18 Dix ans aprés La tension existe toujours a Penetang par Daniel Marchildon n avril 1990, l’école se- condaire de langue fran- gaise de Penetang, une ville située 4 160 kilo- métres au nord de Toronto, sera of- ficiellement ouverte et ce, pour la troisiéme fois. Cette inauguration aura été précédée de celle d’une école illégale en 1979 et ensuite de celle del’école officielle en 1982. Il aura donc fallu dix ans et le déchi- rement d’une communauté pour régler cette crise scolaire rendue presque épique. Aujourd’ hui, l’école Le Caron dis- pense une éducation en frangais aux jeunes francophones du comté de Simcoe qui compte environ 9 000 franco-ontariens. Pourtanten 1979, il n’y avait pas encore d’écoles de langue francaise. Durant la lutte pour l’obtention d’une école, les francophones ont dii faire face a la problématique «d’étre ou ne pas étre franco-ontariens». Aucours des 12 ans suivant!’ ou- verture du Penetang Secondary School (PSS) en 1964, le conseil scolaire de Simcoe avait ajouté certains cours en francais. En 1976, le conseil se vantait d’avoir une école secondaire bilingue, méme si les 318 éléves francophones ne pouvaient choisir que 4 cours en _ frangais. Or en 1977, poussé par les mili- tants francophones, le comité con- sultatif de langue francaise (CCLF), une entité consultative en matiére d’éducation de langue francaise, s’engageait dans la lutte pour l’ob- tention d’une école distincte pour les francophones. Le conseil scolaire a étudié la question pendant deux ans avant de dire non a l’école francaise et le ministére del’ éducationrefusa d’in- tervenir dans le dossier. Face a cette inertie, lacommunauté francophone de Penetang mit sur pied l’école de la Huronie (ESH). Cette école illé- gale, ouverte avec 58 éléves le 3 septembre 1979, jouissait de l’ap- pui financier de1’ Association cana- dienne-frangaise de 1’ Ontario. Ce geste extréme devait durer une ou deux semaines tout au plus. Il dura dix mois. A |’époque, la question oppose certains anglopho- nes aux francophones qui revendi- quent l’école. Or, parmi les franco- phones, c’était également la divi- sion. Division des familles Rosita Desroches, une ensei- gnante a 1’élémentaire et membre du conseil scolaire de la Huronie se souvient des conflits familiaux, du cété des fréres de son €poux. «Ils nous trouvaient un peu osés de demander une école frangaise (...) Onnousaméme exclus decertaines soirées sociales.» Dix ans plus tard, en 1990, la tension existe toujours bien qu’elle se soit atténuée, de dire madame Desroches. Iln’y a pas eu d’ incidents carré- ment violents pendant le conflit. Toutefois, Lucie Maurice, une étu- diante de I’école secondaire Huro- nie, a vécu des moments trés tendus dans les autobus scolaires. Un jour, en particulier, elle s’est défendue a coups de poings contre une autre fille. Au cours des années 1980, Lucie raconte aussi que les étu- diants de la Huronie se sont fait lancer des oeufs et des tomates. Pour Claude et Maryse Desro- chers, dont la fille fréquentait V’E.S.H., leurs souvenirs de la crise sont trés pénibles. Le couple possé- daitun commerce de vétements pour dames 4 quelques pas de 1I’école secondaire etcertains opposants ont décidé de le boycotter. Les éléves de 1’E.S.H. passérent l’année a suivre des cours par cor- respondance. Ils participérenta toute une série de manifestations tapa- geuses. Cela se passait en pleine campagne référendaire pour |’ indé- deuxiéme site. Rebaptisée Le Caron Enfin, a 1’été 1981, on se mit a construire la nouvelle école, rebap- tisée Le Caron. Pour la cinquan- taine de jeunes de 1’E.S.H., qui al- laient s’inscrire 4 Le Caron, la tran- sition ne s’est pas faite sans peine. «Certains professeurs étaient beau- coup plus draconiens avec les an- ciens de la Huronie qu’avec les nouveaux étudiants» note Louise Marchildon, qui est passée de la 9e al’E.S.Huronie a la 10e année a Le Caron. «Les enseigants étaient plus sévéres envers nous lorsqu’ils cor- rigeaient nos travaux», renchérit- elle. d’abord installée dans une vieille école désaffectée avant de prendre possession de ses locaux démonta- bles 4 Penetang, était loin d’étre complete. Certains jeunes franco- phones préféraient donc fréquenter l’école soi-disante bilingue plutét que s’inscrire a une école sans ate- liers d’arts techniques ou de cafété- ria. Jusqu’en 1982, les étudiants de Le Caron suivaient les cours techni- ques dans des ateliers de lacommu- nauté. En février 1983, le conseil scolaire de Simcoe exigeait que les éléves poursuivent leurs cours dans un local aménagé au Penetang Secondary School (PSS). Les élé- ves refusérent. Ce fut le début d’un pendance du Québec. D’ailleurs le gouvernement provincial de William Davis cherchait a se faire le champion de l’unité nationale. Ainsi, le 23 avril 1980, aun mois du référendum, le gouvernement de l’Ontario, le conseil scolaire et la communauté francophone s’enten- daient enfin sur la construction d’une école de 500 000$. Or, un an s’écoula avant sa cons- truction. La ville de Penetangui- shene adopta donc une résolution prénant un référendum sur |’école francaise, lors des élections muni- cipales de l’automne 1980. Seize des 23 municipalités de Simcoe emboitérent le pas. Toutefois, Basile Dorion, un membre du CCLF, obtenait en Cour Supréme de !’Ontario une injonc- tion contre ce référendum. Le con- seil scolaire de Simcoe, freiné parla ville de Penetang lors d’une de- mande de changement de zonage, s’est vu contraint a trouver un Victor Dupuis, le président du conseil étudiant de l’E.S.H., faisait sa 13e année en 1979. Il a souvent di prendre la parole et défendre cette cause. Aprés un ana Le Caron, il a quitié la région pour étudier a Ottawa oi il habite toujours. Pen- dant plus de trois ans, il a porté les cicatrices psychologiques de la crise. «A luniversité, j’avais tres peur de parler dans les classes. J’avais toujours en téte l’idée que, si je parlais, 150 personnes me cri- tiqueraient ou me diraient non.» D’autres francophones sont devenus carrément désabusés de la politique scolaire. Roméo Mar- chand, le président du CCLF en 1980, se rappelle du climat de méfiance del’ époque. «Peu importe ce que le gouvernement provincial nous offrait, il fallait se quereller. J’ai di démissionner car tous les membres du comité étaient contre moi.» D’ailleurs, l’école Le Caron, boycottage de treize mois des ate- liers du PSS. Devant les tribunaux La deuxiéme étape de la crise se joue devant les tribunaux. Toujours en 1983, l’ACFO intente un procés contre le gouvernement de I’Onta- rio pour faire reconnaitre le droit des francophones a la gestion de leur école. Conjointement avec 1’ACFO, Jacques Marchand, un parent fran- cophone, entame une action légale contre le Conseil scolaire de Sim- coe et la province pour revendiquer le droit des francophones de1’Onta- rio a des services équivalents a ceux de la majorité anglophone en ma- tigre d’éducation. La victoire qu’obtenait l’ ACFO en juin 1984 est venue appuyer la cause Marchand qui fut entendue "en mai 1986. Aucours du procés, le gouvernement offrait 2,5 millions de dollars pour régler le différend hors cours. Le 26 juillet 1986, la Cour supréme de 1’Ontario donnait raison 4 M. Marchand: la province et le conseil scolaire devaient modifier l’école Le Caron pour la rendre conforme aux autres écoles du comté. Le Conseil scolaire et la pro- vince décident alors d’en appeler du jugement. Le Conseil d’éduca- tion de langue francaise (CELF), élu pour la premiére fois en 1987 pour gérer |’éducation en francais, crée un précédent juridique en obli- geant le Conseil a retirer son appel. Avec ses nouveaux pouvoirs, le CELF annonce aussi |’élimination progressive des cours de frangais langue premiére 4 Penetang Secon- dary School. Un groupe de quel- ques centaines d’étudiants et de parents de PSS dénonce a son tour la décision du CELF. La situation se calme néanmoins lorsque le conseil scolaire, quin’ajamais voulu établir d’écoles d’immersion dans le comté, décide de dispenser des cours de francais langue seconde a PSS. La tension vis-a-vis les écoles frangaises provient du fait que le conseil scolaire de Simcoe n’a jamais établi d’écoles d’immersion dans le comté. Les parents anglo- phones, qui veulent que leurs en- fants apprennent le frangais, les inscrivent dans les écoles de langue francaise. Or ces mémes parents ne veulent pas d’une école secondaire «complétement frangaise», du moins pas tant que leurs enfants puissent avoir quelques cours en frangais a l’école anglaise. Les élé- ves issus de foyers anglophones et _ fréquentant les écoles de langue francaise sont tellement nombreux que les conseils d’éducation de langue frangaise, public et séparé, étudient la possibilité de mettre au point un programme spécial pour les éléves «anglo-dominants». Enfin, en mars 1988, suite 4 une série de tractations avec le CELF et M. Marchand, le ministére del’ Edu- cation procédait 4 un agrandisse- ment de Le Caron au coat de 5,6 millions de dollars. Ainsi, les tra- vaux de construction entamés a l’automne 1988 devaient se termi- ner au printemps 1990, tandis que les 230 inscriptions de Le Caron augmentent toujours. A Penetang, le probléme fonda- mental demeure la gestion. Les CELF, public et séparé, visent a consolider les 2 500 effectifs sco- laires francophones du comté, ré- partis dans sept écoles,au sein d’un méme conseil. Un rapport produit par les deux CELF, en mai 1989, propose la création d’un conseil francophone avec une section sépa- rée et une section publique, dés novembre 1991. s De son cété, le gouvernement ontarien manifeste une grande réti- cence 4 l’idée d’ajouter d’autres conseils scolaires de langue fran- ¢aise aux deux qui existent déja a Toronto eta Ottawa. La francopho- nie ontarienne envisage donc un nouveau combat: non seulement désire-t-elle un établissement sco- laire, elle exige le droit de le gérer. Daniel Marchildon est journa- liste-pigiste en Ontario LL 066} SleW g np eUlEWesg || eWNjoA-«jeUOeEN Nefuy» :uoeonpy 2 AOR aan ans itnio