_ ee ee ee ee A OR Ee, Tribune COMMENT ENSEIGNER UNE LANGUE ETRANGERE, notamment le frangais 4 des anglophones. A tous les directeurs et di- rectrices qui m’ont flanque A la porte, mon outrecui- dance, A moi misérable chd- meur qui se méle de donner des“conseils pédagogiques, mon impertinence doit leur paraftre au plus haut point ahurissante. Cependant, si tous ces cen- seurs ne m/’aimaient pas, par contre mes éléves, eux, m’aimaient beaucoup et re- ussissaient 4 leurs examens de frangais dans un large et confortable fauteuil. Ainsi, tandis que les élé- ves de mon High School pas- saient ‘‘matric’’ en discu- tant de l’unanimisme ou de tout autre chose, les étu- diants des @coles formalis- tes n’étaient méme pasi ca- pables de dire leur age en frangais. Pour votre amusement, permettez-moi de vous pré- senter 4 Madame la Direc- trice GRAMMATISTE et pour notre profit écoutons ses directives vétilleuses : ‘¢Sur deux heures de cours, donnez une heure de gram- maire théorique, et lorsque vos éléves dorment profon- dément, vous les réveillez avec des questions réitérées et trés intelligentes : ‘‘ Quel- le est la couleur de la jupe rouge ? Rouge. - Quelle est la couleur de la jupe rouge ’ - Jaune, crie un éléve excé- dé. - Non ! La jupe rouge est rouge, répétez !’’. Elle continue : ‘‘Vous ne devez expliquer que les mots marqués encaractéres gras, pas un de plus et pour ex- . pliquer, vous lisez aux élé- ves la définition du diction- naire : Le Petit Robert. Si vous avez le mot rateau, par exemple, un imbécile dessinerait un rateau au ta- bleaus Hérésie. Vous devez dire ; ‘‘Instrument d’agri- culture et de jardinage formé d’une traverse munie de dents.’’ C’est tellement plus simple ! Si vous avez un mot commun aux deux langues, comme le mot RAT, vous de- vez supposer vos éléves as- | sez bétes pour ne pas voir qu’il s’agit du méme animal. Vous de-vez leur expliquer : Mammifére rongeur trés nuisible aux réserves.’’ En- fin, il faut faire apprendre aux trés jeunes éléves l’or- — thographe phonétique . avec des symboles spéciaux avant de leur apprendre 1’ortho- graphe normale. Ils s’em- brouilleront et par la suite mélangeront les deux ortho- graphes. Et qu’importe, les _principes modernes sont saufs. Pour les adultes, écrivez les symboles phoné- tiques au tableau ; comme vos éléves ne sont habitués qu’a la prononciation anglai- se, ils prononceront les symboles phonétiques com- me de l’anglais ; mais c’est tellement plus scientifique que d’apprendre avec la voix. Aprés Madame la Direc- trice Grammatiste, arrive Monsieur Oreille : il est le pédagogue officiel de la mé- me ecole que Madame la Directrice et ses principes pedagogiques sont juste a l’opposé de ceux de sa di- rectrice. Il commence a effacer tous les symboles qui couvrent le tableau noir. ‘‘Jetez vos; livres, ne lisez jamais, pas un mot de grammaire, ré- pétez les yeux fermés ce que vous ressasse le magnéto- phone.L’ OREILLE,|’OREIL- LE, L’OREILLE, vous dis- jeje -nien.que: VOREILER.?: Monsieur Oreille est une haute personnalité, riche en diplomes. I] ne peut se trom- ‘per. Et alors Madame Gram- matiste @ Qui a raison ? Moi aussi, je suis un hom- me A principes, et mon prin- cipal principe, c’est de n’ avoir aucun principe. D’aprés mon expérience, la seule chose qui soit essen- tielle pour enseigner, c’est d’aimer ses éléves et que vos éléves vous aiment. Si un étudiant a de la sympa- thie pour son professeur, il aimera son cours, le sujet 4 étudier lui plaira, l’inté- ressera et il progressera sans larmes, comme on di- sait autrefois. Comment gagner lasympa- thie de ses éléves. Eh bien, j?ai le regret de vous le dire : il n’y a aucune pé- dagogie établie 4 cette fin. LE COEUR A SES RAISONS QUE LA RAISON NE CON- NAIT PAS. Etre détendu, souriant, ne pas économiser ses encou- ragements, voire de petites flatteries. Que la- classe soit gaie. Dessiner, faire des gestes, des grimaces, des tons de voix ridicules, jouer la co- médie. Tout ce qui fait rire est bon. Les éléves partici- pent A la comédie et la jouent eux-mémes. Et ainsil’heure passe sans qu’on s’en aper- ¢oive. Mathématiquement, une heure de legon qui sem- ble durer dix minutes vaut cent vingt minutes de cours ennuyeux. ; Que la classe soit vivante ! La langue que vous- ensei- gnez paraftra encore plus vivante. Nos pédagogues aprincipes ont. toujours raison. Leurs idées sont logiques et sQ- res. Ils ont pour eux les tests, l’électronique, les di- plomes, que sais-je encore? Il n’y a qu’une chose qu’ils nvont jamais remarquée, c’est que chaque éléve a_ une intelligence bien indi- viduelle, des sens plus ou moins sensibles, une cultu- re, un tempérament diffé- mente: SE Milebs de .can= Jacques Rousseau avait un précepteur pour lui tout seul. Vos éléves ne sont pas des princes, cependant que votre enseignement s’adapte aux facultés et aux connais- sances de chacun de vos éléves. Que tout étudiant ait l’impression de recevoir un cours A sa juste mesure. Ainsi Monsieur Oreille ignore que bien des gens n’ont pas d’oreille et comme votre serviteur, née sont pas capables de retenir la moin- dre mélodie et encore moins des mots barbares. Il est tout aussi ridicule de n’en- seigner la phonétique qu’ avec des symboles, rien ne remplace la voix du maitre. La répétition est bonne pour les serins. L’étudiant intel- ligent veut tout comprendre. N’hésitez pas 4 aller au de- vant de ses questions. Nous sommes 1&4 au coeur du probléme. Toutes les éco- les de nos jours enseignent les langues étrangéres avec l’audio-visuel. Panacée mo- derne qui permet aux com- mergants en électronique de faire de bonnes affaires. Cependant, des étudiants qui avaient appris par coeur pendant deux ans leur pro-» gramme audio-visuel sont allés en France et en Suisse. Quel déboire ! Ils ne com- prenaient pas un mot, car personne ne parlait comme une machine bien réglée, et eux-mémes étaient inca- pables de créer des phrases non apprises. La Grammaire, personne n’aime cette vieille personne A qui tout le monde doit obéir, méme les rois (Mo- liére). Cependant, il est in- dispensable d’expliquer les régles essentielles. Surtout pas d’une fagon dogmatique et pédante comme Madame Grammatiste, mais 4 l’oc- casion de chaque faute de vos éléves. Il faut bien leur expliquer le pourquoi et le comment de la grammaire et non se contenter de lire les régles de. votre livre. Evidemment, cela demande A chaque professeur un peu d’imagination Aa défaut de culture. Mais que les régles semblent raisonnables ou folles, mais qu’elles aient une personnalité pour les mieux retenir. _ ; Mais n’oubliez jamais que la grammaire n’est que la baguette du Chef d’orches- tre. Ce sont les éléves qui jouent la partition. Que cha- que éléve ne cesse de ques- tionner ses camarades et vous méme. Répondre, dis- cuter, s’exprimer. L’oral est la base dela langue com- me les instruments sonores dans la musique. Il est nécessaire de donner une large place 4 l’oreille et A la voix, mais ce n’est pas tout, il s’en faut. L’idée originale qui me pousse 4 écrire cette thése, c’est que 1’étudiant doit uti- liser tous ses sens 4a l|’ap- prentissage d’une langue, et par fous ses sens, je ne men- tionne pas seulement 1’ouie et la vue, mais un sens trés particulier A l’adulte civi- lisé, le sens de 1’orthographe de la langue maternelle. Par exemple, le mot DOIGT s’ écrie GT, et tous les an- glophones automatiquement écrivent GHT. Eh bien, ce qui peut sembler un han- dicap A 1l’étude doit nous aider aA progresser et a mieux retenir. Tous ceux qui savent plu- sieurs langues vous diront que c’est la deuxiéme lan- gue apprise la plus difficile, et que plus on apprend de langues étrangéres, plus el- les semblent faciles 4 re- tenir et A comprendre. Tout cela, parce que l’esprit ne s’arréte pas de faire des comparaisons. Feu Monsieur Berlitz pré- tendait il y a un siécle qu’un professeur de langue vivante doit ignorer la langue deses éléves. C’est un point de vue, ce n’est pas le mien. Il faut utiliser les connais- sances qu’a notre éléve de sa propre langue, non pour une traduction plate et litté- rale, mais au contraire pour souligner les rapports et les divergences qu’il y a entre la langue ou les langues qu’il connaft et celle qu’il est en train d’étudier. Lorsque nous. entendons parler une langue étrangére, les sons nous semblent bar- bares et impossibles 4 re- produire et encore plus a retenir. Il en est de méme de l’orthographe. Tout 4a 1’ heure nous avons cité le mot DOIGT A la graphie si abra- cadabrante. Que 1l’eléve re- marque le mot anglais ‘‘di- gital’’ qui signifie touche de piano et alors ce ‘‘gt’’ lui semblera normal et il ne l’oubliera plus de toute sa vie. C’est pourquoi je préco- nise d’enseigner pour chaque nouveau terme, non pas la lecture du Petit Robert, mais la présentation de toute la famille. Pour les mots lati- no-grecs, il n’est pas rare de remarquer un cousin an- glais qui ressemble 4 notre famille frangaise. Ainsi pour un anglophone, le mot anglais ‘«mason’’ permettra d’ap- prendre les deux mots fran- ¢ais : magon et maison. Faites remarquer les let- tres qui changent : Le P et le F (Piscine, pis- ciculture et Fish), : le R et le L (Crampon et Clamp), - le U et le L (Bel et Beau, que 1’on retrouve dans beau- tiful), fe. G et le -W (Gnicner et wicket). Mais les divergences de sémantique sont encore plus enrichissantes. Tachez d’ expliquer pourquoi le risque est devenu ‘‘Chance”’ en an- glais. Remarquez ce jeu de tennis, comme le mot tennis lui- méme de ces mots qui sont successivement : conter fleurette - to flirt - flirter puis fleurter. Totake French leave qui signifie Partir 4 anglaise. En somme échange de bons procédés. Ne laissez rien dans 1’om- bre, tel: ce **ne*?” au sub- jonctif qui n’est pas vrai- ment une négation, mais que l’on a mis 14 pour que le diable ne puisse vous com- prendre. Tous les mots frangais ne viennent pas du latin ou du grec et comment retenir le mot balai qui vient du gau- lois. Chercher un moyen mnémonique absurde, mais efficace, comme balaiet bal- let. Que de chases semblent absurdes 4 un anglophone, comme le genre des mots. Enoncez ces régles comme les mots en eau sont mas- culins comme le muscle. Les mots abstraits sont fé- minins, sauf l’esprit, ce qui est peu galant. Pourquoi ne pas plaisanter A ce sujet : la table feminine reste horizontale, tandis que les tableaux, virils, se tien- nent 4 la verticale ou pres- que. La main intelligente et douce, alors que le pied est stupide et laid. En somme, l’étudiant doit arriver A saisir la clef de la langue (comme la clef d’harmonie anglaise) qui lui donnera les régles de for- mation, de sonorité d’ex- pression. Il comprendra qu’il-y ade telles differences et comme toujours, vive la différence ! Ilassimilera cette nouvelle langue comme un nouveau style de vie. Le Marseillais chaque jour dit: ‘*Alors, on se ‘le boit, “ce verre !’’, avec les gestes. Tandis que, dans les bru- mes nordiques, on boit sans dire un mot (de trop). En conclusion, apprendre une langue étrangére doit devenir un amusement en- richissant pour les étudiants. C’est 1a tout le secret de ma pédagogie et honni soit qui mal y pense. Alain Neumand Professeur de francais en chdmage.