page 6 L?APPEL Décembre 1967 Une Histoire de la Colombie-Britannique CHAPITRE VIII DE LA VIE PAISIBLE A LA FIEVRE DU GAIN (Suite) Dans les derniers chapitres, nous avons sou- vent fait allusion & la fameuse course 4 l’or du demi-siécle dernier, en Colombie Britanni- que. Ce fut, 4 nos yeux, la transition brutale qui fit d’une ecolonie en évolution normale un nid d’aventuriers sans conscience dont les ra- vages n’ont pas encore été totalement répa- rés. Reportons-nous 4 l’époque que nous avons quittée dans notre numéro d’octobre et ten- tons de la mieux illustrer par Vimagination du roman. Mgr Modeste Demers, évéque de Victoria, s’était buté 4 des obstacles formidables dans la tache qu’il s’était assignée de mener & bien un programme d’éducation. I] avait réussi, au cours de voyages de recrutement qui l’avaient mené jusqu’en Europe, a s’adjoindre quelques prétres. En 1857, il avait pris le chemin de Montréal d’ot il revenait avec quatre religicu- ses de la congrégation des Soeurs de Sainte- Anne et trois prétres canadiens-frangais. Il n’avait pas 6sé revenir par le chemin des voya- geurs, par respect pour les femmes de Dieu qu’il ramenait. C’était plutét par l’océan, en bateau, qu’il s’approchait des cétes. La sil- houette majestueuse de la chaine des Olympi- ques se dressait déja comme un mur impéné- trable et il fallait contourner le cap Flattery pour entrer dans le détroit Juan de Fuca. A cet endroit, les eaux du Pacifique sont trai- tresses. C’est le point de rencontre de cette masse d’eau, toujours en décalage avec les ma- rées, qui entoure l’ile de Vancouver. “Nous arrivons 4 la fin de ce voyage, mes chers compagnons’’, dit Mgr Demers 4 ceux qui avaient accepté de le suivre. “Bientét nous apercevrons cette ile merveilleuse dont les 4- mes ont soif de connaitre cette nouvelle civi- lisation qui les envahit. Il y a dans ces foréts vierges, des indigénes hostiles aux blancs. Ils ont été pillés par eux, traités come si les droits du conquérant pouvaient effacer les millénai- res qui les ont précédés. La Providence leur a apporté un répit. Elle a permis que les explo- rations par le continent réussissent 4 mettre fin aux excursions par mer. Ceux qui dirigent maintenant les destinées de cette colonie ont été humanisés par les milliers de milles de sen- tiers quils ont di battre. James Douglas, le gouverneur, a partagé les intempéries des plai- nes, les feux de bivouac, les bains forcés dans les rapides et la vie dure de ses compagnons canadiens-fran¢ais et indiens. La plupart de ses hommes ont pris femme dans les tribus de la cote. Les enfants sont des fréres par le sang. Il y a maintenant espoir de réconcilier tous les indiens avec les colons.”’ Les quatre religieuses scrutaient Vhorizon nouveau qui deviendrait leur nouvelle patrie. Petites québécoises qu’elles étaient, la nostal- gie Vavoir quitté les bords calmes du St-Lau- rent fit place a Vanticipation. Leurs noms: SS. Marie-du-Sacré-Coeur, Marie-Angéle, Ma- rie-Luména et Marie-de-la-Conception. L’une posa timidement une question. “Mais, on nous a dit que la Marine Royale engageait souvent la lutte contre les pilleurs indiens.” “Notre devoir, 4 nous, mes soeurs, est de comprendre le drame qui se joue depuis prés de cent ans. Au départ, ce furent les Espagnols qui vinrent s’imposer 4 ces autochtones. Com- me tous les découvreurs européens, ils sont arrivés en maitres, s’arrogeant le droit de pro- priété sur toutes les terres nouvelles. Invo- quant une mission supérieure de civilisation, héritée des grandes croisades, la pensée ne les a pas effleurés que ces autochtones avaient un patrimoine a préserver. Pour eux, comme pour les navigateurs anglais par la suite, toute ré- sistance 4 l’aliénation de leur sol de la part des Indiens devait étre vengée. La situation n’a fait que s’aggraver jusque vers les années 1835. L’aventure qui avait débuté vers 1785, avait consisté en une riche moisson de fourru- res obtenues sans effort contre les artifichets sans valeur de la civilisation européenne. L’am- bition des traiteurs ne fut pas longtemps satis- faite d’échanges négociés; bientdot ce fut l’ar- rogance puis la brutaliét qui s’infiltrérent au plus grand malheur des indigénes. Au cours des derniéres années les Indiens apprirent 4 reconnaitre, chez le blanc, le symbole de 1’im- périalisme sans conscience. Heureusement que débuta, vers le méme temps, l’afflux par le continent. Ces hommes avaient concilié ]’ins- tinct barbare de l’aventurier avec le seny pra- tique. Non pas que, de prime abord, ils n’é- taient pas préparés a traiter ’indigéne comme un inférieur, mais, le contact quotidien avec lui créa un sens de collaboration qui effaca Vanimosité pour faire place 4 la coexistence pacifique. Mais, il y a ici un deuxiéme niveau de conflit. C’est celui qui existe entre le mo- nopole de la Compagnie de la Baie d’Hudson, compagnie a toute fin pratique privée, et les pouvoirs politiques de Londres 4 qui répu- gnent les pouvoirs acquis par le vaste empire de la Hudson’s Bay. C’est ainsi que, d’une part, il y a la Marine Royale qui tente d’exer- cer une discipline a4 la maniére militaire et les autorités civiles 4 qui l’expérience du milieu conseille des méthodes plus humanitaires. O’est a ce confluent que nous avons un role impor- tant a jouer. “Mais, Monseigneur, reprit Sr Marie Lumé- na, ces pouvoirs publics comprennent-ils ce role? “Parfaitement. N’est-ce pas le présent gou- verneur, James Douglas, qui, au nom de la Compagnie, nous faisait venir, en 1838, afin de spiritualiser la colonie? N’est-ce pas le jour méme de mon arrivée que je dis célébrer plus de 20 mariages et deux fois autant de bapté- mes? C’était la vie primitive, autant pour nos