Le Moustique La lumiére du jour a changé, les feuilles du pommier et celle du poirier ont virés au rouge, en quelques jours. - « Que ce passe t-il, Grand-mére ? » -« Mes chers petits, la saison d’hiver approche a grands pas. Il est temps de sortir nos tricots, nos écharpes, nos bonnets et nos moufles. Le vent viendra bientét nous souffler aux oreilles : Vive le vent, vive le vent, vive le vent d’automne. Manchons aux bras et gants aux mains, Le mois de novembre est malsain, il fait tousser dés Toussaint ». -«Couvrez vous bien, et rapportez-moi les plus jolies feuilles rouges du jardin ». Qu’allait-elle nous mijoter ce soir, notre grand-mére ? Nous enfilions le plus rapidement possible nos gros chandails gris que Grand-mére nous avait tricoté I'hiver d’avant. Délicieuse impatience d’une enfance insouciante qui ne pouvait rien imaginer de mieux au monde que de s’ébattre dans les feuilles, soudain innombrables. Elles virevoltaient dans le vent, joyeuses, exubérantes compagnes de nos jeux éperdus. Pour moi, lautomne, ce n’était pas la fin, mais un autre de ces recommencements que le calendrier magique recréait chaque année pour le plaisir de ma seule fantaisie. Fatiguée de crier, de pirouetter dans la tourmente végétale, mon plus grand plaisir était alors de me coucher au pied du grand pommier, sur ces feuilles amassées en matelas impromptus, et de regarder les nuages qui filaient dans le ciel. La lumiére tamisée de ces journées venteuses adoucissait le monde. Elle faisait que tous les objets qui nous entourent, paraissaient plus tendres au toucher, plus doux a la vue, plus chauds en couleur. J’aimais a en mourir ce moment de l'année. Ma Grand-mére me reprenait. -« Ne dis pas cela, dit plutét que tu aimes a en pleurer ou a en crier ». Mais la mort ne veut rien dire quand le monde est si beau, que l’enfance n’a pas encore inventé le futur. La mort n’était pas la fin, mais le bonheur immuable. Quand je pensais « mort », je n’y découvrais Volume5 - 11¢ édition qu’ « éternité ». Mais pour l'amour de Grand-mére, je me taisais alors, pour y penser plus fort que jamais. Et l’on se : relancait téte baissée dans la vie. Quels combats mémorables ot mes fréres et moi nous nous lancions au visage des masses de feuilles qui nous étourdissaient par leur seule multitude. Pourquoi y aurait-i] eu un futur ? Le temps ne s’écoulait plus. C’est trés soudain que Grand-mére nous appelait. Nous rentrions vite. Un petit coup de débarbouillette sur le nez, sur les mains et nous étions a table. Ce soir, elle avait dressé une table différente. Une nappe provengale, dans un vase, un bouquet de petits chrysanthémes blancs et deux belles bougies rouges dans leur bougeoir en cuivre. La nuit tombait déja et la lumiére des chandelles avait des rougeoiements de féte. Nos ombres au mur Se profilaient joyeuses et un nouveau parfum se dégageait de la soupiére...Qu’allions nous découvrir ? Sur la table en féte, une large soupiére fumait, laissant s’échapper un fumet irrésistible qui nous faisait pousser inconsciemment notre assiette vers Grand-mére : - Une créme aux champignons avec des petits crodtons a I’ail, puis un chapon aux navets accompagné de petites pommes de terre coupées en dés, sautées et d'une timbale de féves vertes et, pour dessert, une charlotte aux pommes caramélisées. Nous mangions et fondions tout a la fois. J’en retrouve le goiit sur mes lévres. C’était hier! C’est vrai que le temps n’existe pas ! A table, seule Grand-mére parlait. Nous, on était trop occupé. Elle nous rappelait que Grand-pére nous avait quittés depuis un an déja et elle ajoutait : « Quand d’octobre vient la fin, Toussaint est au matin A la Toussaint ISSN 1496-8304 Novembre 2002 Le froid revient Et met l’hiver en train » Cet hiver 1a, il a fait trés froid. La glace formait de grands rideaux tombant du toit. A la tombée du jour, les derniers rayons du soleil venaient caresser le vieux buffet en chéne sur lequel de nombreuses photos, jaunies par le temps, nous remémoraient les histoires d’antan. Et c’est vrai que Grand-pére n'est jamais revenu. Chantal Lefebvre Calendrier Gastronomigue de novembre... Délaissé depuis Paques, le porc, redevient en honneur. Le gibier et la volaille sont nombreux et variés, ce sont : canards, lapins de garenne, liévres, perdrix, faisans, tourtereaux, chapons, dindes, oies, pintades, pigeons, poulardes. La marée est triomphante sous forme de harengs, esturgeons, limandes, maquereaux, merians, mulets, lottes, bars, raies, rougets, vives, dorades, saint-pierre, colins, moules, huitres, etc. Les /6gumes sont encore a peu prés ceux d’octobre, lendive, le céleri, la barbe de capucin; les topinambours sont abondants. Raisins, poires, pommes deviennent plus chers ; les bananes sont nombreuses et les oranges apparaissent. Tiré du « Nouveau livre de Cuisine » par Blanche Caramel. Editions Gautier-Languereau 18 rue Jacob Paris XI°. 1927 Suite dans le prochain Moustique ! 17