— | ILes visiteurs du soir par Roger Dufrane Les Visiteurs du Soir! Quelle trouvaille que ce titre de film et sur quoi on peut réver! Il fut un temps ou les phénoménes de lanature, arc-en-ciel, gréie, tonner- re, la marche des saisons ou la ronde des heures, pa- raissaient ou divines ou (é- moniaques. Les nuits d’hi- ver, dans les campagnes, les hululements des chouettes et les sarabandes des arbres dans la tourmente faisaient trembler les bonnes gens. L’heure crépusculaire n’ap- partenait plus tout 4 fait au créateur; et les étrangers qui d’aventure heurtaient aux portes des manses ou des manoirs, on se signait a leur vue. Sur un scénario de Jac- ques Prévert et de Pierre Laroche, il se déroule dans les paysages dela Provence. Présenté A Paris le 4 dé- cembre 1942, ce film rem- porta le Grand Prix du Ci- néma frangais. On congoit le dépit de 1’ Occudant devant ce chef-d’ oeuvre inattendu = qu’un peuple sous la botte lui jetait comme un défi au visage. Marcel Carné, le metteur en scéne, contraint par la censure allemande d’éviter toute allusion aux événe- ments actuels, y parvenait neanmoins clandestinement par l’allégorie d’une legende médiévale. Il joue en vir- tuose sur les différences de climat spirituel entre le Moyen Age et le notre. Moyen = Wy Cie) ( bl A La 4 \ contraste, non seule- des hauts et des bas Age: ment de toute destiné2, mais aussi de la violence et de la ten- dresse, du bien et du mal. Les jeux sanglants des tour- nois alternaient avec les jeux raffinés de la chambre des dames. Or, ces traits forte- ment opposés d’un Age de fer'et de foi, émoussés par le lent progrés des moeurs, noyés dans une vie sociale plus nuancée, ne ressurgis- sent-ils pas temporairement avec les guerres? Dans la France de 1942, on passait aussi brusquement qu’au Moyen Age de la richesse au dénuement, de la vie a la mort, d’une liberté rela- tive A la prison. De 14 4 rapprocher les protago- nistes du drame cinémato- graphique de ceux du drame — réel, il n’y avait qu’un pas. Et le Jules Berry en habit noir des Visiteurs du Soir, on 1’a identifié, bizarrement et subtilement, au sombre et sinistre dictateur de Berch- tesgaden. Aujourd’hui, ces arguties dues a la plume de criti- ques écrivant 4 la lueur des braises encore chaudes d’ une guerre ne tiennent plus. Seuls subsistent une mer- veilleuse legende en noir et blanc, qui rappelle, dans un style plus ample, les minia- tures médiévales, et unsym- bole éternel: l?Amour Vain- queur. Satan (Jules Berry), qui avait délégue sur terre deux de ses créatures, un jongleur (Alain Cuny) et une jongleresse (Arletty), pour induire au mal les humains, intervient A son tour. Irrité de son échec, il change en statue les amants dont le coeur bat pour 1’éternité sous la pierre. Que tiraient Allemands et Américains de l’époque des| thémes, offerts par les 1é- gendes ’Des oeuvres Agrand “spectacle, d’une qualité dis- cutable, telles, du cdté alle- mand, les Aventures du Ba- ron de Munchhausen, et, du cdté américain, plus médio- cres encore, les Mille-et- Une-Nuits. Marcel Carné, tournant 4 son avantage la pénurie de matériel imputa- ble A 1’Occupation, a rejeté tout bric-a-brac. Au lieu d’un tournoi 4 grand déploie- | ment de cavaliers et de fer- railles, il montre un combat singulier reflété au miroir d’une fontaine ot le sang vient ennuager l’eau pure. Voila du vrai cinéma! Certes, ce film ot se succé- dent fééries, diableries et miracles, reléve de la lé- gende. Mais prenons garde qu’il refléte avec vérité 1’ ambiance morale du Moyen ‘Age. En ce temps d’obscu- rantisme, la religion et la magie travaillaient les ima- ginations. Miracles et mer- veilles exaltaient de leurs fantasmagories les étapes de la vie des hommes. Dialogues, musique et mé- lodie, images, jeu des acteurs, profondeur du my- the, tout contribue 4 faire du film des Visiteurs du Soir un chef-d’oeuvre. NOTE : ce film sera projete prochainement 4 1’Alliance - Frangaise de Vancouver. a ta ob 4) ie Les mésaventures du camping a deux par JEAN-PIERRE TADROS L’EXIL, film québécois de Tho- mas Vamos, Scénario: Thomas Va- mos et Gilles Archambault. Ima- ge: Michel Thomas-D’Hoste. Mu- sique: Pierre F. Brault, Montage: Werner Nold, Interprétes: Anne Pauzé, Albert Millaire, Production: Office national du film. Que l'un des directeurs de. la photographie les plus es- times de l'‘ONF décide de pas- ser a la réalisation, cela, en soi, n'a rien que de tres nor- mal. Thomas Vamos, on le sait a magistralement signé la pho- tographie de nombreux longs métrages de fiction de l'ONF. de “Kid Sentiment” a “IXE- 13”, en passant par “La Chambre blanche” de Jean- Pierre Lefebvre et: ‘Ou étes- vous done?” de Gilles Groulx. On imagine alors aisément avec quelle impatience on at- tendait la sortie de ce tilm et surtout qu'on en attendait beau- coup. Il faut dire tout de suite qu’en faisant “L’Exil’”’. son premier long métrage, Thomas Vamos ne s'est pas retranche derrie- re la facilité. Tout au contrai- re. Car “L’Exil’, c’est V’his- toire d’une fuite; la fuite d’un couple vers le grand Nord et la solitude. Un couple qui, en échappant a la frenésie de la . vie urbaine, tente de retrouver un bonheur qui s'est lentement effrité. Mais ce refus de la réalité quotidienne, cette re- cherche de quelques paradis perdus et inaccessibles les laissera finalement absolument démunis. A bout de force. la réalité les rejoindra, plus atro- ce que jamais. C’est 1a la trame de I’his- toire. Le couple, Jean et Lise sera interprété par Anne Pau- zé et Albert Millaire. Le de- cor se réduira 4 une voiture- roulotte, la route. la campagne, la solitude. En d’autres ter- mes il y avait la les elements d'un grand film sobre. Mal- heureusement la réalité est toute autre, car le film n’arrk vera pas a tenir ses. promes- ses. En un mot: la vie ne pas- se pas l’écran. “TExil’’, en effet, .ne fonc- tionne que par petits bouts, par séquences qui s’imbriquent mal les unes aux autres. C’est ainsi que | interprétation théatrale d’Albert Millaire nous fera constamment pas- ser d'une déclamation a une autre. Anne Pauzé lui donnera alors la réplique comme elle le pourra, cest-a-dire . bien timidement et sans grande conviction. On se met alors a réver aux films de Bergman. a “Une Passion” par exem- ple. Et l'on comprend_ alors qu’il était bien temeéraire de faire ‘L’Exil’. En fait, ce que je reproche © au film, cest de n’avoir pas pu — méme pas l’espace d'un plan — nous restituer ce dra- me intériorisé qui ronge Jean et Lise. Et dans un film qui ne repose que la-dessus. ce- la est catastrophique. Parce qu’en étant obligé d’en rester ‘a la surface des choses et des événements la conclusion qu’on tire de ‘‘L’Exil’’ c'est que ce nest pas “I’fun’ d’aller cam- er avec sa femme. On est oin alors du theme de “TExil’”. Mais n’est-ce pas 1a !’écueil qui guette inévitablement le cameraman lorsqu’il décide de passer a la réalisation. Car. habitué a capter a travers la lentille de sa caméra une ma- tiere organisée par le metteur en scene, il en est réduit, la plupart du temps, a ne se préoc- cuper que de la surface des choses. Devenu réalisateur. il se retrouve brusquement avec une matiére. éparse qu’il lui faut organiser. -L’experience de “L’Exil’’ montre que le passage de l’un a l’autre est difficile et plein d'embuches. Une remarque enfin, si la photographie et le cadrage tire malheureusement 4 la car- te postale,. le dialogue, lui, évite de tomber dans ta banali- té. Ce dernier point meéritait d’étre souligné. IV, LE SOLEIL, 10 MARS 1972