Le Moustique!... Pacifique Volume6 - Les hommes ne survivraient pas aux souffrances de l'accouchement qui sont réputées les plus insup- portables. Par contre, je me souviens encore, alors enfant, des hurlements de goret que poussait mon pére quand son épouse lui prenait des points noirs dans le dos. Et c’était pourtant un valeureux guerrier ! Et c'est la nature qui I’a voulu ainsi. Au sein de l'espéce humaine, la femme est I’élément le plus essentiel. C’est elle qui porte en son sein tout notre futur et toute notre destinée, comme un merveilleux calice qui sert de creuset au miracle de 'humanité. Peu étonnant, alors, qu’il lui faille 6tre résistante. Elle doit tenir le coup bien plus de neuf mois pour assurer la transmission des génes. L’homme, lui, se contente d’étre fort. Cela aussi la nature I’a prévu. C’est que sa mission est différente : il lui suffit d’ensemencer. Cela demande un gros effort, mais jamais bien longtemps. * Les poires ne sont pas blessées. Leur chute s'est amortie dans la boue du jardin détrempé. La peau brun doré, elles sont bien rondes, tendres et gorgées de jus. Elles aussi, dans un réceptacle délicieux, elles portent les graines d’un futur. Les guépes indolentes sont saisies par le froid. Elles ont également terminé leur tache pour cette année. Elles n'ont méme plus la force de vriller les fruits. Tous ces hyménoptéres ont des femelles bien courageuses. Elles ont pris en charge toutes les responsabilités et résolu le probleme du male de la plus élégante maniére. C’est chez les abeilles, je crois, qu’au temps des amours, la princesse s’éléve dans les airs au plus haut qu’elle peut. Et c’est le prince le plus fort qui saura la rejoindre dans ce lit spatial. L'acte accompli, le male vole en éclat , alors que la princesse revient sur terre, trainant derriére elle a la maniére d’une oriflamme, le sac séminal qui ne la quittera plus. Mourir a l'acmé du bonheur dans un feu d’artifice composé de fragments d’élytres, de chitine et de piéces buccales. C’est une prodigieuse fagon de s’envoyer en I’air. Et une maniére pratique de se débarrasser du compagnon devenu encombrant. Nos femmes, dans leur infinie bonté, ont préféré nous garder au foyer ou nous pourrions avoir encore quelque utilité. Je leur en suis reconnaissant et les sers au mieux, a titre de remerciement. Ce matin, il y a eu un coulis de poire pour le petit déjeuner. Sur les croissants dorés qui sortaient du four, il a été apprécié d’autant plus que le café était excellent. Pour le soir, j'ai promis 4 mon épouse une venaison chasseur servie avec amandines et purée de chataignes. 9 édition ISSN 1704 - 9970 Septembre 2003 - J’espére que tu ne rentreras pas trop tard, tout a l'heure, car la cuisson doit étre bien ajustée. - Je rentrerai quand je le pourrai. - Soit, mais s’il te plait, pas plus tard. ll y a eu un moment de silence et, tout de suite, j'ai regretté ma remarque. Je ne peux m’empé- cher de faire valoir encore un peu d’autorité et c’est bien dommage. II m’est resté des traces de ce machi- sme qui me vient de mon pére et de son mauvais penchant. Dieu soit loué, je le maitrise un peu mieux a présent et, bien heureusement, ma trés compréhensive épouse reste patiente et s’efforce au contraire de m/’aider dans cette difficile métamorphose. Il est vrai qu’elle a parfaitement reconnu le ridicule d’une situation ancienne quand les gens n'ont pas compris — ou que les circonstances n’ont pas permis aux gens de comprendre — combien I’homme s'était fort peu trouvé a sa place. C’est bien vrai quand on y pense : dans un paléolithique trés ancien, quand la tribu se limitait 4a un clan et ce clan a une petite famille nomade, les responsabilités étaient déja énormes et les acteurs peu nombreux, souvent décimés, et certaine- ment peu expérimentés. Les méres étaient toutes a la tache d’assurer la survivance de l’espéce et I'homme chassait. C’était la seule chose qu’il lui restait a faire et il était assez fort pour le faire fort bien. On peut dire que, par les circonstances, il a été le premier a béné- ficier d’une civilisation des loisirs qui remonte a bien plus loin qu’on ait pu le croire. Et puis, il y eut cet épisode malheureux ou les glaciations ont forcé ces nomades dans des grottes inconfortables. Des caches indispensables a la survie des humains ; abris que leur disputaient les ours. L’homme n’était-il pas chasseur ? N’était-il pas fort ? Avait-il d’autres choses a faire ? Pour toutes ces questions, on I’a assigné a cette nouvelle fonction : protecteur de la famille et chasseur d’ours. Y était-il seulement préparé ? Et surtout, avait-il les dispositions requises ? Certainement pas. Il était fort sans doute, mais que pouvait-il faire contre ces monstres préhistoriques ? Lui qui avait connu une vie simple de chasse, de péche et de longues promenades, interrompues d’agréables épisodes de lutinerie et d’ensemencement. Alors que, par les circonstances, la nature faisait de lui un vrai dilettante, curieux de tout, imaginatif et, disons-le, poéte — car il en faut de l'inspiration et du lyrisme pour charmer une ou des compagnes toutes préoccupées par le poids -insupportable de leurs responsabilités — alors qu’il avait ainsi accumulé des qualités qui allaient le distinguer de la gent féminine au cours des trente a quarante mille années a suivre, le voila obligé de se 13