VOLUME 8 - 4° ED sans se douter qu'elle en fera les frais . En effet, la vie en rose est terminée car le malheur va frapper de plein fouet. La grippe espagnole qui fit tant de victimes en Europe a la fin de la guerre 14-18 sévit a Istanbul. L'hépital de la Corne d'Or est rempli de malades. Le pére, débordé, ne rentre méme plus chez lui et meurt de ce choléra dont on n'ose pas dire le nom. Mustapha Kémal prend bien- tat le pouvoir. Il a besoin d'argent, de beaucoup d'argent pour ses ré- formes. Ou le prendre? Dans les banques juives qu'il vide de leur or. Du jour au lendemain des familles entiéres sont totalement ruinées. Elles étaient trop riches, c'est vrai, mais ne méritaient peut-étre pas un tel chatiment. Le pére de Sabato, complétement sur le sable, perd la téte et se suicide. La maison du Bosphore est abandonnée pour un ap- partement modeste. La famille va survivre sans luxe mais decemment grace a la maigre demi-retraite de colonel versée a la veuve et grace aussi a la vente, petit a petit, des tapis précieux et des bijoux. Corrine - continue a vivre a l'étranger. Sabato, le poéte, jugeant ses études trop lointaines, n'ose pas, par scrupule, s'établir comme médecin. II va se lancer dans le commerce alors qu'il n'y connait rien malgré la réputa- tion que l'on préte aux Juifs. Plus tard, il ne pourra offrir a ses deux fil- les des études universitaires, fera graver son dernier poeme - en fran- ¢ais bien sir - sur la tombe de Jenny et finira sa vie dans la miseére. Qu'est devenu le petit gargon du Bosphore a qui l'on avait promis un avenir doré? Il est maintenant un jeune homme. Ou est-il Cet avenir? Que peut-il espérer dans ce pays ou I'élite intellectuelle que consti- tuaient certaines familles juives dominantes est traitee avec mépris? Or il y ace pays, la France, dont il reve depuis l'enfance et dont il possede parfaitement la langue. Des cousins y sont déja installés. lls ont réus- si. Pourquoi n'irait-il pas les rejoindre a Paris? Il part. Il s'installe. Il ren- contre l'amour. II a un fils. Faisons un bond dans le temps et dans la vie de Solomon. Nous som- mes en 1939. Bien qu'il ait 40 ans, il s'engage, non par godt de l'aven- ture mais pour acquitter une dette envers le pays qui I'a accueilli, dans un régiment de volontaires étrangers qui se distinguera dans cette guerre étrange se terminant en debacle. C'est aprés I'armistice de 1940 que sa famille cesse d'avoir de ses nouvelles, tant en France qu'a Istanbul ol sa mére l'attendra pourtant jusqu'a I'age de 105 ans en se remémorant avec précision des vers de Victor Hugo. Certaines amours ont la vie dure.