Le Moustique Volume 4 -7° édition ISSN 1496-8304 Juillet 2001 Bravade, bravoure et bavardage... On quitte donc l’anse Cullite, ainsi que tous nos espoirs d’abandonner le bavard, et l'on file plus rapides que jamais. Avec ma fille, nous formons le peloton de téte. En queue, on retrouve le couple clopinant, l'un du pied, l'autre du genou. Complétement séparé des deux groupes, le guide, en coureur isolé, hésite entre nous rattraper ou attendre les lanterniers. D’ailleurs, je soupgonne le couple, que l’on a plus vu depuis longtemps, d’étre revenu sur ses pas et de s’installer tranquil- lement dans te camping que |’on vient de laisser. A vrai dire, on ne les reverra un bref instant que quelques jours plus tard et la seule question qu’ils nous poseront alors, est de savoir si le guide est toujours avec nous. Quand on leur aura répondu qu’il rode encore dans les parages, ils montreront des signes d’agitation et disparaitront, cette fois-la, pour toujours. Inutile de pousser au-dela du camp Logan qui n’est plus qu’a deux kilometres et de viser le suivant ; ce dernier est a dix kilométres alors qu’on en a déja parcouru quatre. Je devrais dire que l’on en a seulement parcouru quatre, mais on a littéralement couru toute la distance a essayer de fuir l’encombrant personnage que j’avais choisi comme mentor. Ma fille ne me pardonnerait pas de la faire marcher toute cette distance pour échapper ala compagnie de quelqu’un que je lui ai imposé. Donc on se tape le petit segment entre les riviéres Cullite et Logan et on reprendra son souffle sur le sable de l’'anse Logan en espérant que le sable sera fin et doux sous les sacs de couchage. La journée est plus belle 4 chaque instant. Le soleil, resplendissant, éclaire les sous-bois d’éclaboussures éblouissantes. Plus que jamais, la forét a des allures de cathédrales inondées de lumiéres. Mais ici, le fouillis des branches lumineuses et des feuilles étincelantes nous instillerait plut6t un sentiment de joie désordonnée. L’alternance d’ombre et de clarté avive les impressions et révéle, pour de cours instants, la forét dans ses détails les plus secrets. Je crois par moments percevoir autour de moi le froissement d’une jupe légére et printaniére que le soleil indiscret embrase de couleur, réevelant des formes juvéniles. Mais le sentier est resté tres humide et se transforme souvent en fondrieres débordantes d’une boue liquide brun noiratre. Il ne passe pas un instant qu’il nous faille sauter de souches glissantes en branches et billots instables. Parfois, le marécage s’étale sur une grande surface. On voit alors la forét mourir et lancer vers le ciel ses grands troncs grisatres, rigides et effeuillés, qui raient comme les stéles d’un cimetiére le ciel d’un bleu implacable. Page 10