. i, 8, Le Soleil de Colombie, 30 Avril 1976 PERSPECTIVES DU BILINGUISME DANS L’ENSEIGNEMENT Texte de l’allocution de L’HONORABLE J. HUGH FAULKNER, prononcée devant les membres de la FEDERATION CANADIENNE DES ENSEIGNANTS, Je suis heureux de me trouver aujourd'hui parmi vous. Je sais en effet que la Federation canadienne des enseignants s intéresse de trés prés anos programmes de langues etje voudrais profiter de l'occasion qui m‘est offerte, pour vous entretenir du rdle que le Secrétariat d’Etat joue dans la mise en oeuvre de la politique linguis- tique du gouvernement fédéral au Canada. Je laisse aux fonctionnaires de la direction des . Programmes de langues le soin de vous fournir les détails des programmes administrés par le Secrétariat d'Etat. Pour ma part, j'aimerais vous communiquer quelques-unes de mes réflexions sur la question linguistique au Canada. Mon propos sera bref, car j’aimerais prendre connais- sance de quelques-unes des -préoccupations que vous inspire votre tache d’enseignants. ll y a 8 ans, au milieu de l'année 1968, la Commission royale d’enquéte sur le bilinguisme et le biculturalisme analysait le besoin et la pos- sibilité d'implanter le bilinguisme dans l'en- ° seignement. Plus tot, la Commission avait parlé de la crise de la langue et de la culture au Canada, déclarant méme que c’était la plus grave crise qu’ait connue notre pays. Dans le second volume de son rapport. publié en 1968, la Commission a démontré que le prin- cipe d’égalité entre les deux groupes de-langue ~ officielle, doit étre rangé au monbre des valeurs fondamentales du Canada; selon elle, toutes nos institutions, y compris les établissements d’édu- cation, devraient refléter cette égalité ety con- courir. Toujours selon la Commission, ce prin- cipe d’égalité suppose que les francophones et les anglophones, qu’ils constituent la majorité ou la minorité dans leur province, aient les mémes possibilités de s'instruire. La Commission a également recommandé certaines mesures susceptibles d'aider le groupe minoritaire a _préserver son identité linguistique et culturelle. A 8S Ra aed al. Pe ae Mit La Commission a estimé que la majorité des écoles canadiennes devraient enseigner la se- conde langue officielle; la question était de savoir non pas s'il fallait 'enseigner, mais comment le faire plus efficacement. La Commission recom- mandait d'insister davantage sur l'expression orale, d’améfiorer fe contenu culturel des au- xiliaires didactiques et d’enchainer les program- mes @enseignement de la langue seconde selon ~ une progression réguliére. Mais, fait encore plus important, c'est a tous les Canadiens et plus particulierement a vous, les enseignants, que la Commission a confié la mission de batir un pays véritablement bilingue. Votre réle a vous enseignants, est primordial. Non seulement vous enseignez et dispensez les connaissances, mais vous inculquez des va- leurs, vous Communiquez des idéaux; vous transmettez des attitudes. L'acceptation et la compréhension a lendroit de la réalite linguis- tique du Canada ne peuvent s'instaurer sans votre participation. Il me semble que lintérét que vous portez au bilinguisme dans l'enseignement ne peut étre purement professionnel. C'est un probléme qui nous touche tous profondément en tant que Canadiens car, comme je !’ai deja dit. c'est de lui que dépendra notre histoire au cours des 100 prochaines années. Dans cette optique, il est plut6t encourageant de constater que les 46 recommandations de la Commission relatives a l'éducation ont, a!’heure actuelle, presque toutes été mises en oeuvre, au moins en partie, méme si quelques-unes !’ont nécessairement été d'une facon différente de- celle qui avait été proposée al'origine. La plupart ont nécessité la participation directe des pro- vinces, mais le gouvernement fédéral s'est chargé d'une grande partie du travail. Les programmes du Secrétariat d'Etat que vous étudierez en détail au cours de ce colloque sont nés des recherches et des recommanda- tions de la Commission. Les réalisations, en ce qui a trait’a expansion du bilinguisme, ont.suivi de prés le modéle proposé par la Commission. Ces programmes visent principalement a soutenir des initiatives provinciales. Le gouvernement fédéral a accepté de se charger du surcroit de dépenses et a adopté la formule proposée selon laquelle il accorde aux provinces une subvention calculée d’aprés le nombre d'éléves que fréquentent les écoles dela minorité linguistique et le codt moyen de I'éduca- tion par éléve au Canada. Cette formule de paiement de 9 p. cent a permis aux gouverne- ments provinciaux de toucher des sommes consi- dérables pour l'éducation de la minorité linguisti-- ques. L’assistance financiére du gouvernement fédéral a également pris la forme d'une aide aux universités fonctionnant dans la langue de la minorité ainsi qu’aux établissements qui forment _les enseignants de la minorite linguistique, et de " courageant également bourses permettant aux étudiants de poursuivre des études universitaires dans leur propre lan- gue. _ La Commission a accordé moins d'importance a l'enseignement de la langue seconde. Elle n'a pas, par exemple, recommandé au gouverne- ment fédéral de subventionner les provinces a cette fin, mais elle a fait dimportantes recom- mandations dont certaines ont été approuvées par les provinces et d autres non. Ainsi l'idée de rendre l'étude de la seconde langue officielle obligatoire pour tous les éléves du Canada a perdu du terrain. Peut-étre était-ce une sage décision que de rendre les cours de francais facultatifs dans les écoles secondaires et de les réserver aux seuls éléves motivés et réellement désireux d'apprendre leur langue. seconde. Néanmoins, je trouve inquiétant le rap- pon de Statistique Canada de septembre dernier selon lequel, dans les écoles secondaires, l'ins- cription aux programmes de langue seconde est ‘tombée de 55% en 1970-1971 a 42% en 1974- 1975. Par ailleurs, la recommandation d’abaisser gradueliement; dans toutes les provinces, l'age auquel débute l'enseignement de la langue se- conde pour faire finalement commencer !'étude du francais en premiére année arecu un trés bon accueil. li peut étre réeconfortant de constater que le pourcentage des éléves anglophones qui étu- dient le francais a l'école primaire s'est accru au cours de la.méme période, soit entre 1970 et 1975, passant dé 29% a 37%. Il est trés en- de constater que beaucoup dé systemes Lidaienion cont alles plus loin que ne le recommandait la Commission. Beaucoup ont lancé des programmes dappren- tissage par immersion qui sont souvent complets a ~ avant méme de commencer. D'aprés |'expé- rience acquise, nous pouvons fonder de grands “espoirs sur ces programmes plus radicaux. Je qualifie de radicaux tous les programmes d’apprentissage de la langue par immersion parce que ce sontles seuls qui ont comme objec- tif déclaré de donner aux éléves une connais- sance pratique des deux langues par l'entremise du systéme d'éducation. C'est la une idée rela- tivement nouvelle dans les milieux canadiens de l'enseignement, mais. tres importante pour le Canada de demain ou les personnes bilingues feront le lien entre les deux groupes de langue officielle. Cet objectif de bilinguisme doit 6tre at- teint, bien entendu, sans qu'il y ait pour autant abandon des autres objectifs classiques de l'en- seignement, qui sont la maitrise de sa langue maternelle, de solides connaissances en scien- . ces, mathématiques, etc. Dans quelle mesure peut-on y arriver? Les programmes d apprentis- sage par immersion sont nouveaux, de sorte que la recherche ne nous fournit encore qu'une réponse partielle; toutefois, les résultats d'études effectuées a partir des expériences tentées dans la région de Montréal et d'Ottawa sont extrémeinent encourageants. Vous avez, en tant qu’éducateurs, le devoir moral den ~ prendre connaissance. . é ° Les programmes d'apprentissage par immer- sion ne conviennent peut-étre pas a tous les enfants mais, a mon avis, tous les Canadiens devraient-avoir ia possibilité de choisir un cours qui lui permette d’acquérir une connaissance pratique des deux langues. , : La plupart, bien entendu, ne choisiront pas l'apprentissage par immersion. lls voudront suivre un programme plus traditionnel qui ne peut les rendre bilingues a moins que leur milieu familial et leurs activités extra-scolaires ne leur fournissent un appui et une motivation excep- tionnelle. Le programme traditionne! de langue seconde ne doit pas leurrer étudiants et parents en leur laissant nourrir le vain espoir qu’ils pour- ront devenir bilingués en consacrant 40 minutes par jour a l'étude. de l'autre langue. Ce pro- gramme doit permettre d'acquérir une connais- sance de base de la langue mais — et c'est tout aussi important — il doit amener les éléves canadiens a comprendre et a apprécier l'autre langue Officielle et l'autre culture, jusqu’a con- sidérer !a dualité culturelle du Canada comme , une valeur positive. : r Un programme d’enseignement qui décoit fes éléves au point de les amener a détester I'autre langue officielle et l'autre culture serait désas- treux pour la nation. Je me rends compte que cette ambition im- pose aux professeurs de langue seconde, une tache et une responsabilité supplémentaires. Contrairement aux enseignants des autres matiéres, les premiers sont fréquemment obligés de créer des programmes, et de les appliquer en méme temps, et de partager leur matériel didac- tique nouvellement mis au point avec d'autres professeurs qui, dans d'autres parties du pays, sont aux prises avec les mémes problémes. IIs doivent également trouver les moyens de per- mettre a I'6éléve d’apprendre seul, de fagon a ce - que celui-ci ne soit plus tributaire du seul modéle ‘ que lui propose son professeur. Nous espérons que l'ensemble des program- mes que nous administrons de concert avec les provinces aura pour résultat d’accroitre pro-' gressivement la qualité de l'enseignement. Nous demandons aux provinces et a vous, les ensei- -gnants, de nous aider a décider si oui ou non, nous sommes sur la bonne voie. La présente conférence s’inscrit dans le cadre de cet essen- tiel échange permanent. A I'heure actuelle, l'aide fédérale aux pro- vinces est destinée a couvrir les dépenses sup- plémentaires qu’entraine l'enseignement de la seconde langue officielle. Cette décision a été controversée, mais en 1970, elle apparaissait comme la seule facgon logique d'élargir et, d'améliorer les programmes d'enseignement de la langue seconde. Nous en sommes arrivés au point ou, je crois que nous devons reconsidérer- cette mesure de facon a découvrir si elle incite vraiment les autorités provinciales et scolaires a mettre au point des techniques d'apprentissage de la langue, meilleures et plus intensives. gouvernement fédéral a dépensé quelque $90 millions au titre du bilinguisme dans l'enseigne- ment. Avec de telles sommes en jeu, il est bien ‘naturel que nous cherchons a obtenir des résul- tats concrets. i Je pense que nous pouvons appliquer les principes' de la rentabilité. au bilinguisme dans |'enseignement. Nous devons pour cela mesurer des avantages retirés, c’est-a-dire faire une évaluation. Prenons comme exemple de projet expéri- mental en cours d’évaluation le Programme élargi de francais des quatre conseils scolaires d'Ottawa. Le gouvernement fédéral a financé ce programme et y a investi prés de $5 millions en trois ans. Le gouvernement provincial, pour sa part, a assumé l'entiére responsabilité, finan- ciére et pratique, des recherches effectuées a partir des résultats. Cette évaluation sera préte dans quelques mois et pourra étre utilisée par d'autres, comme guide. ll reste: que nous devons voir une corrélation claire et nette entre les dollars et les réalisations. Ces paiements selon une formule prédéterminée sont censés acquitter les “frais supplémen- taires”. Or, il est de plus en plus difficile de distin- guer les frais essentiels de |'éducation d'un éléve, lesquels doivent étre assumés par le gouvernement de la province concernée, des frais supplémentaires qu’entraine l'introduction de la seconde langue officielle dans le systéme, soit comme langue d'enseignement, soit comme matiére enseignée. On ne peut pas nous blamer dinsister sur la rentabilité. Aprés tout, !e gouvernement fédéral ° est redevable au contribuable. Nous tenons a savoir de quelle fagcon largent est depensé. Peut-étre conviendrait-il, pour l'octroi de fonds fédéraux de remplacer les formules fixes par une méthode plus souple. Dans le cas des projets spéciaux, par exemple, il y a un but précis, une série d'étapes dont le cout peut étre facilement déterminé, et un ensemble de résultats qui peu- vent étre évalués. Toujours entrepris a la suggestion des provinces, les projets spéciaux sont des activités a frais partagés, contrélées par les provinces qui doivent également en assurer | la mise en oeuvre. Ce sont les provinces qui ont les moyens de réaliser les projets et les évaluer, mais nous voulons voir adopter des régles d'évaluation. Le gouvernement fédéral n'est pas intéressé a continuer uniquement de financer le statu quo. Au cours de la demiére année financiére, le ___citoyen a apprendre le francais ou l'anglais. P. us = Nous voulons des résultats. Nous voulons savoir si les paiements selon des formules prédéter- minées sont efficaces. Peut-étre devrons-nous redistribuer nos ressources pour obtenir de meil- leurs résultats. Si tel est le cas, nous devrons modifier certains programmes, mais aucun n'est sacré. Ce qui est sacré, et que le gouvernement fédéral considére comme un principe fondamen- tal pour la société canadienne, c'est! égalité des - deux langues officielles. Nos programmes de langues sont les instruments pas lesquels nous espérons faire passer ce principe dans la réalité quotidienne des Canadiens, et si ces instru- ments ne fonctionnent pas, nous devrons en trouver d'autres. Le bilinguisme au Canada semble 6tre arrivé a un tournant. Depuis quelque temps, la presse regorge d'articles annongant de nouvelles réac- tions contre le bilinguisme. La plupart d’entre nous conviendront, je crois, que les extrémistes défraient plus souvent la chronique que les modérés. Il me semble que |'actuel climat d'aus- térité a amené le contribuable a réexaminer bon nombre des programmes gouvernementaux. Mais, Amon avis, c'est fausser la situation que de prendre les programmes de bilinguisme pour * seule cible. S'il n'y a aucune raison de s’alarmer, il y a toutefois lieu de se poser des questions. Aprés avoir fonctionné quelque temps sur Jeur élan ini- tial, les programmes de bilinguisme font main- tenant l'objet d'un nouvel examen. Leur orienta- tion future dépendra de I'ingéniosité et du cou- rage avec lesquels nous régierons nos pro- biémes. Leur succés repose en définitive sur la force de notre détermination et de notre en- gagement vis-a-vis du principe selon lequel nous avons deux langues officielles. Les programmes de bilinguisme dans |'en- seignement ont été murement réfléchis. Nous voulons encourager les deux groupes linguis- tiques principaux a s‘intéresser l'un a l'autre et a s'accepter. Nous voulons aider les Canadiens a comprendre qu’en devenant bilingues .ils con- tribuent a renforcer |'unité du pays, a permettre le bon fonctionnement de nos _ institutions nationales a tous les niveaux, a créer une identité nationale et a favoriser l'enrichissement person- nel et culturel de l'individu. Personne ne prétend que tous les Canadiens doivent obligatoirement &tre bilingues. Personne ne force le simple — ‘le citoyen moyen, la politique de bilinguis présente non comme une obligation mais comme un avantage et une occasion a saisir. Ne serait-ce pas un atout culture! extraordinaire pour notre pays si beaucoup plus de Canadiens profitaient de l'occasion qui leur est donnée d'apprendre a s'exprimer dans nos deux langues officielies. A quel tresor de patrimoine culturel et dhistoire auraient-ils alors acces! Aujourd'hui, l'égalité entre les deux principaux groupes linguistiques continue d’étre l'un des grands objectifs nationaux inchangé d'ailleurs depuis qu'il a été formule, il y a 8 ans, par la Commission. Cela signifie que les minorités francophones doivent étre considérées comme un élément essentiel de la société canadienne. lls ne forment qu'une petite minorité dans neuf des dix provinces, mais constituent au total une partie substantielle de notre population. lls font du Canada un pays ou se cétoient deux langues et deux cultures principales. Nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre de sous-estimer l'importance de la minorité francophone du Canada. Elle constitue™ un aspect essentiel de notre identité et nous ne pouvons nous contenter de prendre quelques mesures propres a assurer la survie des petites enclaves francophones qui existent en dehors du Québec (d’autant qu’on pourrait prétendre qu'aucune mesure satisfaisante n'a encore été prise, méme dans ce domaine limité). Nous de- vrions nous fixer pour but de faire en sorte qu’el- les se multiplient et se renforcent au cours des années a venir. Ce n'est qu’a ce momenta, que nous pouvons espérer atteindre notre objectif national numéro 1: faire du Canada un pays bilingue. : ' C'est peut-6tre un critique social francophone . qui a le mieux compris l'urgence du probleme que doit affronter quotidiennement la minorité francophone menacée d'assimilation, lorsqu'il a déclaré: “...vivre en frangais, ...c’est...vivre tout court... Si nous ne vivons pas en frangais, nous vivrons, chacun de nous vivra, jusqu’au bout de sa vie a lui, et mourra,..mais, collectivement, Nous ne serons plus...” Je pense que c’est dans cette perspective que nous devrons comprendre la Loi 22 du Québec. ' . De nombreux aspects de cette Loi 22 ont été abondamment critiqués mais, & ma connais- sance, et quelles que soient les dispositions prévues par cette loi, le Québec continue a offrir un enseignement en langue anglaise, juste et équivafent a celui qu'il assure en langue francaise. It est capital de renforcer l'usage de la langue frangaise au Québec si nous voulons maintenir vivante la culture francophone au aw