6 Le vendredi 30 javvier 1998 Con vi: UN EFFET D’ENTRAINEMENT La plus grande banque du Canada, la Banque Royale, et la troisiéme et plus vieille banque canadienne, la Banque de Montréal, viennent d’annoncer leur intention de regrouper leurs activités pour former une mégabanque. Toute la question est. maintenant de savoir si Ottawa donnera sa bénédiction 4 cette entente. Avec cette opération de concentration, la nouvelle banque aura une taille presque deux fois — plus importante que la CIBC, son plus proche concurrent canadien. ucune des banques canadiennes ne figure parmi les cinquante pre- miéres banques du monde : la Banque Royale est & la 52e place, la Canadian Imperial Bank of Commerce (CIBC) & la 56e, la Banque de Montréal a la 68e, la Banque de Nouvelle- Ecosse A la 74e, la Toronto Dominion et la Banque Nationale ne sont pas classées dans les 100 plus grandes banques mondiales. En matiére de con- centration dans le secteur bancaire, le Canada n’est pas encore le théatre d’opération de manoeuvres & |’américaine ou a la japonaise. Mais pour combien de temps encore ? Ce qui est sir c’est que les signes précurseurs dun tel affrontement y sont aisément repérables. L’année derniére, il y a eu une tentative de fusion entre la CIBC et Canada Trust Co. of London. Paul Martin, le ministre fédéral des Finances, a coupé court a ces discussions. Mais la CIBC, qui veut décidément s’agrandir 4 tout prix, entreprenait récemment des discussions dans ce sens avec la Banque de Nouvelle- Ecosse. y avait également des rumeurs de fusion entre la Banque Royale ct la Banque de Nouvelle-Ecosse qui, en 1997, a obtenu d’ Ottawa Pautorisation de fusionner avee le National Trusco. Par ailleurs, John Cleghorn et Matthew Barret, présidents respectifs de la Banque Royale et de la Banque de Montréal, sont connus pour leur position favorable aux phénoménes de concentration. Ces courants de fond, annonciateurs de changements significatifs dans le secteur bancaire canadien, ne semblent pas étre sans lien avec la décision du gouvernement _ fédéral de mettre en place un groupe de travail chargé d’analyser le secteur financier et de proposer un certain nombre de réformes. Les recom- mandations de la commission de travail sont attendues en septembre prochain. Ces conclusions vont-elles paver le chemin qui méne A la concentration dans le secteur bancaire ? Toujours est-il que, la fusion de la Banque Royale et de la Banque de Montréal est, du point de vue d'un administrateur de banque en Colombie-Britannique dont nous avons sollicité l’avis, quelque chose de trés positive. Comptabilité, conseil gestion, impdts 325-1130, rue Pender ouest, Vancouver (.-B V6E 4A4 Tél: (604) 688-9903 Fax: 688-9961 Cellulaire: 240-5810 Le gouvernement —_ doit accueillir favorablement cette union s'il ne veut pas que les banques canadiennes soicnt des banques régionales et que le Canada soit un petit joucur. John Richards, économiste au département d’admi- nistration des affaires de Université Simon Fraser, a lui un avis mitigé. « Je suis, nous déclare-t-il, sceptique, mais pas complétement opposé a lentente. L’avantage c’est que le Canada peut, avec cette mégabanque, participer 4 de grands projets internationaux. Le désavantage, le risque c’est que les autorités fédérales ne soient pas en mesure de controler efficacement le systtéme financier. » LENTENTE EN CHIFFRES La nouvelle structure bancaire née de la fusion de la Banque Royale et de la Banque de Montréal sera la deuxitme plus grande banque de PAmérique du Nord, la premiére étant la Chase Manhattan, et occupera le 18e rang sur !’échiquier mondial. La Bank of Tokyo-Mitsubishi, organisme bancaire né d’une fusion de deux banques japonaises en 1996, est le numéro un mondial. Les deux banques canadiennes qui entendent s’unir ont, ensemble, 92 000 employés, 17 millions de clients, 435 milliards de dollars d’actifs, une valeur boursiére de 40 milliards de dollars et disposent de 2 552 succursales. Elles accaparent 32 % du marché de courtage pour les particuliers, 27 % de celui des préts personnels ct des cartes de crédit et 27 % des dépdts bancaires des particuliers. «Nous sommes en_ train, affirme Matthew Barrett, de créer une banque canadienne capable de concurrencer n’importe quelle autre banque, n’importe ot au monde. » La mégabanque que dirigera John Cleghorn ct qui, dit-on, pourrait —_s’appeler First Canadian Bank, sera a 54,9 % propricté des actionnaires de la Banque Royale et a 45,1 % propriété de ceux de la Banque de Montréal. « La taille, déclare John Cleghorn, est un élément important en ce sens qu'elle nous permet de faire plus facilement les investissements technologiques nécessaires et @offrir ainsi de meilleurs services 2 notre clientéle... Gela donne au Canada la possibilité de jouer un plus grand role dans les marchés inte- rnationaux. » Les deux banques espérent pouvoir rendre effectif leur entente (ici la fin de l’année. U leur faudra, pour ce faire, avoir Paval de leurs actionnaires respectifs et du gouvernement fédéral. Cette fusion annoncée occasionnera la fermeture de plusieurs succursales _ et pourrait entrainer la perte de 9 200 emplois, soit 10 % des effectifs actuels. Cette perte inéluctable d’emplois est l’un des éléments qui rende la situation politiquement difficile pour Ottawa. UN PROBLEME COMPLEXE L’annonce de la future fusion entre la Banque Royale et la Banque de Montréal est pergue par de nombreux observateurs comme une tentative de forcer Ottawa a autoriser dans les plus brefs délais le regroupement d’entreprises bancaires. Paul Martin, qui a appris la décision en méme temps que tout lemonde a _ deéclaré «L’approbation d’une _telle proposition par le gouvernement fédéral est loin d’étre chose certaine... C'est une entente prématuréc... Nous n’entendons pas prendre une décision avant la déposition en septembre prochain du rapport du groupe de travail qui fait actuellement une étude portant sur le secteur bancaire. » Le gouvernement ne peut pas en méme temps demander & une commission de réfléchir sur les voies ct moyens de réformer le secteur financier et se prononcer sur annonce faite par la Banque Royale et la Banque de Montréal avant la fin des travaux de la commission. D’ouw un deuxitme niveau de difficultés pour Ottawa. Le troisitme élément de difficultés est ié au fait que, selon les dispositions — ré- glementaires actuclles, Ottawa ne permet pas a unc grande banque de prendre le controle dune autre grande banque. « Nous n’envisageons pas, dit le ministre des Finances, un changement aussi fondamental dans le secteur bancaire. » Le quatrigme facteur de complexité vient du fait que si Rancque cde Montreal les autorités fédérales acceptent une telle fusion, elles pourront difficilement refuser le regroupement d’autres banques. La CIBC et Canada Trust Co. of London vont probablement reprendre leurs discussions. La Banque de Nouvelle-Ecosse et la Toronto Dominion seront également des points de mire pour la CIBC. Il pourrait y avoir aussi des fusions avec des compagnies d’assurance ou avec des banques étrangéres. Un des avantages de l’accord intervenu entre la Banque Royale et la Banque de Montréal est que la nouvelle banque reste canadienne. En effet, Ottawa, qui interdit depuis les années soixante aux _ banques étrangéres de contrdler des banques canadiennes, pourrait étre amené & faciliter leur implantation au Canada. D’abord, parce que la nouvelle mégabanque canadienne ne peut pas développer librement ses activités dans des pays étrangers si les banques des pays en question n’ont pas la méme latitude au Canada. Et ensuite, parce qu’Ottawa pourrait faire appel a ces banques pour maintenir un haut niveau de concurrence en sol canadien afin de permettre aux citoyens de continuer a avoir des services de qualité. « Le gouvernement, dit Paul Martin, est principalement préoccupé par ce qui est bon pour les citoyens canadiens ct pour l’économie canadienne. » Mais la fusion probable d’autres banques canadiennes nest pas véritablement a méme d’empécher le développement de la con- currence. Car les Canadiens peuvent dés 4 présent, par le biais du téléphone — ou d’Internct, faire des emprunts auprés des banques étrangéres, aux Etats-Unis notamment. L’interdépendance de plus en plus __ croissante des économies, Pexistence d’entre- prises bancaires de trés grande taille et le développement des nouvelles technologies, Internet par exemple, ne contribuent-ils pas déja a rendre caduqucs les réglementations nationales a tendance protectionniste qui régissent encore, peu ou prou, le secteur financier ? LrpAssE NIANG