Le Soleil de Colombie, vendredi 28 aotit 1987 - 11 Récit d’un tour du monde. gy ‘Par Jean-Claude Boyer Agra (nord de l’Inde), le 13 avril 1985. Je descends du train avec des jeunes qui m’ont promis de m’aider a affronter la horde d’assaillants (chauffeurs de rickshaws prédateurs, guides, représentants d’hétel), d’autant plus menacante que la ville est un centre touristique d’importance mondiale. On ne ménage pas les Leave him alone! (Fichez-lui la paix!) . Jai choisi l’hétel Akbar, recommandé par les guides, dont celui du routard. Me voila bientét dans un kiosque au milieu d’un parterre, caressé par la brise du soir et assailli cette fois par quelques maringouins voraces. Le propriétaire des lieux me négocie le lendemain un 9 @ 5 bien rempli avec chauffeur-- guide, incluant la visite de quatre sites, pour 15 roupies (1,50 $)! Souper avec trois Lyonnais dont humour me sert d’antidote contre la journée mouvementée qui s’achéve. L’'Indien qui m’accompagne, le lendemain, s’entiche de mon eau de Cologne (Channel no 5). Men: vient 4 vouloir 4 tout prix me conduire a une parfumerie. (Ces chauffeurs recoivent des commis- sions des propriétaires de tous les magasins qu’ils font visiter aux touristes, méme si ceux-ci n’achétent rien. Les Lyonnais m’ont méme raconté qu’ils se sont fait offrir 5 roupies - 50 cents - chacun pour entrer dans une boutique spécialisée.) Je coupe court: «Ca fait hutt mots que je voyage sans rien acheter, et je nachéterat rien». Nous visitons d’abord un parc, havre de paix parsemé de plantes tropicales et de fleurs, puis le Red Fort, structure militaire du X VlIe siécle, €poque ow Agra était la capitale de |’Inde, et devenue par la suite un palais. A l’entrée:: linévitable éléphant touristique, des paons, des _ perroquets. Jadmire du haut d’une tour Yélégante silhouette du Taj Mahal, évocateur de Il’Inde comme la tour Eiffel l’est de la France. La Yamuna, affluent du - Gange, a moitié desséchée, sépare les deux monuments. .Je remonte dans la rickshaw pour me diriger vers le célébre mausolée, merveille indo-musul- mane si universellement connue qu'une campagne publicitaire dit aujourd’hui: L’Inde c’est plus que le Taj. Je ne retiendrai de ma visite que peu de détails, précisément parce qu'il serait facile de m’y perdre. En entrant dans la chambre funéraire, pieds nus, je suis charmé par la douce lumiére qui filtre au travers des grillages de marbre blanc finement ciselé. Au centre, un Indien renverse la téte pour lancer des éclats de voix vers la grande coupole; les sonorités sont parfaites. Le raffinement des moindres détails, en particu- lier ces pierres semi-précieuses incrustées dans le marbre pour créer des motifs infiniment délicats, m’éblouit autant que la vue de l’ensemble. Je me recueille prés des tombes de l’empereur Shah Jahan et de son épouse adorée, Mumtaz Mahal, décédée ala naissance de son quatorziéme enfant. C’est 4 sa mémoire que l’époux inconsolable fit ériger cette merveille de marbre blanc. Jen fais le tour, a l’extérieur, en sautillant, comme un ours de cirque sur une plaque chauffée, Taj le magnifique devant ses trois cétés exposés au soleil brilant. Je me surprends a essayer de trouver une faille dans la similitude parfaite de ses quatre cétés. Un guide explique que vingt mille personnes ont travaillé a sa construction. Un autre Taj, parait-il, devait étre construit, celui-la en marbre noir, comme un négatif du premier. J’aurais aimé contem- pler le Taj et la pleine lune se reflétant ensemble dans le long bassin au milieu des jardins, mais ni la lune ni ]’eau ne sont venues au rendez-vous. (Lorsque je serai obligé de passer par Agra, quelques semaines plus tard, je ne pourrai y admirer la lune toute ronde que du train.) Imaginez: un palais de marbre blanc aux lignes d’une harmonie achevée, entouré de quatre minarets, se reflétant dans des eaux sereines sous la lune nouvelle resplendis-. sante de clarté. Décor digne d’un roman Harlequin. Ma journée se poursuit dans les faubourgs délabrés d’Agra. Visite d’un magasin rattaché a une manufacture de tapis ot on me fait lire dans un grand cahier les impressions de touristes venus de partout. On me montre du doigt, bien entendu, les passages écrits par des Canadiens enchan- tés de la qualité de la marchandise exposée. Des colis préts a partir, dont deux pour le Canada, sont mis bien en évidence. Je réussis 4 résister aux multiples pressions du vendeur avant de me laisser conduire par mon chauffeur a un autre magasin, ‘cette fois d’objets d’art en marbre. Que de splendeurs miniatures! L’hétesse m’offre un thé. Voyant que je n’achéterai rien, elle m’invite néanmoins a4 prendre le déjeuner avec elle le lendemain. En remontant dans la petite voiture, j’apercois un chameau tirant une charrette vide. Mon guide veut maintenant m’amener dans une boutique de tissus peints a la main mais j’en ai assez de m'opposer a des pressions incessantes. Je me fais reconduire a l’auberge, non sans difficultés, méme si j’ai encore droit 4 deux heures de taxi. «Si tu me donnes quelques gouttes de ta lotion», me dit l’Indien avant. de me quitter, «/?raz te condutre au terminus de bus gratuitement demain.» J’y consens, il jubile. «Tu verras», ajoute-t-il, «Fateh- pur Stkri c'est fantastique.» Toute la journée, je lui ai laissé l'impression, en effet, que c’est grace a ses bons conseils que je me rendrai dans cet autre centre renommé de la culture indo- musulmane. Mon excursion a Fatehpur Sikri (a 40 km d’Agra), splendeur de l'apogée du régne impérial d’Akbar, sera mémorable. Cette ville a été abandonnée, parait-il, a cause de la _ difficulté d’approvisionnement en eau. Elle est devenue un lieu de pélerinage pour les femmes enceintes et un must pour tout visiteur du Taj ‘Mahal. Immense cour intérieure, colonnes hindoues, coupoles musulmanes, palais... Victor Hugo a dit de l’un de ceux-ci que c’était «