VOYAGES Le Soleil de Colombie, vendredi 5 aodt 1988 - 11 / } } | Par Jean-Claude Boyer Dacca, capitale du Bangla- desh, le vendredi 31 mai 1985. Soeur Claire, une missionnaire américaine, et moi nous rendons en rickshaw a pédales au couvent St-Frangois-Xavier dans le quatier le plus pauvre et le plus populeux de la ville. Notre «pédaleux» doir jouer de la sonnette constamment pour se frayer un passage dans cette jungle mouvante. Au couvent, les religieuses m’accueillent, mesemble-t-il, comme si j’étais leur évéque. Visite des lieux, goiter, friandises 4 apporter. Puis nous poursuivons notre route, Soeur Claire et moi, vers le port de Sadar Ghat ou je m’embarquerai pour une croi- siére sur le Gange, le vénérable fleuve long de trois mille kilometres. ll est 17 heures 40. Les derniers passagers se précipi- tent sur la passerelle; le départ de l’Ostrich est imminent. J’observe du pont la foule venue assister a |l’appareillage. Un gamin recoit une paire de giffles pour avoir tenté de voyager clandestinement. Deux bébés s’époumonnent sur la hanche de leurs méres alors que les mendiants, eux, cessent leurs lamentations. Des centaines de Bangladeshi ont les yeux rivés sur nous, les «fortunés». Mélée a la foule, la grande soeur Claire, tout sourire, agitant la main au-dessus dela téte. Clic, photo. Les moteurs font entendre leur sourd vrombis- sement. De nombreuses petites embarcations s’écartent pour laisser passer sa _ majesté \«Autruche» qui glisse lente- ment dans le canal au Gange. Départ digne d’un transatlan- tique. Me voici confiné en premiére classe, pauvre de moi!, pour les soixante prochaines heures. C’est avec un musulman d’age mdr que je partagerai ma _ cabine. Je fais vite la connaissance des seuls autres passagers de race blanche: deux dames bien en chair de Los Angeles, Mary, @pouse d’un banquier, et Betty, sa fille, ingénieur agricole en service temporaire au Bangladesh, et un Australien. Une blague n’attend pas | autre avant méme que les Californiennes sortent leur flasque de whisky. A 20 heures, grand souper servi sur nappe blanche. La belle vie au large des eaux limoneuses du long fleuve sacré! Avant de me retirer pour la nuit, je miinstalle sur le pont, au vent, journal de voyage en main. Trois jeunes gens n’en finissent pas de m’observer. J’ai_ |'impression d’étre le plus privilégié des mortels. Lelendemain matin, ter juin. Mon réveil se fait tout en douceur. Ni cocorico, ni priéres musulmanes, ni klaxons. Seul le ventilateur du plafond accompagne de son petit chant monotone le bruit sourd des moteurs. L’Australien a déja quitté le bateau «pour aller Récit d’un tour du monde aM travaillery, me dit-on. Je me retrouve donc a table avec les deux Américaines - et leur jeune serviteur indigene - pour un «gros» petit déjeuner. On nous sert entre autres des croquettes de poisson. En principe, aucun repas ne devrait 6tre servi entre -le lever et le coucher du soleil (sauf Anous trois) puisque nous sommes en plein ramadan et que probablement tous les autres passagers sont musul- mans. Plus d’un, cependant, n’observe pas le jetine prescrit. détaillant plus qu’il ne faut celui de mars dernier ot un petit beteau archibondé a coulé a pic avec ses trois cents passagers. «Le lendemain, nous dit-il, lorsque les grues ont repéché l'‘embarcation, des dizaines de noyés pendaient aux garde- fous.» Nous nous prélassons ensuite sur le pont avec d’autres (Il semble plus facile de se conformer aux priéres rituelles accompagnées de prostrations, pieds nus, sur petits tapis.) Le lile Granville Richmond j trouver ; Outr Le Soleil? # é § epee Le Soleil de Colombie se trouve maintenant en vente dans ces différentes locations: © La Madrague, boucherie frangaise du Marché Granville, sur © La Librairie frangaise, 795 - 16€me avenue ouest © Manhattan Books Store, 1089, rue Robson ¢ European News, 1136, rue Robson © Universal News, 132, East Hastings © Piccadilly, tabagie de U’hétel Vancouver ® Mayfair News, 1535 Broadway ouest e VIP, News and Gift Store, 2440, rue Granville : © La Mouette, libratrie francophone, 3451 rue Chatham, © Dans les trains Via Rail en partance de Vancouver des cabanes se succédent, protégées par des foréts de palmiers que des affluents entrecoupent aintervalles régu- liers. Mes compagnes mi’invi- tent a leur raconter des péripéties de voyage. En grande vedette, bien str, |’6pisode du «café drogué» en Inde suivi des mille tribulations que me cause depuis six longues semaines De nombreuses petites embarcations s’écartent pour laisser passer sa majesté l’Autruche qui glisse lentement dans le canal. Départ digne d’un transatlantique » serviteur nous fait le récit des deux naufrages survenus der- niérement sur le Gange, passagers bien nantis - par rapport au niveau de vie du Bangladesh. Les eaux resplen- dissent comme sous vingt soleils. S’offrent sans cesse ala vue des barques de toutes dimensions, avec ou sans voile, la plupart recouvertes d'un toit semi-circulaire en bambou. un gros poisson frétille parfois au bout d’une ligne. Sur les rives, l'attente indue du rembourse- ment par American Express des chéques de voyage volés. (Ces incidents font l'objet d’articles déja parus.) Les deux dames sont au comble del'indignation. «A quoi rime toute cette - publicité tapageuse dans tous les médias?se demande Mary. Nincite-t-on pas les gens 2 ‘croire qu’en tout temps et en Croisiére sur le Gange tout lieu les remboursements se font en moins de 24 heures ou, dans les pires des cas, en 48 heures? Ils veulent profiter au maximum de |iintérét de ton argent.» Elle m’encourage a lire des rapports annuels d’Ameri- can Express, a écrire au président de la compagnie lui-méme et a exiger une forte compensation pour |’inaccep- table délai. Nous échangeons nos adresses. Elle griffonne un résumé de mon aventure, y mentionnant lenuméro d’un des chéques volés, et me promet de m’aider a obtenir justice avec l'aide de son mari, le banquier. Tout en changeant de conver- sation, je me rends compte jusqu’a quel point nous nous faisons remarquer par les nombreux Bangladeshi qui nous entourent. Mary lance d’un ton moqueur:«//s nous regar- dent comme sils_ voulaient apprendre par coeur nos empreintes digitales». Nous buvons une eau gazeuse alors qu’eux ne reboiront, en princi- pe, qu’aprés le coucher du soleil. Une petite embarcation navigue a& contre-courant; a bord, 29 passagers bien comptés! Il y en a toujours au moins une en vue. La plupart sont petites et dangereusement bondées. Nous apercevons parfois, dans un méme coup d’oeil, d’innombrables chalands et barques de péche en quéte d’«hilsas» et de «bedkis» - poissons recherchés du Benga- le. Une forét de palmiers se mirent sur les rives inondées d’un affluent. Une longue bande de terre, fort étroite, s’avance dans son embouchure. A mi-chemin, quelques vaches debout, immobiles, comme pétrifiées parla masse d'eau qui les éntoure. D’anciennes embarcations bengali avec voiles rectangulai- res rayées, multicolores, nous suivent, puis silencieusement nous dépassent. Je montre du doigt un bateau dans lequel des. centaines de musulmans (des hommes exclusivement) sont en priére, balancant la téte dans urr méme rythme précis. Ici, le “fleuve ramifie dans toutes les directions ses eaux souvent qualifiées de «tra/tresses». La, il coulelelong d'une épaisse forét de hauts arbres qui renferme, pourrait-on croire, |’obscurité d'une nuit éternelle. C'est la partie nord des 6,000km2 de la forét de mangroves ou rédent les 400 derniers tigres du Bengale. On n'y trouve aucune habitations a cause du manque d'eau potable. Cette région est la seule zone inhabitée du Bangladesh, troisiéme pays du monde pour la densité de la population. [Suite la semaine prochaine] N’attendez pas 20 de plus! Mettez cu Soleil dans votre vic dés aujourd’hui.