Le Moustique Monologue __.suite Il est vrai que Jean-Luc inspirait confiance. II avait l'air si sir de soi. Peut- étre venait-il réguliérement pécher ici avec son pére ? En fait, nous l'avions nommé d'emblée chef de l'expédition. N'était-il pas celui qui en avait eu l'idée ? Ce réle, il l'avait assumé naturellement, avec une autorité sereine et une confiance communicative. Il avait I'étoffe d'un Colomb et j'ai su alors que pour faire les choses les plus folles, il fallait un meneur qui, lui, n'ait pas l'air dément. La folie, cest une action insensée qui échoue. Si, contre toute attente, elle réussit, c'est de I'héroisme. Pour devenir héros, nous avions déja toute la volonté et l'énergie nécessaires ; il ne nous fallait donc plus qu'une quantité énorme de chance. Dés que nous etimes quitté le couvert des arbres et donné les premiers coups de pagaye, nous comprimes que cette aventure ne serait pas une promenade de plaisir. Formé d'un seul tronc évidé — les gens cultivés appellent cela une pirogue monoxyle, un nom beaucoup plus sophistiqué que l'objet qui le porte - - le vaisseau était loin d'offrir les meilleures conditions de navigabilité et de confort. Nous nous trouvames encaissés dans un étroit corridor grossiérement taillé en " U " profond, les fesses sur une bichette humide et instable qui roulait au rythme de notre avance saccadée. Couvert de sueur par !'effort, nous volume 5 - © edition Juin ZUUU voyions la plage s'éloigner, mais dans le mauvais sens. Le courant, encore relativement modéré a une quinzaine de métres de la rive, nous avait fait reculer d'au moins trois longueurs de pirogue. Je pense que c'est moi qui ai eu I'idée, alors, de nous rapprocher de la berge ou le courant semblait moins rapide. Le conseil était bon car nous commencames enfin 4 remonter le fleuve. Et rassurant aussi, car, je l'avoue a présent, je ressentais une certaine inquiétude a4 quitter cette rive. Nous souquions ferme, encouragés par le faible progrés de l'expédition. Arc- boutés sur les pagayes, nous ne prenions pas le temps de regarder le paysage, assez monotone en fait. Sur notre gauche, le fleuve gris bleuatre a gris clair, brunatre dans les zones de remous, s'étendait en largeur sur prés de deux kilométres. Au fond, on percevait la céte francaise, vert pale, noyée dans une brume terne, dansante sous le soleil. A droite, un talus de sable argileux beige couvert de broussaille nous coupait la vue. Le temps n'existait plus, marqué seulement par le bruit de l'eau rabotant la pirogue, glissant sur les rames et le clapotis des courtes vagues sur la berge. Pas méme le cri d'un oiseau que la chaleur étourdissait. Et soudain, au-dela d'un promontoire, la berge fuyait enfin, s'arrondissant en une sorte de large baie. On avait réussi a atteindre la Pointe de Kalina ! Du coup, les langues se déliérent. Suite en page 7 Page 5