand le ramena a la réalité. "Si nous parlions affaire, di- sait-il, je ne t'ai pas amené ici sim- plement pour admirer mes moutons". "Gombien les vendez-vous?",s' en- quérit Mustapha. L'homae pasSa sa main dans sa barbe broussailleuse, hésita wun ins- tant, puis répondit: "20 douros piéce et c'est un bon prix pour des moutons dont il n'est jamais besoin de teindre la laine". “C'est trop, dit tristement Mus- tapha, avec toutes les economies de mon pere et l'argent de mes ventes, je n'en pourrais et’ la-dessus ler... : “Que diable,dit 1'homme,ne t'em- acheter que trois..."~ il fit mine de s'en al- balle pas comme cela.Tu as une bonne téte.Pour toi ce sera moitié prix.Don- ne-moi ton argent et choisis six mou- tons a ton gout". "Marché conclu", s'écria Musta- pha tout joyeux. Il paya le bonhomme, choisit six moutons, deux bleus, un vert, un jaune, un rouge et un violet. Aprés quoi le coeur léger il reprit le chemin du retoursderriére son trou- peau multicolore. Il avait déja parcouru la moi- tié du chemin, imaginant son retour triomphal au village,quand un orage e- clata soudainement comme cela arrive dans ces regions. Il en aurait fallu davantage pour arréter Mustapha. Aussi continue- t-il son chemin sous la pluie battan- te... : Dix minutes apres,l'averse était passée et le soleil brillait a nou- veau...Hélas, qu'elle ne fut pas la surprise de Mustapha de découvrir que ses jolis moutons aux couleurs vives étaient tous devenus. d'un blanc écla- tant... Quiallait dire son pére’..la mort dans 1'dme il poursuivit son che- min prét & affronter les mocueries et pire encore le courroux de ses pa- rentSe.. Son coeur battit trés fort lors- qu'il arriva 4 l'entrée du village.Un instant il faillit rebrousser chemin. Il continua cependant) prét aux pires chatiments. Courageusement il se diri- gea vers la hutte familiale. Son pére déja - palpait et soupe- sait les moutons l'un aprés l'autre. Quelle ne fut pas la surprise de Mus- tapha de le voir se retourner avec un large sourire, puis l'embrasser en le félicitant de son bon choix...il n'en croyait ni ses yeux ni ses oreilles. L'explication était | pourtant fort simple...son pére n'avait jamais vu auparavant de moutons propres, blancs comme neige.A ses yeux c'etait la plus belle couleur... Les nouvelles se propagent vite 3h travers le désert et le sultan ayant eu vent de l'affaire vint en personne voir les moutons devenus cé- lobres. ‘Depuis ce jour, la famille de Mustapha est chargée. de l'@levage de tous les moutons du roi. Quant au vi- lain marchand, il finit par se faire prendre et fut condamé a finir ses jours a teindre de la laine,ce qui re- vient a dire qu'il en voit de toutes les couleurs. : Cette histoire aurait pu faire un joli conte de Noél mais Mustapha e- tait un musulman et dans son pays il n'y avait pas de sapin,ni de neige et le Pére Noél ne s'arrétait jamais... A moins que...