Le Moustique Volume 4 - 9° Edition ISSN 1496-8304 Septembre 2001 Et, surtout, de lui faire comprendre qu’en fait il nous noie dans un excés de Sollicitude. Je souris en pensant a l'image de |’explorateur perdu dans une forét inextricable et en passe de se faire digérer par une plante carnivore. Englué dans un liquide épais, il se débat le long de la paroi interne du népenthés, alors qu’il glisse lentement vers le liquide acide qui va le dissoudre. - ll est vrai que ce gars est une colle et je m’en vais lui dire deux mots. Je disparais donc, laissant a ma fille le soin de remiser nos affaires, de plier la tente, de laver la vaisselle, d’éteindre le feu, de remplir et d’ajuster les sacs a dos et je reviens a Ia fin de la derniére tache avec de mauvaises nouvelles. D’abord, je n'ai pas pu placer mes deux mots. Ensuite de cela, il nous a prévenu que la journée allait étre la plus dangereuse du parcours. En effet, a un kilométre d'ici, il va nous falloir traverser ce terrible Chenal de l’Adrénaline de sinistre réputation. - Mais, lui ais-je dit, je croyais que nous l’avions déja traversé. Que je me souvienne. Oui ! C’était le troisieme jour, un peu avant Camper Creek. - Ah! Non ! Celui-la, bien que trés difficile, n'est pas l'Adrénaline. On vous a trompés. Voila ce qui Se passe quand on ne se fait pas accompagner par un guide expérimenté. Non, !’Adrénaline est le dernier impossible obstacle, environ deux kilométres avant la fin du segment le plus difficile du sentier. Ce chenal franchi, la route vers Bamfield devient une partie de plaisir. Ma fille s’insurge : - Si ce chenal est si dangereux et si on ne peut pas le franchir sans l’aide de ce zigoteau, et bien qu'on emprunte alors le sentier. Tu n’as pas eu besoin de lui, hier, pour disparaitre dans la fange. Tant pis pour la mer, moi j’opte pour la campagne et laisse-le passer seul par le chenal. Dieu sait ce qu’il pourrait lui arriver, ajoute-t-elle avec un méchant sourire. En baissant la voix, car le zigoteau en question s’approche de nous, elle ajoute : - Tu fais ce que tu veux, moi je prends le sentier que, d’ailleurs, empruntera également l'Américaine. A choisir entre ma fille et le zigomar, je n’hésite pas longtemps. Je me tourne vers lui et annonce avec autorité qu’aujourd’hui nous prendrons le sentier par la forét. - Ah ! Bon, répond-t-il. Et bien dans ce cas, je vous accompagnerai sur le sentier. Totalement inconscient, le malheureux ajoute : - Votre fille fait remarquablement la cuisine, j'espére que vous m’inviterez encore ce soir. Quand nous reprenons le trajet, aprés avoir traversé un pont suspendu, étroit et mouvant, et remonté une interminable série d’échelles glissantes et branlantes, le moral, lui, n'est pas aussi haut. Les premiers passages boueux me font amérement regretter le Chenal Adrénaline. {| faudra qu’un jour l’on revienne ici et que |’on aille voir 4 quoi ressemble ce passage apparemment si dangereux. Ma fille file comme le vent avec le “pas du tout secret” espoir de rattraper son beau guide. Comme une libellule dans les rayons du soleil qui percent par intermittence la voite obscure, elle volette d’un bord de mare 4a l'autre. Je la suis en pataugeant comme un canard tandis que, dans mon dos, j’entends le souffle rauque et taurin de notre invité de ce soir. II tient le rythme ; ila vraiment apprécié les nouilles au saumon partiellement carbonisées. A suivre dans le prochain Moustique ! Jean-Jacques Lefebvre 8