Le Soleil, octobre 1992 Le Soleil, octobre 1992 ‘A Jusqu’alors le mot désigne la per- sonne qui habite un village, une ville, une région ou un pays. Mais en Nouvelle- France ce terme est attribué au proprié- taire d’une terre, au colon, au cultivateur et au défricheur. C’est un bien joli nom que celui «d’habitant» car en somme il signifie: «celui qui habite et s’est habitué a la terre qu’il a conquise». Pour le nouvel arrivant, fierde défricher pouce par pouce la terre qu’il ouvre |’agriculture, a ses enfants et a l’avenir, il n’est plus beau compliment que de se faire appeler: HA- BITANT. Une des grandes difficultés a la- quelle les colons font face dés leurarrivée, c’est celle de |’isolement. Ils sont peu nombreux et occupent un territoire im- mense. En 1698, les villes de Québec, Ville-Marie, Trois-Riviéres et Riviére- du-Loup, comptentrespectivementmoins de 2000 habitants dont un tiers d’enfants. Les distances sont difficiles a franchir d’une communauté a |’autre. Aussi lors- qu’un village est en danger, il est difficile > pour un autre de lui porter secours. Audébutde lacolonie, les femmes sont moins nom- breuses que les hommes. Le recensement de 1698 donne 2034 hommes pour 1181 femmes. Cela veut dire qu’elles doivent travailler double- . ment pour aider les & hommes dans leurs AY travaux. C’est pour- quoi on dira de la Canadienne qu’elle est avant tout labo- y~rieuse. Elle contri- “= * bue au défrichement des terres, éléve les nombreux enfants qu’elle met au monde, prépare la nourriture, file le chanvre et la laine, coud les vétements. de chacun, pétrit le pain, fabrique les chandelles et lesavon, éduque, conseille, console et entre Chaque nouvel arrivant doit se loger. Souvent son premier tra- vail est de batir sa propre mai- son. La proximité de la forét explique que la plupart des maisons du XVile soient en bois. En général, ellessont construites de billots empilés les uns sur les autres. Les in- terstices sont remplis d’abord avec de la glaise et plus tard avec du mortier. Pour la toiture, on utilise des planches, des bardeaux, de |’ardoise (plus rare- ment), de la paille et méme de 1’écorce. Les maisons paysannes comprennent deux piéces. Une oii se déroulent les activités de la journée, (cuisine, repas etc...), et l’autre ot: dorment les parents et parfois les enfants. - froids de I’hiver. Au XVIle siécle «l’habitant» a fort belle allure. Au physique, il est robuste, vigoureux, souple et tout aussi agile qu’un Indien, et pour tout dire, infatiguable. De ca- ractére entreprenant, il est trés tenace. Les rigueurs et les privations de son exis- tence ont fait de lui un hommeaguerni, frugal, vo- lontaire. Iln’enestpas pour autantaustére. I] saital’oc- casion étre plein d’entrain et s’amuser. D’ailleurs il n’a pas son pareil pour danser, chanter, jouer de la musique sur des instru- ments qu’il a souvent lui- méme fabriqués et conter des histoires a vous tenir éveillé toute une nuit. En somme il met autant de coeur a la féte qu’a louvrage. Sous le régime royal, la société frangaise est trés structurée. Les différences de tous genres entre les classes sont grandes. En Nouvelle-France la situation différe. D’une part les nobles sont trés peu nombreux (un vingtaine de familles environ), et ne craignent point, a |’exemple des paysans, de travailler la terre. Quant aux bourgeois, ce sont plut6t des propriétaires aisés et des marchands qui travaillent dans le commerce de la fourrure. Mais a l’époque le terme bourgeois s’applique parfois aussi aux nobles et aux seigneurs. Reste le peuple qui constitue la majorité de la population. Il re- groupe les petits marchands, les artisans au ser- vice des entrepreneurs, les fonctionnaires subal- ternes, les paysans et les engagés. Au X Vllesiécle, la majorité de la population blanche est rurale et catholique. Dans chaque maison on trouve une cheminée et quelquefois deux. La porte d’entrée donne rarement du cété nord car on redoute les grands D’une maniére générale, «’habitant» consomme alors moins de viande que nous en’ consom- mons aujourd’hui. Ceci est di en’ ~~~ partie aux nombreux jours de jefine et d’abstinence (prés de 5 mois par an) qu’en bon catholique il se doit d’observer, et en partie a la cherté elaviande. Mais pendant les jours gras ou a l’occasion des f€tes, on peut trouver sur sa table du porc, de la volaille et du gibier. Pour les jours maigres, il se réserve le pois- son des lacs et des riviéres et la motue salée. Sia cette Epoque le boeuf est absent au menu du Canadien, c’est que l’on réserve le précieux animal pour les travaux de labour. 3 L’église en général et mon- sieur le curé de la pafoisse en particulier ne voient pas d’un bon oeil ces «dévergondages». Ne dit- on pas de ces soirées de danse «qu’elles sont comme les.cham- pignons, les meilleuresne valent rien». Les seules danses qui trou- vent grace aux yeux du clergé d’alors sont celles qui se prati- quent entre personnes du méme ‘bien que souvent rustiques, sont beaux et de trés grande qualité. Certains ont : Wivre en Nouvelle France Au X Vile Siécle Les meubles que |’on trouve dans la maison canadienne peuvent étre importés, mais le plus souvent ils sont faits au pays. Tout bon «habitant» est un peu menuisier, ébéniste et sculpteur. II se trouve aussi qu’il existe de fins artisans dans les communautés. Pour la fabrication des armoires, des huches, bahuts, coffres, commodes, tables, bancs et chaises c’est le bois de pin qui est le plus utilisé, mais pour les parties de meubles exigeant plus de solidité, on emploie aussi le bouleau, le chéne et le merisier. Les meubles canadiens de cette époque, maintenant disparu de notre ameublement moderne tels la maie dans laquelle on pétrissait et conservait le pain, le garde-manger a vantail, que le réfrigérateur a remplacé, et la grande armoire qui a cédé la place au placard moderne. Comme il faut de temps en temps barricader les fenétres pour se protéger contre les incursions iroquoises, celles-ci sont petites. La vitre cofite trés cher en Nouvelle-France, alors les carreaux sont en papier huilé ou ciré. Ils laissent passer le jour mais ils ne sont pas transparents et assombrissent passablement la maison. Pour s’éclairer on utilise des lampes appelées BECS-DE- CORBEAU, dans lesquelles on fait briler delhuile de phoque ou de marsouin. Malgré sa simplicité la demeure de l’habitant dégage déja une atmosphére d’hospitalité qui va traverser le temps et que l’on retrouve encore aujourd’”hui au Québec. Au XVIlIe siécle les futurs Québécois sont déja connus pour leur hospitalité et leur gaieté. Leur joie de vivre s’exprime souvent par la danse. En hiver, les soirées sont longues, alors on a t6t fait d’organiser des réunions ot l’on danse et joue aux cartes. Par- fois «l’assem- blée» va faire la fétejusqu’au petit matin. Aux petites sexe. Malgré tous lessermons et les conseils du clergé, la danse conserve sa popularité lueurs du jour et parfois ce pauvre monsieur le curé se demande bien si ses braves ouailles ne sont pas nouveau, cha- i en train de faire la féte avec le diable. cun rentrera ooh Sin chez [ui fourbu Se mais encore un peu guilleret. Au XVIle siécle, ceux qui ne vivent pas a la campagne possédent un petit jardin potager ou poussent tous les fruits et les légumes dont ils ont besoin. On est surpris de la liste que nous donne un dénommé Pierre Boucher en 1650: «toutes sortes de navets, rabioles, betteraves, carottes, panais, salsifis, choux-fleurs, oseille, cardes, asperges, épinards, laitues, poireaux etc...» et la liste continue ainsi, €numérant herbes aromatiques et fruits de toutes sortes. Cependant Ja base dela nourriture demeure le pain, dont on peut trouver diverses sortes: pain blanc, pain bis, pain brun, et le petit pain de 6 onces. Qui dira combien les premiers Canadiens souffri- rentdu froid? Ilsemble que tout le monde grelotte de froid ence temps a; les religieuses Ursulines dans leur couvent, les jeunes séminaristes dans leur séminaire et mémé les «habitants» dans leurs maisons autour de leurs po€les ou de leurs cheminées. Mais lisons les temoignages suivants de l’époque. En 1644, Marie de |’Incarnation, parlant des litsoudormentles religieuses, écrit, «Nos couches sont de bois comme des armoires qui se ferment, et quoiqu’elles soient doublées de couvertes ou de serge, a peiney peut-on échauffer.» Souventméme les teligieuses doiventse coucher avec leurs chaussures pour ne point se geler les pieds. En 1663 le pére Paul Le Jeune écrit aussi, «/l m’est arrivé qu’en écrivant fort prés d’un grand feu mon encre gelait, et par nécessité il fallait met- tre un réchaud plein de char- bons ardents proche demon écritoire, autrementj’eusse trouvé de la glace noire au lieu de l’encre.» Plus loin, il ajoute: «J’ai souvent trouvé de gros glacons attachés le matin a ma couverture, formés dusouffle de V haleine; et m’oubliant de les éter le matin, je les trouvais encore le SOUr.» Pour lutter contre le froid, les habitants deviennent ingénieux. Bient6t il préférent le poéle a la cheminée qui laisse moins passer le vent. Ils portentla «tuque», adoptent la fourrure plus protectrice, fabriquent des courtepointes et d’épaisses «catalognes», pour leurs lits, tissent de «jolies ceintures fléchées» qui leur tiennent chaud aux reins et les femmesadoptent pour leurs épaules le chale des indiennes. Nous remercions le gouvernement du Québec pour l'aide précieuse apportée a la publication du présent numéro de Rayon-Jeunesse.