Le Moustique ! ... Pacifique tranchant. Mais, le jeune homme était déterminé et continua a faucher en y mettant encore plus d’ardeur et de conviction. Les étincelles volaient de toute part. Pauvre Dominique. Il ne s’attendait guére a ce que sa bonne volonté devienne une cause de malheur. A horizon, de sombres cumulus se formaient et se dirigeaient vers la petite ferme. Un vent brilant s’éleva soudainement. Des tourbillons de poussiére sillonnaient la cour et les champs avoisinants. Bientdt, Pierre apparut au pas de course. Il s’affaira a sécuriser les portes et les fenétres des batiments de la cour. La tempéte allait trés bientét éclater. Personne n’aurait pu soupconner qu'il s’agirait d'une tempéte a deux fronts. Par mégarde, Dominique avait déposé la grand’ faux au milieu de la cour. Les hautes herbes en cachaient la vue. Pierre s’empressa de garer son tracteur dans le hangar a machines pour le protéger de la pluie. Etant donné que le tracteur était stationné devant une cléture entre le hangar et la maison, il da faire marche arriére. Malheur ! Le lourd véhicule passa sur la faux du pére Lemelin. Quand il vit un objet luisant devant le tracteur, Pierre mit l'engin sur le neutre et descendit voir de quoi il s’agissait. Il apergut la lame de la grand’ faux arrondie comme un berceau de chaise et le manche de celle-ci fracassé en trois morceaux. Il se mit aussit6t a jurer comme un diable, ce qui n’était aucunement dans ses habitudes. Pierre était bouleversé au point de s’arracher les cheveux. Thérése, sa femme, alertée par les cris de son mari était sortie de la maison. Elle constata immédiatement que quelque chose de terrible s’était passé. Quant a Dominique, attiré par les émois de sa mere, il mit le nez dehors, mais le retira aussit6t quand il vit la faux brisée entre les mains de son pére qui ne tenait plus en place. Il s’élanga vers sa chambre, mais ne s’arréta pas la. En effet, il disparut dans le grenier prenant bien soin de retirer l’échelle qui y conduisait aprés avoir garé le tracteur, Pierre se dirigea vers la maison. Il fit claquer la porte au moment méme ou I’éclair s’abattit sur le grand pin qui ornait le pré voisin. Une tempéte a deux fronts, avais-je dit ? Je n’aurais pu dire juste. Pierre tremblait de rage. Dominique, lui tremblait de peur. Tandis que le ciel, déchiré par I’éclair et secoué par le tonnerre, déversait des torrents d'eau sur la téte de Pierre qui était ressorti aussitét , et sur le visage de la terre. Enfin, mére Nature s’était calmée et le jeune fermier avait regagné la maison. En regardant par la fenétre, Pierre a aussit6t compris que Dominique avait fauché tant bien que mal, le grand foin qui avait Volume 6 - 9 Edition ISSN 1704-9970 Septembre 2003 poussé négligemment autour de sa demeure. ll y avait impasse chez les Tousignant. Pierre pensait ne pas pouvoir faire face 4 monsieur Lemelin et Dominique ne pouvait se résigner a descendre du grenier et subir la colére de son pére. Mais le temps répare bien des choses. Jacques savait que son frére se cachait dans le grenier et en avait informé ses parents. Monsieur et madame Tousigant avaient longuement discuté du dilemme qui pesait sur eux. Pierre ne pouvait pas gronder ou punir l'adolescent qui avait voulu lui faire plaisir. Il pria Justine d’aller chercher son grand frére. - Dis-lui qu’il ne sera ni battu ni pendu. Dis-lui que je l'aime et qu’aucun mal ne lui sera rendu. Dominique arriva quelques minutes plus tard tout penaud, la téte basse et le dos courbé. - || ne sera pas facile pour moi d’expliquer 4 monsieur Lemelin ce qui est arrivé 4 sa grand’ faux, admit le chef de famille. Je lui avais promis d’en prendre bien soin. Je lui avait dit de ne pas s’inquiéter, que sa faux lui reviendrait intacte. Pierre fit une longue pose et ajouta : - Je me rendrai chez lui demain soir. J’assumerai la responsabilité entiére pour ce qui est arrivé. Sois tranquille mon gar¢gon. Pendant que le pére parlait, Dominique se mourrait d’excuses auprés de celui qui se montrait si compréhensif. Comme il regrettait d’avoir laissé tomber la faux sur le sol quand sa mére l’avait appelé pour aller chercher du bois dans la remise. Par la suite, une distraction bien légitime lui avait fait oublier de recupérer instrument abandonné. En effet, son petit voisin Marc, était venu linviter a une partie de balle molle qui allait se jouer le soir méme dans la cour de l’école du rang. Dominique était fou de la balle molle. Mais ce soir-la, au lieu de se rendre a l’école, il s’était rendu chez monsieur Lemelin. Avec un courage qui rappelle celui de David devant Goliath, il raconta 4 son corpulent voisin ce qui s’était passé durant cet aprés-midi fatidique. Roger Lemelin était devenu rouge comme une tomate qui avait trop muri. Mais, tout 4 coup, il s’était ressaisi et son attitude changea soudainement. Il venait de réaliser que ce jeune homme, cet adolescent, présent devant lui, était rempli de repentir et qu’il ne méritait certainement pas d’étre condamné. Cet homme qui mesurait deux metres, un peu plus, se leva et fit quelques pas vers Dominique qui tremblait dans ses bottes. II mit sa main chamue sur l'épaule fréle du jeune homme et lui dit : - ll faut du courage pour admettre qu’on a été négligent ou qu’on a fait erreur. J’ai impression que tu as devancé ton pére ici. Peu d’adolescent en auraient fait autant. Cela dit, il sortit dix dollars de son porte-monnaie, le glissa dans la poche de chemise de Dominique et lui dit :