8 — Le Soleil de Colombie, vendredi 14 octobre 1983. Le Centre Culturel Colombien a 10 ans Le Centre face a son évolution Par John Condit i Membre du comité de direc- tion du Centre. mais écrivant sous sa propre responsabilité). “Lieu de rencontre. expres- sion de notre communauté. lieu de récréation et de cultu- re. de diffusion. ce Centre sera ouvert a tous.” Cest en ces termes que le comité culturel de la Fédéra- tion des Franco-Colombiens a annoncé. le 21 octobre 1973. Vouverture du Centre Culturel Colombien. au 706. 16e Ave- nue ouest 4 Vancouver. “Centre culturel - commu- nautaire” Le comité. dont le respon- sable était Jean Riou. a bapti- sé le Centre “Centre culturel- communautaire’. —_joignant ainsi par un trait dunion deux mots qui divisaient l’as- semblée générale du Centre. au mois de mai de la méme année. lors dune lutte pour sa direction. mais deux mots qui. en réalité. ne se divisent pas facilement. lun donnant corps a lautre. En méme temps. la directrice du Cen- tre. Jeanne Baillaut. suggére quil penche plus actuel- lement vers le culturel que pendant sa jeunesse. alors quil était méme dénommé “Centre socio-culturel colom- bien.” Ailleurs, dans une premiére demande de subvention que la Fédération a soumise au Se- crétariat d Etat. le 6 octobre 1973, M. Riou a proposé le Centre comme une base pour un “village canadien-francais” aux alentours de la 16e ave- nue et de la rue Heather, ou déja cette ethnie avait établi une église, une école et une caisse populaire — et ou, on peut l'ajouter, la F.F.C. cdto- yait le nouveau centre cultu- rel. Boite & chansons De point de vue fonction, dou on pevt tracer son évolu- tion, le nouveau centre, avait écrit M. Riou, épouserait “la forme dune boite a chan- sons”, abriterait un ciné-club, monterait des expositions artistes et d’artisans franco- shoues offrirait un comptoir your cc opérative de disques et de livres, et enfin, viserait a ‘la création et diffusion de services et activités culturelles a léchelle provinciale.” -premiére de 9 000 $. Le “village” a perdu la possession de sa caisse (mais a gagné sa coopérative domi- ciliaire). et la F.F.C. sest déplacée au centre-ville. le Centre de l'autre cété de la l6e avenue. Il a viré un peu des objectifs originels. sans les abandonner totalement. I] dépend toujours des sub- ventions fédérales, aprés la pour boucler un budget qui a grandi de ses quelque 30 000$ de 1974 a quelque 200 000$. Le comptoir de livres nest ni coopérative ni comptoir mais une boutique en santé économique précai- Te: L’art est la L’art est 14 et en bonne. quantité, mais pas toujours Yoeuvre des francophones. Les chansons sont 1a. avec du café et méme, a loccasion, avec du vin, et des specta- cles aussi. Mais la direction trouve que les films en fran- ¢ais ne valent pas la peine, tellement ils sont offerts fré- quemment ailleurs. La diffusion des spectacles a échelle provinciale, aussi bien que la recherche d’ar- tistes a cette échelle, ne se réalisent pas sans heurts. Par- ce que le Centre prend ses distances par rapport 4 son parent, la F.F.C., jusqu’au point de se préparer, en mai dernier, a s’en retirer. 1] faut avouer que la brisure rerléte des éléments person- nels, au sein de la direction et du comité de direction du Centre, rayonnant de la plus grande fissure a la F.F.C., en 1981, créée par le renvoi de son directeur-général, Jean Riou, et la démission en -concert de ses principaux ad- ministrateurs. Mais on peut voir aussi dans la rupture le besoin d’un enfant grandi de réaliser son indépendance et, dans mon optique, le besoin d'une entre- prise assez complexe d’avoir une bonne mesure d’autono- mie. Mme Jeanne Baillaut aime indiquer du doigt, parmi une documentation affichée aux murs pour féter le dixiéme anniversaire du Centre, une résolution du 7 novembre 1973 prévoyant dans “un ave- nir rapproché sa transforma- Yann Geoffroy a gauche, réalisateur de lémission de télévision “La Francophonie and You” au cable 10, en conversation avec Jean Riou, pére et premier prési- dent du Centre Culturel Colombien. uion en organisme avec charte provinciale” — ce quiil est devenu. C'est Jean Riou, le pére et premier président du Centre, qui a rédigé cette pre- miére charte. Dirigé par Jacques Bernard Mais le Centre trouve ses origines dans une fonction qui la précédé de plusieurs an- nées. Dans le rapport annuel du secrétaire-général de la Fédération Canadienne-Fran- caise de la Colombie britanni- que, précurseur de la F.F.C., présenté le 22 mai 1971, on peut lire: “Le comité culturel, dirigé par M. Jacques Bernard, a été formé 4 la suite d'un colloque organisé l’an dernier en juin, a Vaudreuil, P.Q., et qui avait pour objet d'amorcer des tournées 4 tra- vers le Canada, di’artistes, troupes de théatre, etc. “Les principales réalisations de ce comité ont été: 1. la tournée d’Angéle Arsenault (chanteuse acadienne), 2. la présentation de la piéce “Les Maxibules”’, 3. la série de films Faroun dans les écoles, 4. le théatre de marionnettes de Germain Boisvert.” M. Bernard, aujourd'hui directeur du poste de radio CBUF-FM, a été obligé de laisser tomber le comité cultu- rel et M, Riou en a repris la responsabilité le 28 juin 1971. M. Riou faisait partie du conseil d’administration du Conseil interprovincial . de diffusion de la culture, ce qui lui donnait des contacts a travers le pays. I] a fait venir Deux salariées actuelles du Centre Culturel: & gauche, Héléne Audet, coordonnatrice du programme Kaléidoscope, et a droite, Solange Goulet, administratrice. : des artistes devenues fameuses depuis: Edith Butler et “la Sagouine’’. Pour les enfants, il a fait venir Les Pissenlits. Financiérement, il s’en sou- vient, on dansait sur la corde raide. “On n’avait jamais de budget. J'ai fait venir une fois le Cercle Moliére de St- Boniface, et on a eu plus de quatre-cents spectateurs. Alors, on a bouclé le budget; je pense méme qu'on a réalisé un bénéfice de dix ou vingt dollars.” Somme toute, dit-il, on a arrondi les budgets, des tournées en province aidant. Aujourd’hui, le but est de monter des spectacles le plus souvent et le plus économi- quement possible, sous forme de café-théatre au Centre Culturel Colombien, au lieu de louer des salles de théatre, et Jeanne Baillaut ne concoit pas boucler les budgets sans subventions. C’était tot dans la vie du Centre, en 1974, que M. Riou a eu le grand plaisir de voir naitre d’un cours de théatre au Centre, la Troupe de la Seiziéme, faisant son début avec la farce tremblaisienne “Les belles soeurs” dans le sous-sol de l’église St-Sacre- ment. Voila une autre charte Riou rédigée, un autre or- ganisme autonome — disons que la Troupe est la petite- fille de la F.F.C. Ces jours-ci, elle fait ses répétitions au Centre. ‘ C'est sous un aspect exagéré de centre communautaire que le Centre a couru vers une crise. C’était l’ére hippie. Au Centre, on donnait des cours de macramé et de poterie. La bienfaisance du _ Secrétariat d'Etat a aussi financé des ‘réunions le matin pour faire du “jogging”. Les habitués du Centre, rappelle M. Riou, y mangeaient et dormaient parfois et se sont dotés d’un poste de télévision et du cable de réception. Par la suite, en 1975, le gérant du Centre, l’a déserté brusquement, et M. Riou, alors directeur-général de la F.F.C., est venu a la rescousse, persuadant Mme Baillaut de prendre la direc- tion. : Au Centre depuis 8 ans Mére, éduquée en France en puériculture, cette Fran- caise injecte son dynamisme au Centre depuis huit ans. Son chemin l’avait amenée 1a aprés quelques années passées a faire la tournée des écoles, pour le compte de la Galerie d’art de Vancouver, avec une exposition d’art sur diaposi- tives qu'elle commentait en francais. A la galerie, elle agissait en guide francopho- ne. Dans ce poste, elle croyait avoir trouvé son vrai métier. Un nouveau directeur de la galerie l'a empéchée de parler francais, sauf aux petits fran- - cophones, et elle lui avait alors fait ses adieux. Mais pas avant d’avoir fait reproduire 600 de ses diapo- sitives, trésor qu’elle a amené au Centre pour lancer le programme Kaléidoscope, qui, pour un prix fort rai- sonnable, offrait aux étu- diants de francais, venant aussi loin que Yakima, Washington, des mondes francophones “a travers des oeuvres d'art anciennes ou contemporaines.” Voila une ouverture du Centre du cété anglophone, méme américain. On en trou- vera une autre sous la forme des cours de francais que le Centre a lancés tot dans sa carriére, et bien des anglo- phones y ont amélioré leur francais suffisamment pour faire partie du comité de direction. Les anglophones et allopho- nes découvrent également le Centre Culturel Colombien grace au café-croissant, libre réunion du dimanche matin, attirant de 30 a 60 personnes et lancé il y a cing ans par Mme Baillaut. Beaucoup de gens s'y lient d’amitié, en fran cais. Transformé en galerie d’art, le Centre offre la possi- bilité aux artistes francopho- nes et d'autres langues, d’ex- poser et de vendre leurs oeu- vres. Aux vernissages, dit Mme Baillaut, une autre com- munauté se forme toutes les six semaines composée surtout de francophones “d’ailleurs” et d’anglophones. Le Centre jette un autre pont au grand public avec son Festival francophone annuel et son Salon du livre, biennal. “On parle toujours du Centre avec respect” dit Jean Riou, “comme un organisme qui fait ‘des choses de qualité. Et ¢a, compte, ¢a compte, parce que en tant que francophone on © vit dans une communauté qui est trés minoritaire, et si on n’a pas le respect et l’appui de la majorité, ou d'une certaine partie de la majorité, on n’aura pas grand-chose. Et le Centre a joué ce réle-la bien, souvent sans que les franco- phones s’en apercoivent, je dirais sans que méme les direc- directeurs s’en apercoivent.” Voila un apercu de l’évo- lution des activités du Centre, qui maintenant traverse une période délicate. Du dernier rapport annuel de la directri- ce et de quelques propos qu'elle a émis plus récem- ment, on comprend que les relations du Centre avec le Secrétariat d’Etat ne sont pas totalement satisfaisantes. _ Toujours a régler aussi est la question de l’appartenance ala F.F.C., qui a été ajour- née a l’assemblée générale du Centre en mai dernier, aprés que le président de la F.F.C., alors M. René Chenoll, ait suggéré que le Centre pourrait perdre ses subventions fédéra- les s'il marchait seul. Montant sa Paciféte au théatre Reine Elisabeth, la F.F.C. s'est mé- me faite, en quelque sorte, concurrente du Centre et de son Festival francophone. Dun autre cété, le Centre a toujours besoin d’associés capables d’organiser des tour- nées d’artistes en province et de découvrir du talent franco- colombien pour le mettre en scéne a Vancouver. Pour éviter des crises finan- ciéres, encourager des subven- tions et se protéger contre des révoltes montées par de petits groupes, que Jean Riou aime appeler des “cabales”, le Centre, il me semble, a besoin de se mettre dans une posture qui lui permette d’attirer plus que sa centaine de membres actuels. : Je ne trahis aucune confi- dence en disant que _ ces problémes se trouvent sur le tapis, de temps a autre, lors des réunions du comité dé direction. Pendant ce temps, le visiteur au Centre, voyant les documents, les photos, les tableaux et les affiches dispo- sées sur les murs, sera d’ac- cord avec Jeanne Baillaut pour dire que pendant les dix années de son existence, le Centre Culturel Colombien “a fait pas mal de.choses.” John Condit, a la retraite maintenant, a été jowrnaliste au Province, quotidien an- glais de Vancouver. att : Jeanne Baillaut, actuelle directrice artistique, est au Centre depuis huit ans.