Le Moustique Volume5 - 12¢ édition ISSN 1496-8304 Décembre 2002 - Je me demande bien quels cadeaux offrir a mes enfants pour Noél, ils ont déja tant de choses! En entendant ces mots, la vendeuse, une petite femme séche, déja bien agée, s'arréte de peser les legumes que j'ai posés sur le comptoir pour s'exclamer: - Ah, a qui le dites-vous! Moi, je ne donne rien a mes petits-enfants. Ils sont si gatés qu'ils en deviennent malheureux. En plus, ils s'ennuient, ne jouent méme pas avec leurs jouets. A Noél, nous, on recevait une orange et quelques bonbons, et on était content avec ga! Elle hoche la téte en me regardant d'un air sévére, je ne peux que l'approuver: - Oui, ma fille a tellement de poupées qu'elle s'en désintéresse complétement. Elle les met a dormir, c'est tout. - Moi, savez-vous, je n'ai jamais eu qu'une seule poupée. - Vraiment? - Enfin, pas tout a fait, quand j'étais enfant, j'avais une poupée faite a la maison, remplie de son. Ses cheveux en paille tressée. Les rats faisaient des trous dans le ventre, mangeaient les doigts, crevaient les yeux, grignotaient les cheveux. Mais, vous avez une minute? J'aime cette petite épicerie de quartier ou je trouve de délicieuses boites de sardines du Portugal a I'huile d'olive, des oeufs frais de poules qui courent librement, des legumes bios qui viennent des fermes de I'ile. Et la vendeuse est une grand-mére née dans un vieux pays et qui a toujours quelque recette de l'ancien temps a partager ou de bons conseils a donner. Je suis la seule cliente ce matin. Elle me sourit et se met a raconter: "C'est en 1960 que nous sommes arrivés au Canada, a Winnipeg. Mon mari avait trouvé un travail au chemin de fer pour le CPR a 99 cents de l'heure. Nous faisions des courses, @ pied bien sir, on avait pas encore les moyens de se payer une voiture! Un froid terrible, ah! pas comme ici a Victoria ot les hivers sont si doux! C’était un peu avant la période des fétes. Nous passions devant la Bay. Dans la vitrine, de magnifiques poupées, des vraies celles-la, avec de vraies chevelures bouclées, des brunes, des blondes, des rousses. Y en a une, elle a de longues anglaises blondes, des joues roses, et elle me fixe de ses yeux de porcelaine bleue comme si elle me faisait un signe. Je reste la, collée a la vitrine. Je n'ai jamais rien vu de si beau. Mon mari qui est parti en avant m'appelle. Je ne l'entends pas. Il revient sur ses pas. Je suis toujours plantée la, immobile. Je ne sens pas le vent glacial, je n’entends rien, je ne peux détacher mes yeux de cette apparition. Je suis comme hypnotisée. Des larmes coulent sur mes joues. Il me demande: - Tu en veux une ? Je fais oui de la téte, je ne peux pas parler. - Bon, choisis celle qui te plait, je vais la chercher. Je lui indique du doigt la poupée aux longues anglaises blondes. Mon mari rentre dans le magasin. ll revient vite et me met la poupée dans les bras. Elle coatait 6 dollars et 99 cents et lui gagnait 99 cents de l'heure! C'est la seule vraie poupée que j'ai jamais possédée. Aprés tant d'années, elle est toujours dans ma chambre, sur la petite chaise que mon mari avait fabriquée pour elle. La vendeuse tousse un peu et se remet a peser mes légumes. Monique Genuist _ GRAND PRIX DULIVRE DE MONTREAL il est généralement décerné a la mi-novembre de chaque année et toujours [a veille de la remise des prix littéraires du Gouverneur général du Canada... HOE SUE SAMS is - Crigine : - i. BERRA : ee pears Le Grand Prix du livre de Montréal est offert par la Ville de Montréal a l’auteur ou aux coauteurs d’un ouvrage de langue frangaise ou anglaise, pour la facture exceptionnelle et l’apport original de cette publication. Lauréats 1996 Yvon Rivard - Le milieu du jour. .- - 1997 Willie Thomas - Récit insolite d’un singulier voyageur 4998 Gaétan Soucy - L’acquittement1999 - - Joél Des Rosiers - Vétiver. - --. 2000 Denis Vanier - L’urine des foréts 2001 Régine Robin - Berlin, chantiers ‘-- -2002 Louis Gauthier - Voyage au Portugal avec un Allemand < 3