18 - Le Soleil de Colombie, vendredi 22 avril 1988 = INFORMATION Francois Mitterrand, Jacques Chirac, Jean-Marie Le Pen, André Lajoinie, Plerre Juquin, Arlette Laguiller, Antoine Waechter: les éiecteurs francais auront le choix entre huit(*)candidats lorsque,le 24 avril 1988, ils se rendront aux umes pour le premier tour de I’élection présidentielle. I! est peu e que l’un des candidats obtienne la majorité absolue. Aussi, le 8 mai 1988, les électeurs reprendront le chemin de l’isoloir pour départager, cette fois, les deux candidats ayant récoltéie plus Les élections présidentielles francaises Jacques, Francois, Raymond et les autres... de suffrages au premier tour. Le Soleil de Colombie vous propose de faire connaissance avec les principaux leaders politiques franca Raymond Nous Barre, Jean-Marie Le Pen, J. rénovateurs, sur Arlefte Laguiller, la candidate trotskyste et sur Antoine Waechter, le représentant des écologistes: ils ne devraient, si Il’on en croit les sondages, ne récolter que quelques miettes de bulletins de vote au cours de cette élection. En revanche nous nous attarderons sur Francois Mitterrand, André Lajoinie, Chirac et Raymond Barre. Les deux premiers se classent a gauche, les trols demiers a droite. «La politique n’est pas une science exacte». Otto Von Bismark pronong¢a ces mots le 18 décembre 1863 dans un discours a la rapidement sur Pierre Juquin, le chef de file des communistes Chambre prusienne des seigneurs. Aussi, nous ne feront pas de passerons - pronostic... Patrice Romedenne Raymond Barre Un intrus en politique Voici le moins politique des hommes politiques francais. Raymond Barre discourt volon- tiers surlatristesse du pouvoir, vomit les querelles partisanes et cultive l’assurance des person- nages solitaires. Sont-ce Ia les simples artifices d’un candidat soucieux de se différencier de ses concurrents ou les sympt6- mes caractériels d’un. homme qui, commeil ledit, «n ‘aime pas Bay >: Homme de fond en quéte de la politique»? Les deux solu- tions nesont pas incompatibles tant la premiére semble servir la seconde, la tactique du politi- que correspondre ala personna- lité de I’homme... Avec son allure sage, sa démarche somnolente et son port de téte rassurant, Raymond Barre force le respect tout en polarisant les critiques assé- nées ici parlagauche et la parla droite car il agace aussi dans son propre camp ou on brocarde son assurance et ou on le suspecte de suffisance. Pour les hommes de_ gauche, Raymond Barre symbolise le passé. Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing de 1976 a 1981, la victoire présidentielle de Frangois Mitterrand met fin a ses fonctions.. Raymond = Barre quitte |’H6tel Matignon sur des records d'impopularité aprés avoir guerroyé avec peine contre le chémage et la_ crise économique. Pire, il avait eu le culot de promettre efforts et temps difficiles 4 des Frangais qui ne tolérent les mauvaises nouvelles qu’a dose homéopa- thique... Mais il est comme ga, Raymond Barre. | pense donc il dit. Il est comme il est. Il aime forme. qu'on l’aime mais il fixe les régles du jeu relationnel. Moins démagogue que ses adversai- res, moins hypocrite que/‘homo politicus moyen, str de sa consistance et convaincu deses capacités que nul ne s’aventure alui contester sauf a déclencher une ire cassante, Raymond Barrese persuade qu'il a raison. L’homme a assurément de l’envergure. A 30 ans, il pond un ouvrage d’économie, veritable brique insomniaque pour bon nombre d’étudiants passés ‘et a venir. Sa réputation économique internationale n’est plus a faire, son respect des institutions et son sens de l’Etat plus a vanter. L’exubérance n'est. pas son fort et sacarence en ce domaine pourrait s’avérer 6tre sa faibles- se en ces temps de politique spectacle, laminant les débats de fond pour privilégier leur 2. forme, ultramédiatisation obli-- ge. Malheureusement pour lui, Raymond Barre est plus professionnel que familier, plus rationnel que passionné et au lyrisme il préfére la rigueur verbale. Didactique il se veut, professoral il est percu. Ce naturel inchassable trouve sans doute ses racines dans l'universitaire demeuré long- temps étranger au sérail politique. Car c’est en entrant a Matignon: (aprés une bréve escale au ministére du Commer- ce extérieur) qu’il a véritable- ment débuté en politique. A 53 ans! Auparavant, il avait dirigé, trois années durant, le cabinet de Jean Marcel Jeanneney, Ministre de I'Industrie du Général De Gaulle. C’est tout et c’est trop peu pour apprendre a louvoyer. Tel qu’il est, Raymond Barre cherche le respect. Pour avoir lu Le Corbeau et le Renard, il fuit les flatteurs. Cependant, sa culture dépasse les fables de La Fontaine tant il aime la peinture flammande et en pince pour Alexandre Dumas, Tocqueville, Jacques Chirac Le parcours du L’Elysée, il en réve. Le pouvoir, il l’a la, calé dans l’estomac. Il appartient ala race des battants. Il est de ceux qui n'ont qu’une idée en téte et ne vivent que pour elle, s’organi- sent et s’arment en conséquen- ce. Entre lui et la fonction supréme, il n’imagine qu’une trajectoire, rectiligne. Il ne congoit les obstacles que dépassés. II? Jacques Chirac, Premier ministre, maire de Paris. Résistant, il dort peu. Infatigable serreur de mains, il essouffle son entourage. Au sortir de l’adolescence, Jacques Chirac a du vague a lame. Il s’offre une escapade maritime avec le Capitaine Saint Martin», un 5000 tonnes a bord duquel il est pilotin, jusqu’au jour ol son pére le rameéne par l’oreille a Paris. Jacques Chirac y entame des études mathéma- tiques avec succés mais sans passion. Un jouril se décide: ce sera Sciences-Po puis |’Ecole nationale d’administration, l’usine intellectuellequifournit a la vie politique frangaise le gros de ses acteurs. En 1962, Jacques Chirac découvre le pouvoir comme chargé de mission auprés de Georges Pompidou alors Pre- mier ministre du Général De Gaulle. Dynamique, culotté, il se déméne corps et ame pour Pompidou qui, une fois Président, le fera plusieurs fois Proust, Valéry ou Chateau- briand. De plus, il a de l’oreille et nesela fait pas tirer pour aller a l’opéra. : L’électorat de Raymond Barre? Essentiellement mascu- lin, il draine pas mal de cadres et d’employés. Les agriculteurs et les femmes aiment moins |’ex . Premier ministre, de méme que les jeunes qui lui reprochent son look austére et un certain conservatisme social. Si Raymond Barre est battu a l'élection présidentielle, il ne sera pas affecté outre mesure: la politique n’est pas sa vie. (*) Un neuviéme candidat est entré, tardivement, dans la course a I’Elysée: Pierre Boussel, alias Lambert, du Mouvement pour un parti des Travailleurs. Quasi-inconnu. combatiant ministre. Ladisparition de Pompidou, si elle bouleverse Chirac, n’en provoque pas moins. des élections _présidentielles. Inconditionnel du Président défunt, Chirac est gaulliste par extention. II n’a rien a voir avec les gaullistes historiques - les barons - qui poussent Jacques Chaban Delmas a se présenter en 1974. Jacques Chirac soutient Valéry Giscard d’Estaing. Qui gagne. Et le fait Premier ministre. ll a 42 ans, et on l’accuse de trahison. Pendant deux ans, la vie sera faite d’incompréhensions, de non-dits, de couleuvres avalées sans assaisonnement, pour tout dire du choc de personnali- tés diamétralement opposées, celle d’un Président domina- teur, sr de lui, et celle d’un Premier ministre en = mal d’émancipation. Jacques Chi- rac n’a qu’une_ obsession: couper le cordon. Il démission- ne. en 1976 et fonde le Rassemblement pour la Répu- blique, sa future machine de guerre. En 1981, il obtient 17, 99% des suffrages au premier tour des élections présidentiel- les. C’est l’échec. En 1986, la gauche au pouvoir perd les élections législatives. Si Frangois Mitterrand entend bien rester a l’Elysée, il lui faut Homme de pouvoir en quéte d’Elysée. nommer un Premier ministre issue de la droite. Jacques Chirac s’interroge: si je refuse, Matignon, je donne raison & _Raymond Barre qui, dés 1983, a refusé d’envisager |’ombre de I’hypothése d’une cohabitation entre un Président de gauche et un Premier ministre de droite; si j’accepte Matignon et y glane quelque succés, je serai sur orbite élyséenne pour 1988. 1988, nous y sommes. Le Premier ministre candidat quali- fie son bilan de «positif», s’appuyant sur le succes des dénationalisations, sur |’arres- tation de terroristes ou sur quelques indices économiques qui, commentés d’une maniére ou d'une autre, donnent toujours raison a celui qui les défend. Reste a convaincre les Francais que ce libéral ayant des préoccupations sociales est efficace, moderne et chaleureux plus que clientéliste, réaction- naire et agité comme le pensent ses adversaires. Pour ce faire, le RPR s’est mis en branle: il méne une campagne a /‘améri- caine, fort de ses moyens financiers considérables. Elu, Jacques Chirac turoyerait le bonheur. Battu, il réapparai- trait sans doute car comme le glissa jadis Louis XVIll a Talleyrand, «/’ambition ne vieil- lit pas».